Le silence de la mer : la critique du film (1949)

Drame | 1h28min
Note de la rédaction :
8,5/10
8,5
Le silence de la mer, l'affiche

  • Réalisateur : Jean-Pierre Melville
  • Acteurs : Howard Vernon, Jean-Marie Robain, Nicole Stéphane
  • Date de sortie: 22 Avr 1949
  • Nationalité : Français
  • Titre original : Le silence de la mer
  • Titres alternatifs : The Silence of the Sea (titre international) / El silencio del mar (Espagne) / Milczenie morza (Pologne) / Il silenzio del mare (Italie) / Das Schweigen des Meeres (Allemagne) / O Silêncio do Mar (Brésil)
  • Année de production : 1947-1949
  • Scénariste(s) : Jean-Pierre Melville d'après la nouvelle de Vercors
  • Directeur de la photographie : Luc Mirot, André Villard, Henri Decaë
  • Compositeur : Edgar Bischoff
  • Société(s) de production : Melville Productions
  • Distributeur (1ère sortie) : Panthéon Distribution
  • Distributeur (reprise) : -
  • Date de reprise : -
  • Éditeur(s) vidéo : René Château Vidéo (VHS) / René Château Vidéo (DVD, 2004) / Gaumont (DVD et blu-ray, 2010) / Gaumont (DVD slim, 2014)
  • Date de sortie vidéo : 25 mars 2010 (blu-ray)
  • Box-office France / Paris-périphérie : 1 373 872 entrées / 464 032 entrées
  • Box-office nord-américain : -
  • Budget : -
  • Rentabilité : -
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.37 : 1 / Noir et Blanc / Son : Mono
  • Festivals et récompenses : -
  • Illustrateur / Création graphique : Raymond Gid
  • Crédits : Gaumont
Note des spectateurs :

Premier long-métrage de Melville, Le silence de la mer bouleverse par la puissance de ses non-dits et la beauté de son message. Un classique assurément.

Synopsis : Dans un village français, sous l’Occupation, un homme âgé et sa nièce sont contraints d’héberger un officier allemand. Celui-ci est un homme délicat et cultivé, partisan d’un rapprochement entre les deux pays. Ses hôtes lui opposent pourtant un inébranlable silence.

Une nouvelle publiée pendant la guerre

Critique : Dès le début de la Seconde Guerre mondiale, l’illustrateur Jean Bruller décide de s’engager dans la Résistance sous le nom de Vercors. Il signe à cette époque une nouvelle intitulée Le silence de la mer (1941) qu’il décide de publier avec l’aide de son ami Pierre de Lescure. Ainsi, il fonde avec lui Les Éditions de Minuit dont il dessine d’ailleurs le logo. La nouvelle est publiée au début de l’année 1942 et marque fortement le jeune Jean-Pierre Grumbach qui est lui-même résistant sous le pseudonyme de Melville.

Le silence de la mer, jaquette blu-ray

© 1948 Gaumont / © 2010 Gaumont Vidéo. Tous droits réservés.

A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, Jean-Pierre Melville veut devenir cinéaste, mais souhaite par-dessus tout adapter à l’écran la nouvelle de Vercors. Commence alors un parcours du combattant qui en aurait découragé plus d’un. Effectivement, les droits ont déjà été cédés à Louis Jouvet qui compte interpréter le rôle principal. Sûr de lui, Jean-Pierre Melville rencontre Vercors et arrive à le convaincre de lui céder les droits d’adaptation en lui jurant une fidélité absolue au texte d’origine. L’auteur de la nouvelle accepte le nouveau contrat.

Plusieurs années de gestation

Toutefois, Jean-Pierre Melville va mettre plusieurs années à concrétiser son projet, lui qui n’appartient pas encore à la profession – alors très corporatiste – et refuse de se plier aux diktats des syndicats. Ainsi, il crée sa propre société de production pour être totalement indépendant (Melville Productions). Il sélectionne ses trois acteurs principaux, dont Jean-Marie Robain, un ami, et Nicole Stéphane qui est débutante devant la caméra mais honorée par des faits de gloire durant la Résistance. Enfin, il offre le rôle de l’officier allemand à l’acteur Howard Vernon qu’il a trouvé admirable dans Jericho (Calef, 1946). Le tournage peut démarrer en 1947 avec des bouts de pellicule achetés au fur et à mesure – restrictions d’après-guerre oblige. Le système D prévaut durant ce tournage chaotique qui anticipe les méthodes employées par la suite par les jeunes loups de la Nouvelle Vague.

Une fois le tournage achevé, Jean-Pierre Melville va encore travailler sur le montage durant une année entière, attendant toujours d’obtenir le visa d’exploitation. Finalement, le long-métrage sort dans les salles en avril 1949, soit deux ans après le premier tour de manivelle. Cela valait pourtant le coup d’insister puisque Melville n’est pas loin de réaliser un véritable coup de maître dès son premier long-métrage. On peut sans doute reprocher au Silence de la mer une trop grande servilité du réalisateur envers l’œuvre littéraire, mais cela faisait partie du contrat moral passé avec Vercors qui fut d’ailleurs très satisfait du résultat final.

Une métaphore évidente de la résistance à l’occupant

Dès les premiers instants, une voix off vient se surimposer aux images, comme pour apporter la preuve à Vercors de la fidélité absolue du réalisateur à son texte. Sans doute Melville ne fait-il pas encore assez confiance au pouvoir de fascination de ses images et s’appuie donc encore trop sur les mots, lui qui en deviendra si avare par la suite. Peu importe finalement puisque le verbe, ou plutôt son absence est au cœur même du film. Contraints de loger chez eux un officier allemand, un oncle et sa nièce vont lui imposer un silence total de plusieurs mois, alors que l’homme est plutôt agréable et cultivé.

La métaphore est évidente pour l’époque puisqu’il s’agissait d’opposer à l’occupant une résistance passive (la nouvelle date de 1941) par patriotisme. Ainsi, l’officier qui se révèle francophile fait tout pour être charmant avec ses hôtes, mais les deux Français ne lui adressent jamais la parole. Il fallait oser développer un tel monologue sur la durée d’un film entier, ce que Melville parvient à faire en utilisant de temps en temps des flashback et en créant des ruptures qui évitent l’ennui.

Howard Vernon au sommet de son talent

Le rythme est de toute façon très lent, mais l’ensemble est porté par l’émouvante prestation d’Howard Vernon composant la figure d’un officier allemand un peu trop idéaliste et qui rêve d’une Europe unie. On adore sa déconvenue dans la deuxième partie du long-métrage lorsqu’il se rend compte des exactions menées par ses comparses. L’évocation de la création des premières chambres à gaz et la volonté d’écraser totalement l’ennemi viennent bouleverser la vision idéaliste de ce soldat à l’ancienne qui en vient à douter de sa mission. Au point de désobéir aux ordres ? La question est posée en tout cas.

Face à lui, Nicole Stéphane et Jean-Marie Robain ont la difficile tâche de paraître totalement impassibles, tout en faisant passer leur trouble et la naissance d’une forme de respect envers cet homme cultivé et sympathique. C’est finalement dans ces moments de pur cinéma, où les mots ne parasitent plus les regards que l’émotion s’insinue et que Melville atteint son but, allant au-delà du texte de Vercors en suggérant des relations introuvables dans la nouvelle.

Beauté formelle certes, mais aussi préfiguration de la Nouvelle Vague

Malgré la pauvreté des moyens engagés, Jean-Pierre Melville compose des plans complexes en jouant sur la profondeur de champ, avouant ainsi son admiration sans borne pour Orson Welles. Le jeu raide et récitatif des acteurs renforce finalement la puissance du texte et rejoint les nouvelles expérimentations menées à la même époque par Robert Bresson. Nous ne reviendrons pas sur l’éternel débat qui consiste à savoir lequel aurait copié l’autre. Il se trouve que ces deux auteurs ont, au même moment, eu l’intuition d’une forme singulière de cinéma et que cela a ensuite inspiré les membres de la Nouvelle Vague qui ont vu en eux leurs pères spirituels.

Peu importe puisque Le silence de la mer demeure aujourd’hui un grand classique du cinéma français d’auteur exigeant. Sans doute encore un peu trop noyé dans une musique d’Edgar Bischoff légèrement envahissante et trop servile envers un texte en voix off récurrent, Le silence de la mer n’en reste pas moins une œuvre remarquable qui n’a pas la prétention de résumer les relations franco-allemandes en une seule situation. Mais le film constitue un appel à l’union des hommes de bonne volonté pour construire ensemble un projet d’avenir. A méditer donc en ces heures de repli des peuples sur eux-mêmes.

Un beau succès et un classique inusable

Pour sa sortie en avril 1949, Jean-Pierre Melville, largement soutenu par l’influent Vercors, dispose du réseau de distribution le plus prestigieux de l’époque, à savoir le Gaumont-Palace-Rex. Le long-métrage se hisse donc dès sa semaine d’investiture à la première place du classement parisien avec 90 171 curieux. Puis, le métrage reste en pole position la semaine suivante avec 68 498 tickets vendus de plus. Par la suite, le film va continuer une belle carrière arrivant à générer 464 032 entrées sur la capitale. Dans la France entière, le film a cumulé 1 373 872 entrées, devenant une excellente affaire pour Jean-Pierre Melville au vu des faibles moyens engagés.

Depuis, le long-métrage a été régulièrement édité sur différents supports physiques et jouit toujours d’une excellente réputation largement méritée.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 20 avril 1949

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Le silence de la mer, l'affiche

© 1948 Gaumont / Affiche : Raymond Gid. Tous droits réservés.

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