Fondé sur un postulat historique, Les 8 diagrammes de Wu-Lang est avant tout un pur film d’exploitation efficace, violent et volontairement excessif dans ses débordements sanglants. Assez jouissif dans le genre.
Synopsis : Sous la Dynastie Song, la famille Yang dirige l’armée impériale qui protège le royaume chinois contre les Mongols. Trahi par un subordonné, Yang Yeh et ses sept fils sont vaincus lors d’une sanglante bataille. Seuls deux hommes échappent au massacre. Le 6ème fils, qui perd la raison, rentre au palais où se trouvent sa mère et ses deux sœurs. Le 5ème, se réfugie sur le mont Wu-tai. Également bouleversé par cette tragédie, il brise sa lance pour en faire un bâton, avant de se rendre à un temple bouddhiste dans l’espoir de devenir moine…
Un point de départ historique
Critique : L’histoire qui a servi de base à ces 8 diagrammes de Wu-Lang (1984) est inspirée d’une famille ayant effectivement existé durant la dynastie des Song (960-1279), à savoir les Yang. Ceux-ci sont connus en Chine pour avoir assuré la défense de la frontière nord de la Chine durant les nombreuses tentatives d’invasion mongoles au Moyen-âge. D’ailleurs ce contexte historique a déjà fourni l’argument du film à succès Les 14 Amazones (Cheng Kang et Tung Shao-yung, 1972), déjà produit par la Shaw Brothers.
En 1983, la firme compte raconter l’épisode qui précède celui des 14 Amazones et suivre ainsi le destin du héros martial Yang Yanzhao, à savoir le 5ème fils de la famille Yang. Celui-ci a survécu au massacre de sa famille à la suite d’une traîtrise, de même que deux autres de ses frères. Toutefois, le scénario du film diffère largement de l’histoire véridique puisqu’un terrible drame a frappé la production en plein tournage.
Tragique décès en plein tournage
Effectivement, le héros du film de Liu Chia-liang devait être initialement incarné par Alexander Fu Sheng, tandis que Gordon Liu jouait un rôle moins étoffé. Malheureusement, le tournage a été endeuillé par le décès soudain d’Alexander Fu Sheng à la suite d’un accident de voiture. La jeune star a été fauchée en pleine gloire à l’âge de 28 ans, entraînant une interruption du tournage de plusieurs mois.
De fait, les prises de vues étaient déjà bien entamées et il a fallu modifier en profondeur le scénario pour pouvoir continuer à raconter cette histoire en l’absence du personnage principal. Du coup, c’est le frère numéro 5 incarné par Gordon Liu qui devient le héros masculin, tandis que toutes les séquences finales qui devaient mettre en scène le frère numéro 6 ont été confiées à l’actrice Kara Hui, dont le rôle de sœur de la fratrie a été considérablement étoffé.
Ça branle dans les bambous
Malgré ce contexte tragique, Les 8 diagrammes de Wu-Lang ne souffre aucunement de cette production chahutée. Tout d’abord, notre méconnaissance de l’histoire originelle a l’avantage de ne pas nous troubler le moins du monde durant la projection, contrairement aux lettrés asiatiques qui ont dû y voir une énième entorse à l’histoire nationale. Mais surtout, le long-métrage apparaît pour ce qu’il est véritablement, à savoir un pur film d’exploitation parfaitement délirant par son hystérie. Ainsi, Liu Chia-liang semble avoir totalement pété les plombs durant le tournage puisqu’il livre une œuvre où tout est exagéré et outrancier.
Cela apparaît clairement dès la première séquence de bataille où le décor est stylisé au point que seuls les geysers de sang tranchent avec le gris de la toile de fond. Par la suite, les enjeux narratifs sont expliqués par le biais de séquences dialoguées marquées par l’outrance du jeu des acteurs et des combats surréalistes entre les différents protagonistes.
Bouddha dans tes dents
Le tout est toujours excessif, soit dans le mélodrame, soit dans la violence la plus graphique possible. De même, les personnages apparaissent comme des blocs compacts qui sont incapables d’évoluer. Ainsi, le frère numéro 5 incarné par Gordon Liu se convertit au bouddhisme, mais refuse d’obéir aux commandements des autres moines et conserve une rage vengeresse peu compatible avec sa nouvelle religion. Même s’il troque sa lance contre un bâton, il a recours à une violence excessive qui fait peu cas des enseignements de Bouddha.
En réalité, Les 8 diagrammes de Wu-Lang doit surtout être vu comme un film d’arts martiaux totalement délirant et fun où les combats sont tous plus impressionnants les uns que les autres, où le gore peut s’avérer volontairement comique. Le film échappe heureusement à la parodie, mais livre tout de même quelques moments hilarants, notamment lorsque certains combats ressemblent à s’y méprendre à un cartoon (les méchants laissent leurs dents fichées dans le bâton qu’ils viennent de se prendre en pleine poire, le héros se sert de bambous comme d’une mitrailleuse Gatling en référence explicite au western spaghetti, tant aimé des hongkongais).
Un bel objet cinématographique mis sur un piédestal par Tarantino
Sublimé par des décors luxueux, une superbe photographie d’An-Sung Tsao et une musique kitsch et parfois électronique de Chin Yung Shing et Chen-Hou Su, Les 8 diagrammes de Wu-Lang n’est clairement pas d’une grande finesse, mais il s’agit d’une œuvre d’une redoutable efficacité dans ses excès qui signent la fin de règne d’un genre alors en déclin.
Si le long-métrage semble être sorti dans quelques salles de province en France, il n’a pas bénéficié d’une sortie nationale officielle. Il a même fallu attendre le renouveau de la carrière de Gordon Liu grâce à sa prestation dans le Kill Bill (2003) de Quentin Tarantino pour voir ses anciens films édités en DVD en France. C’est notamment le valeureux éditeur Wild Side Vidéo qui s’en est chargé avec plusieurs éditions des 8 diagrammes de Wu-Lang dont la meilleure est le collector deux disques paru en 2006.
Devenu assez rare en support physique, le film est désormais disponible sur des plateformes comme Prime Vidéo ou encore en VOD sur Apple TV. On vous le recommande chaudement tant il s’agit d’une pièce maîtresse dans la grande tradition de la Shaw Brothers.
Critique de Virgile Dumez
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