Enchâssement de récits tous plus délirants les uns que les autres, Les avantages de voyager en train est un OVNI qui mérite le détour pour peu que l’on goûte l’humour très noir et les ambiances trash.
Synopsis : Helga, éditrice madrilène, vient de faire interner son mari en clinique psychiatrique. Dans le train du retour, elle fait la connaissance du Dr Angel Sanagustín qui lui fait part de ses expériences les plus fascinantes, sordides et obsédantes. Cette rencontre bouleverse Helga et la plonge dans une profonde introspection. Et ce sont bien là quelques-uns des avantages de voyager en train.
La version cinéma d’un livre jugé inadaptable
Critique : Réalisateur réputé pour ses courts métrages primés dans le monde entier au cours des années 2000 et 2010, Aritz Moreno a été approché par la productrice Leire Apellaniz pour tenter d’adapter au grand écran le roman De l’avantage de prendre le train, publié en 2005 par Antonio Orejudo Utrilla. Totalement délirant, le livre était jugé inadaptable depuis de nombreuses années. Outre la forte impression ressentie lors de la lecture, Aritz Moreno a compris qu’il pouvait tirer de ce matériau une œuvre cinématographique originale.
Pour l’aider dans sa démarche d’adaptation, l’apprenti-cinéaste a sollicité l’expertise du scénariste Javier Gullón qui a déjà une longue expérience puisqu’il a travaillé sur le survival Les proies (Gonzalo López-Gallego, 2007), mais aussi sur le très étrange Enemy (Denis Villeneuve, 2013) ou encore Aftermath (Elliott Lester, 2017) pour le compte d’Arnold Schwarzenegger. Il fallait bien son ingéniosité et son talent pour venir à bout d’un matériau littéraire si complexe.
Venez vous perdre dans des récits labyrinthiques!
Effectivement, la particularité de Les avantages de voyager en train (2019) vient de sa structure narrative très complexe faite d’enchâssements de récits. On retrouve ici notamment une architecture proche de celle du roman Le manuscrit trouvé à Saragosse de Jan Potocki. Dès le début du long métrage, le spectateur est happé par une multitude de niveaux narratifs, au risque de se perdre dans un dédale effrayant. En réalité, avec un peu d’effort, on parvient à se repérer au cœur de ce foisonnant échafaudage. Prévenu par le caractère schizophrénique du personnage principal, le spectateur comprend assez rapidement que le long métrage va être constitué d’un réseau complexe de courts récits dont la plupart sont tout bonnement fictifs.
Dans Les avantages de voyager en train, il ne faut généralement pas croire ce que racontent les différents protagonistes, tous marqués par des désordres psychologiques plus ou moins évidents. Ainsi, le spectateur ne peut se raccrocher à aucune forme de rationalité, plongeant dans des saynètes aux tonalités très différentes en fonction des intervenants. Parfois franchement comique, parfois à la lisière du film d’horreur glauque, le long métrage dingue multiplie les ambiances sans jamais perdre de sa cohérence interne. Voyage délirant au sein de la psyché humaine, Les avantages de voyager en train constitue un portrait bien peu flatteur de l’espèce humaine.
Une vision très noire de l’espèce humaine
Ainsi, le film évoque pêle-mêle l’exploitation sexuelle des enfants, le meurtre pour de l’argent, le snuff movie, l’humiliation sexuelle, la coprophagie ou encore le syndrome de Diogène, avec très peu de filtre. D’ailleurs, on notera une fois de plus le peu de responsabilité de la commission de classification des films puisque le métrage est classé « Tous publics » en France (contre interdit aux moins de 18 ans en Espagne, cherchez l’erreur). Il y est tout de même question de pédophilie dans des scènes franchement glauques, mais aussi du fait de rabaisser des êtres humains au rang d’animaux. Et que dire de cette terrible trépanation ultra gore qui se termine par l’extraction d’un cerveau servant de repas à des chiens affamés ?
Car sous ses allures de comédie délirante – ce que le film est bel et bien – les thématiques abordées sont d’une noirceur à toute épreuve et le long métrage ne peut laisser indifférent. Gageons qu’il indisposera même une partie du public non avisé. Pour cela, Aritz Moreno fait preuve d’un réel talent de réalisation, accentuant les couleurs pastel comme dans le cinéma de Wes Anderson, et s’appuyant aussi sur une musique complètement folle de Cristobal Tapia de Veer, également à l’œuvre sur le déstabilisant Smile (Parker Finn, 2022).
Des acteurs qui osent tout dans un film particulièrement trash
Film fou qui se met au diapason de ses personnages, Les avantages de voyager en train profite également de l’excellence de ses acteurs. Luis Tosar ose se grimer de manière outrancière, Pilar Castro accepte des séquences d’humiliation dérangeantes lorsqu’elle devient une femme-chienne, tandis que le grand Ernesto Alterio joue un psychiatre peut-être pas aussi équilibré que prévu.
Sorti en Espagne en 2019, l’OVNI a été présenté avec succès au Festival de Sitges avant de bénéficier de quatre nominations aux Goya en 2020. Malgré sa coproduction avec la France (d’où la présence de l’excellent Gilbert Melki au casting), Les avantages de voyager en train n’est parvenu dans les salles françaises qu’en août 2023 par les bons soins du distributeur indépendant Damned. Le métrage fou n’a disposé que de peu d’écrans et a terminé sa carrière de cinq semaines à 2 194 entrées. Depuis, il est disponible en DVD.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 9 août 2023
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Aritz Moreno, Quim Gutiérrez, Pilar Castro, Ernesto Alterio, Gilbert Melki
Mots clés
Cinéma espagnol, Comédies trash, La folie au cinéma, La paranoïa au cinéma, La pédophilie au cinéma, Les handicapés au cinéma