Dénonciation sans concession des collusions entre truands et hommes politiques, ce polar d’Yves Boisset est d’une implacable efficacité, tout en s’immisçant avec justesse dans les coulisses du pouvoir.
Synopsis : Jean-Marie Fayard est un jeune juge qui ose braver le pouvoir en place. Il n’hésite pas à faire incarcérer des grands patrons. Lorsqu’il vient à s’occuper d’une petite affaire de braquage d’une station-service, il remonte jusqu’aux patrons du SAC et met en cause un député. Il est alors menacé…
Boisset s’inspire d’affaires judiciaires brûlantes
Critique : Après sa charge corrosive contre la France raciste dans Dupont Lajoie en 1974, Yves Boisset continue sur sa lancée en signant cette fois-ci une attaque en règle contre le système judiciaire. S’inspirant de plusieurs affaires brûlantes (l’assassinat du juge Renaud en juillet 1975, les procès remportés par le juge Charette ou encore le caractère frondeur du juge Pascal), Boisset et le scénariste Claude Veillot ont créé de toute pièce ce juge Fayard qui ne s’avoue jamais vaincu et qui passe outre les avertissements de ses supérieurs hiérarchiques afin de mener à bien son enquête.
La force du métrage vient du fait qu’il débute par un banal braquage d’une station-service qui tourne progressivement à l’affaire d’Etat lorsque l’on découvre que les truands en question sont membres du SAC (Service d’Action Civique, que l’on peut qualifier comme l’exécuteur des basses œuvres de la république gaullienne).
Une dénonciation d’un pouvoir peu démocratique
Dès lors, le cinéaste remonte la piste des collusions entre petites frappes, truands de grande envergure, barbouzes et hommes politiques. Il en profite pour dénoncer un système pseudo-démocratique entièrement fondé sur la corruption, tout en mettant en exergue le financement occulte des partis politiques.
Si l’auteur n’évite pas toujours une certaine schématisation, on peut toutefois saluer son entreprise citoyenne et son talent de conteur. Effectivement, grand amateur du cinéma d’action américain, Yves Boisset mêle intelligemment dénonciation et thriller judiciaire haletant. A l’aide d’une réalisation carrée, il nous tient en haleine de la première à la dernière minute.
Patrick Dewaere au firmament
Patrick Dewaere trouve là un emploi qui lui colle parfaitement à la peau, à savoir celui d’un jeune chien fou. Le métrage aligne également les seconds rôles savoureux avec une belle constance : Marcel Bozzuffi en éternel gangster, Jean Bouise en fonctionnaire froid, Roland Blanche en petite frappe et Bernard Giraudeau en ami peu présent. Si l’on ajoute à cela une excellente musique de Philippe Sarde, on peut aisément considérer ce Juge Fayard comme un très bel exemple d’un certain cinéma politique français des années 70.
Avec plus de 1,7 millions de spectateurs dans les salles, Le juge Fayard fut l’un des grands succès personnels de Patrick Dewaere puisqu’il portait désormais sur ses seules épaules la responsabilité du succès ou de l’échec du film. Alors qu’il n’était que le second rôle dans Adieu poulet, juste dans l’ombre de Lino Ventura, il devient désormais un acteur de premier plan capable d’amener le public dans les salles obscures. Le métrage polémique d’Yves Boisset s’est d’ailleurs hissé à la 13ème marche du podium annuel, ce qui en fait une indéniable réussite artistique et commerciale.
Critique de Virgile Dumez