Avec Les amants passagers, Pedro Almodóvar revient à la comédie dans un esprit communautaire qui ne vole pas toujours très haut.
Synopsis : Des personnages hauts en couleurs pensent vivre leurs dernières heures à bord d’un avion à destination de Mexico. Une panne technique (une sorte de négligence justifiée, même si cela semble contradictoire ; mais, après tout, les actes humains le sont) met en danger la vie des personnes qui voyagent sur le vol 2549 de la compagnie Península. Les pilotes s’efforcent de trouver une solution avec le personnel de la tour de contrôle. Le chef de la cabine et les stewards sont des personnages atypiques et baroques, qui, face au danger, tentent d’oublier leur propre désarroi et se donnent corps et âme pour que le voyage soit le plus agréable possible aux passagers, en attendant que la solution au problème soit trouvée. La vie dans les nuages est aussi compliquée que sur terre, pour les mêmes raisons, qui se résument à deux mots : “sexe” et “mort”.
Les passagers de la Classe Affaire sont : un couple de jeunes mariés, issus d’une cité, lessivés par la fête du mariage ; un financier escroc, dénué de scrupules, affligé après avoir été abandonné par sa fille ; un don juan invétéré qui a mauvaise conscience et qui essaie de dire au revoir à l’une de ses maîtresses ; une voyante provinciale ; une reine de la presse du cœur et un Mexicain qui détient un grand secret. Chacun d’eux a un projet de travail ou de fuite à Mexico. Ils ont tous un secret, pas seulement le Mexicain.
La vulnérabilité face au danger provoque une catharsis générale, aussi bien chez les passagers qu’au sein de l’équipage. Cette catharsis devient le meilleur moyen d’échapper à l’idée de la mort. Sur fond de comédie débridée et morale, tous ces personnages passent le temps en faisant des aveux sensationnels qui les aident à oublier l’angoisse du moment.
Critique : Depuis le raté et désagréable Kika en 1993, Pedro Almodóvar n’avait plus vraiment fait de faux pas cinématographique. Son retour à la comédie insolente en 2013 avec Les Amants passagers est peut-être ce qui ressemble le plus à une faute de goût de la part du réalisateur.
Après une flopée de chefs d’œuvre dramatiques dont nous tairons les titres, le réalisateur dit désormais “cannois”, réalise une escapade dans la comédie pure, la première en 20 ans. L’idée n’est en soit pas déplaisante : son humour transgressif dans Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? (1984) ou Femmes au bord de la crise de nerf (1988) ont contribué à la canonisation du maître du cinéma ibérique.
Malheureusement l’audace d’antan trouve difficilement la même portée dans cet essai contemporain de faire revivre un humour d’un autre temps. Loin de la truculence de l’époque post Franco, son retour à l’humour qui tache, se fait surtout dans l’indigence. Pas celle des moyens, les décors soignés, joliment colorés aux tons pastel et aux couleurs criardes propres au cinéaste sont bien là, la majesté de la réalisation nous épate toujours (du moins pour les rares scènes en extérieur), mais on reste sur notre faim quant au potentiel certain du script qu’il s’entête à mettre en scène.
Le cinéma espagnol sur CinéDweller
Sur fond de crise économique historique en Espagne (le scandale d’un aéroport bâti qui ne sera jamais exploité a donné l’idée au cinéaste de réaliser une comédie aérienne), Pedro Almodóvar tente de dresser un portrait au vitriol de sa patrie marquée par une scission profonde entre les couches sociales. A bord de son avion, l’on trouve donc la classe affaires, composée d’acteurs décadents, de financiers véreux… Et la classe éco, droguée par l’équipage qui l’a plongée dans un profond sommeil pour faire passer l’orage que va traverser ce vol qui n’atteindra jamais sa destination mexicaine en raison d’un gros problème technique.
Avec de gros souliers qu’il n’avait pas besoin de chausser, Pedro Almodóvar fait passer un message économique sur la détresse des classes moyennes, un peu lourd, qui s’accommode guère de l’essentiel du film, à savoir le retour du cinéaste à un cinéma communautaire 100% gay, affranchi du décorum imposé par la perspective d’une sélection dans un grand festival.
Ainsi, on découvre le réalisateur de la La Piel que habito bien plus intéressé par les trames de sitcoms délurées qui tournent toujours sur les mêmes thèmes sexués que par les ressorts plus fins destinés à livrer une métaphore réfléchie sur la crise. L’équipage masculin est entièrement homo, refoulé ou assumé, boit et se drogue comme en “after” à Barcelone, compose une chorégraphie, signée Blanca Li, sur I’m so excited des Pointed Sisters, pour détourner les quelques passagers éveillés de leur peur du crash. Les stewards intrinsèquement bitchy batifolent dans tous les coins et s’amusent des récits des uns et des autres, notamment celui d’une personnalité féminine froide et vicieuse, pur fantasme de dominatrice que la communauté gay aime caresser.
Si l’on met de côté une séquence en extérieur, en trop dans un film qui aurait gagné à rester uniquement une pièce de théâtre filmée, avec comme seule unité de lieu le plancher de l’avion, tout ce joyeux bordel reste relativement drôle et cocasse. En tant que comédie un peu potache, voire Z, Les Amants passagers se rapproche beaucoup de Low Cost de Maurice Barthélémy qui jouait de son côté sur les stéréotypes “beaufs” quand Almodovar s’amuse des poncifs homos.
Dans les deux cas, les farces sont inoffensives, ce qui peut déstabiliser les fans d’Almodovar en droit d’attendre un brûlot hilarant. Reste qu’entre les deux réalisations, il y a bien plus qu’une chaîne de Montagne qui sépare les deux films.
Box-office Les Amants passagers
Après des années 1999-2006 marquées par une irrésistible ascension dans le club des millionnaires (La mauvaise éducation, 1 086 000 entrées), voir des doubles millionnaires (Tout sur ma mère, 2 018 000 ; Parle avec elle, 2 157 000 ; Volver, 2 349 000), Pedro Almodóvar a connu une période de déclin commercial à partir de 2009. Etreintes brisées passait sous le million en 2009 (924 000) et le torturé La piel que habito est considéré comme un échec avec 760 000 entrées en 2011). Le cinéaste change donc de genre et essaie de créer l’événement avec Les Amants passagers, tentative de comédie azimutée comme il aimait en faire, avec beaucoup moins de moyens, dans les années 80. De par les dates de productions, il ne prédestine pas ce film à Cannes, mais convoite une sortie au début du printemps 2013.
Le box-office de Pedro Almodovar en France
Malheureusement, la farce n’attrape pas. 534 173 spectateurs marque encore une baisse sensible par rapport à La Piel que habito. Et voilà Pedro Almodóvar reparti à ses plus bas depuis les années 90 quand il recherchait en vain son public disparu (Kika, 606 000 ; La fleur de mon secret, 484 000; En chair et en os, 442 000).
Si ce résultat est évidemment excellent pour une œuvre espagnole (à titre de comparaison, en 2024, aucun film espagnol a généré plus de 115 000 entrées en France), il démontre surtout une baisse de l’attractivité d’un cinéaste qui a dérouté. Après un décollage très convenable à 280 000 entrées dans 286 cinémas, l’avion s’est crashé en deuxième semaine (-55%), et a contre performé en 3e semaine (-59%). Il est alors réduit à 52 000 passagers dans 319 salles.
In fine, le film distribué par Pathé ne multipliera même pas par deux l’affluence de la première semaine, signe d’un bouche-à-oreille négatif.
Un succès sur l’international, notamment aux USA
Néanmoins, avec un budget de 5M$, Les amants passagers connaitra un vol long courrier, avec de nombreuses haltes internationales qui lui permettront au final de glaner 21M$ sur 38 marchés. En Espagne, le succès est de 6.5M$ de recettes, en Italie il s’élève à 2.4M$, et le Royaume-Uni est séduit (1.2M$). Au Mexique, les recettes dépasse également le million de dollars, tout comme aux USA où Sony Pictures Classics en tire 1.3M$, à la suite d’une très longue carrière estivale, avec 6 belles semaines entre le 28 juin et le 11 août. Pour mémoire, aux USA, Pedro Almodóvar était capable d’atteindre les 8M$ avec Tout sur ma mère ou les 5M$ avec La mauvaise éducation et Etreintes brisées. Ses plus gros succès nord-américains sont Parle avec elle (9.4M$) et Femmes au bord de la crise de nerf (7.3M$ en 1988, donc avec l’inflation, ces chiffres ont explosé). Volver demeure son triomphe américain, avec 13M$.
Pedro Almodóvar est un maître du box-office international.
Sorties de la semaine du 27 mars 2013
Biographies +
Antonio de la Torre, Antonio Banderas, Penélope Cruz, Cecilia Roth, Paz Vega, Lola Dueñas
Mots clés
Cinéma espagnol, Comédies trash, Les avions au cinéma, Films LGBTQ+++