Faussement adapté d’une nouvelle de Poe, Le cercueil vivant est un petit film d’horreur gothique sympathique, réalisé avec talent et magistralement interprété par deux acteurs majeurs du genre. L’intrigue, elle, est plus contestable.
Synopsis : Revenus d’un séjour en Afrique, les frères Markham s’installent aux abords de Londres. L’un des deux, Edward, à demi-fou et défiguré par des sorciers africains, reste enfermé dans sa maison. Pour le délivrer, Trench, l’avocat de la famille, met au point un stratagème : droguer Edward afin de le faire passer pour mort, et venir l’exhumer après son enterrement…
Pas de Poe dans Le cercueil vivant
Critique : La branche britannique de la firme américaine AIP fait l’acquisition en 1968 d’un script de Lawrence Huntington intitulé The Man in the Crimson Hood qui doit être initialement tourné par Michael Reeves. Malheureusement, cette production entièrement britannique a connu bien des vicissitudes puisque le réalisateur du Grand inquisiteur (1968) souffre d’un déséquilibre mental et qu’il met fin à ses jours fin 1968 à l’âge de 25 ans. D’abord producteur du long-métrage, Gordon Hessler est donc désigné par la société de production pour réaliser le film à la place de Reeves.
Déjà auteur de deux longs-métrages passés inaperçus, Gordon Hessler n’est pourtant pas totalement satisfait du scénario et demande des réécritures à Christopher Wicking qui approfondit ainsi la psychologie des différents personnages et ajoute une dimension politique lié à la décolonisation. Enfin, le métrage change de titre et devient The Oblong Box (traduit en France par un étrange Cercueil vivant), dans le but de rattacher l’œuvre d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe qui n’a pourtant absolument aucun rapport avec le récit du film. Cette pratique n’est pas nouvelle pour la firme AIP puisque le cycle Poe réalisé par Roger Corman n’a souvent eu qu’un rapport superficiel avec le grand écrivain américain du 19ème siècle.
Le masque de la mort rouge
Afin de mieux rattacher Le cercueil vivant au cycle de Roger Corman, les producteurs ont fait appel à Vincent Price pour interpréter le rôle principal, tandis que Christopher Lee vient jouer les guest-stars dans un rôle de docteur plutôt inhabituel pour lui. Réalisé dans les studios Shepperton en quelques semaines pour un budget ridiculement bas, Le cercueil vivant (1969) bénéficie pourtant d’un certain soin au niveau de la réalisation. Effectivement, Gordon Hessler s’inscrit pleinement dans la tradition du film gothique britannique, tout en usant d’un style un peu plus moderne. Ainsi, il utilise le grand angle pour déformer les images, force parfois les perspectives et n’hésite pas à avoir recours à une violence graphique plus marquée, annonçant ainsi les débordements des années 70.
En ce qui concerne l’intrigue proprement dite, elle mélange sans doute un peu trop diverses influences, reprenant des thématiques classiques du film d’horreur (les profanateurs de tombes, les rites vaudous, les assassinats de prostituées) sans trouver de fil conducteur totalement convaincant. Toutefois, on peut saluer la volonté des auteurs de ne jamais aller là où on les attend. De même, les personnages ne sont jamais univoques et l’on serait en peine de désigner un héros et un méchant au cœur de cette histoire complexe. Ainsi, Vincent Price apparaît tour à tour comme un frère attentionné et comme un bourreau, tandis que le monstre incarné par Alister Williamson finit par faire pitié, alors même qu’il est tout de même un implacable meurtrier.
Le cercueil vivant ou la mauvaise conscience liée au colonialisme
C’est donc la force de Gordon Hessler que d’avoir su ménager des possibilités de rédemption pour chacun des personnages impliqués. On peut aussi noter la pertinence de la critique envers le colonialisme britannique. A l’heure où le Royaume Uni était en train de perdre une à une ses colonies, Le cercueil vivant démontre à quel point le système britannique fut mortifère, à la fois pour les pays africains dominés et pour la conscience des Blancs européens. Cette thématique moderne est particulièrement intéressante, même si elle est insuffisamment développée.
Marqué par plusieurs meurtres assez sanglants – attention, le sang est d’un rouge très artificiel – Le cercueil vivant manque parfois de tension dramatique et patine à plusieurs reprises. Heureusement que la réalisation est bonne, que la photographie s’avère jolie et que les acteurs sont tous crédibles pour compenser ces quelques faiblesses. Loin d’être indispensable, le spectacle est surtout à réserver aux amateurs purs et durs de cinéma gothique classique.
Sorti en salles en France fin juin 1971, Le cercueil vivant n’a attiré que 24 188 spectateurs sur toute la France. Cet échec a condamné le film à l’oubli, au point de n’avoir jamais été édité sur support physique en France avant 2021 et le collector DVD / Blu-ray d’ESC Editions. On notera que le film bénéficie d’une excellente copie et que le supplément vidéo (33min) avec Jean-François Rauger est d’une belle pertinence. L’occasion de découvrir cette rareté dans d’excellentes conditions.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 30 juin 1971
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Gordon Hessler, Christopher Lee, Vincent Price, Alister Williamson, Rupert Davies