Les grands espaces est un beau western humaniste, toujours saisissant, grâce à la puissance de son script et à la qualité exceptionnelle de l’interprétation. Un chef d’œuvre.
Synopsis : James McKay, retraité de la marine, rejoint sa fiancée dans l’Ouest américain. Il se retrouve alors bien malgré lui au cœur d’un conflit opposant la famille de sa fiancée, les Terrill, et celle des Hannassey qui se vouent une animosité réciproque. En cause : un lopin de terre convoité par les deux clans.
Les grands espaces, nouveau sommet pour William Wyler
Critique : Alors au sommet de sa carrière, le cinéaste William Wyler vient de cumuler durant les années 40 et 50 tous les honneurs. Non seulement il a eu les faveurs des cérémonies officielles (Oscar du Meilleur film pour Les plus belles années de notre vie en 1946 ou encore Palme d’or à Cannes pour La loi du seigneur), mais il a également séduit le grand public avec des longs-métrages comme Vacances romaines (1953). En 1958, il investit à nouveau le champ du western, genre qu’il n’affectionnait pas particulièrement, sous l’angle de la saga familiale à forte tendance tragique. Une armée de scénaristes ont effectivement adapté un ouvrage de Donald Hamilton où deux familles de l’Ouest s’opposent violemment jusqu’à ce qu’un étranger arrivé de l’Est vienne pacifier la région… ou bien enflammer un peu plus les esprits.
La première chose qui marque lorsque l’on regarde ces Grands espaces (1958), c’est le contraste saisissant entre une forme très classique – à la lisière de l’académisme diront les plus farouches détracteurs du cinéaste – et un angle d’attaque pour le moins original dans le cadre du western. Ainsi, le personnage incarné avec beaucoup de sensibilité par Gregory Peck, également producteur au générique, n’a rien d’un héros traditionnel puisqu’il refuse de se conformer aux us et coutumes locales au risque de passer pour un couard auprès de ses proches. Les auteurs opposent donc l’intelligence de l’étranger à la rudesse de caractère des gens de l’Ouest, des brutes épaisses plus ou moins dégrossies. Malgré cette dichotomie apparemment binaire, le cinéaste ne se veut aucunement juge de la situation. Il ne fait que constater les ravages de l’ignorance et de l’atavisme attachés à cet Ouest qui n’a dès lors plus rien de mythique. Anticipant tous les westerns révisionnistes des années 60-70, Les grands espaces démontre l’absurdité de la violence, faisant des cow-boys des imbéciles uniquement occupés à prouver leur virilité par des comportements aussi dangereux que puérils.
Crépuscule sur la violence des hommes
Là où William Wyler frappe fort, c’est qu’il parvient à livrer un western passionnant sur près de trois heures alors même qu’il exclut toute forme de violence gratuite. Le spectateur en vient même à espérer que les deux camps se réconcilient sans dommages, alors que le genre impose en principe de l’action et des fusillades. Lors du bain de sang final, la prise de vue en hauteur vient nous rappeler à quel point le sacrifice de ces hommes n’a servi à rien. Il s’agissait finalement d’une magnifique métaphore de la guerre froide qui battait alors son plein. Les deux familles ne sont autres que les Etats-Unis et l’URSS qui, s’ils ne réussissent pas à faire la paix, finiront par s’entre-tuer. Un message pacifiste qui émeut toujours de nos jours grâce à un script très bien écrit, des personnages attachants et magnifiquement caractérisés par des acteurs au sommet de leur talent. De quoi faire de ces Grands espaces une œuvre majeure de William Wyler qui allait, un an plus tard, exploser le box-office mondial avec sa version de Ben-Hur.
Critique de Virgile Dumez
Box-office France
Sorti en salle en France en 1959, l’année des 40 ans de United Artists, à la distribution, Les grands espaces trouvera un beau succès auprès de 2 200 000 spectateurs, dont plus de 400 000 sur la capitale où il est proposé en exclusivité dans quatre salles. Les spectateurs peuvent le découvrir au Biarritz, à la Madeleine, au mythique Gaumont-Palace et au Richelieu. Il prend la première place des exclusivités avec 46 692 spectateurs. On notera que La dernière torpille le bat au Grand Rex avec 21 304 spectateurs contre 19 948 pour Les grands espaces au Gaumont Palace. Toutefois La dernière torpille de Joseph Evney, avec Glenn Ford et Ernest Bornigne en immersion sous-marine, réalise une première semaine moindre, avec 38 000 spectateurs. Sorti le même jour, Vacances à Paris ne connaît pas la même distribution, avec un seul écran, le Lord-Byron, pour 3 740 touristes.
Que les amateurs de cinéma de genre se rassure, Rodan d’Inoshiro Honda, père sacré de Godzilla, trouvait enfin un écran parisien, en l’occurrence le Midi-Minuit pour 15 529 spectateurs.
En semaine 2, Les grands espaces jouit d’une belle stabilité avec pas moins de 44 141 spectateurs et donc 90 000 tickets dans la poche en 15 jours. Néanmoins, il rétrograde en deuxième place en raison de la sortie événement d’Archimède le clochard de Gilles Grangier, avec Jean Gabin, Darry Cowl et Bernard Blier (55 150 entrées).
Avec 29 438 en 3e semaine, Les grands espaces quitte la première exclusivité pour laisser place dans les quatre salles qui l’accueillaient Douze heures d’horloge de Geza Radvanyi, avec Lino Ventura. Le western de Wyler est rétrogradé au Raimu où 3 908 retardataires s’y pressent. Il y restera stable en semaine 2 (3 940), avant d’y ajouter 2 649 tickets en 3e semaine, pour un total de 120 768 entrées.
Il retrouvera le chemin de l’exploitation parisienne par la suite.
Aux USA, The Big Country, pour reprendre son titre original, est proposé dans la deuxième moitié de l’été 1958, le 13 août. Il y trouve plus de 10M$ au box-office, l’équivalent de 159M$ en 2023, soit l’une des 20 plus grosses recettes de Gregory Peck, très loin derrière Duel au soleil ou Les canons de Navarone. Néanmoins, il demeure l’un des trois films les plus populaires de la star américaine auprès des critiques et du public selon le référencement d’IMDB.
Très apprécié par la critique, cette production Gregory Peck saura trouver quelques nominations secondaires au BAFTA, Golden Globes et aux Oscars où sa musique sera nommée malgré le peu d’appétence que lui portait le cinéaste William Wyler qui souhaitait une bande-originale totalement différente. Il l’avait en horreur. Burl Ives, qu’on avait pu voir en France chez Nicholas Ray, deux mois plus tôt, dans La forêt interdite, était enfin gratifié d’un Oscar, celui du meilleur second rôle.
Classique magistral, Les grands espaces voyagera en France en vidéo, avec une VHS chez MGM, un premier DVD dès 2001, dans une édition chiche, puis, en 2022, chez Sidonis qui en proposera un blu-ray et une nouvelle édition DVD.
Box-office de Frédéric Mignard