Larry Flynt est un biopic académique sur une figure américaine controversée, porté par un scénario bien écrit et une interprétation de premier ordre. Pas le meilleur Milos Forman, mais une œuvre valeureuse et courageuse dans ses idées progressistes.
Synopsis : L’histoire vraie d’un empereur de la presse pornographique lancé dans un combat sans merci pour la liberté d’expression…
Le pornocrate et le libertaire
Critique : Après avoir écrit avec un certain talent le biopic sur le cinéaste Ed Wood (1994), brillamment mis en images par Tim Burton, alors au sommet de son talent, le duo de scénaristes Scott Alexander et Larry Karaszewski se sont intéressés à une figure polémique des Etats-Unis, le patron du magazine pornographique Hustler, le magnat de la presse Larry Flynt. Après avoir fait de nombreuses recherches sur l’homme, ils livrent donc un scénario parfaitement construit qui reprend chaque grand événement de la vie agitée de cet homme aussi détesté qu’admiré.
Le scénario parvient à Milos Forman par le biais de son agent, mais le réalisateur tchèque oscarisé pour Vol au-dessus d’un nid de coucou (1975) et Amadeus (1984) ne prend pas la peine de le lire, peu intéressé par un film consacré à un pornocrate. Pourtant, sur l’insistance de son agent, Forman consent à parcourir le script et découvre une œuvre qui n’entend pas glorifier la carrière X du bonhomme, mais mettre en exergue son combat contre toute forme de censure et pour la liberté d’expression. Dès lors, cette figure d’homme qui se bat contre les autorités rejoint largement les thématiques chères au cinéaste, lui qui a affronté dans sa jeunesse la raideur communiste au point de choisir l’exil.
Un portrait peu flatteur, mais lucide
Et de fait, la figure de Larry Flynt s’ajoute au long cortège de ces personnages iconoclastes qui parcourent l’œuvre entière de Forman, que ce soit le sociopathe incarné par Jack Nicholson dans Vol au-dessus d’un nid de coucou (1975), les hippies de Hair (1978) ou bien le tempétueux Wolfgang Amadeus Mozart dans son chef d’œuvre de 1984. Chantre de la liberté sous toutes ses formes, Milos Forman voit dans ce projet l’occasion d’adresser un message fort à tous les conservateurs à l’œuvre dans son pays d’adoption, les Etats-Unis.
Pour cela, il s’applique à décrire de manière très classique, quasiment académique, le destin contrarié de cet homme du peuple qui trouve à s’enrichir par le biais de la pornographie. Forman ne s’attarde d’ailleurs pas beaucoup sur cet aspect du personnage, mais il ne lui dresse pas un piédestal en montrant bien qu’il s’enrichit sur le dos de ses modèles dont il profite également sur le plan sexuel. Le portrait de l’homme n’est guère flatteur et sa tendance à ne penser qu’à l’argent ne le rend pas franchement aimable.
Larry Flynt se bat pour la liberté d’expression
Pourtant, en se focalisant très rapidement sur ses problèmes avec la censure, Milos Forman parvient à faire de l’homme un étendard de la liberté d’expression. Comme le souligne très bien le cinéaste dans ses entretiens ultérieurs, son but n’était pas de faire du pornocrate un modèle de vertu, loin de là, mais que l’on aime ou non ses productions, il doit pouvoir s’exprimer dans un pays qui se veut le chantre de la liberté d’expression. Libre aux gens d’acheter ou non ses magazines.
Dans Larry Flynt, Milos Forman s’attaque donc essentiellement aux conservateurs de tous bords. Il met en avant cette figure provocatrice qui n’hésite pas à venir au tribunal avec le drapeau américain recouvrant ses parties intimes telle une couche culotte. D’ailleurs, le magnat de la presse, multimillionnaire grâce à son empire de papier, est aussi présenté comme un drogué notoire, souvent à la limite de la folie et de la sociopathie. Pour autant, son combat n’en demeure pas moins important pour permettre un respect du 1er amendement. C’est donc ce qu’illustre de manière assez scolaire ce biopic académique qui offre des prestations d’acteurs intéressantes.
Des acteurs parfaitement dirigés
Ainsi, Larry Flynt ne serait pas aussi réussi sans l’implication de Woody Harrelson qui s’est parfaitement glissé dans la peau du millionnaire. Il en reprend notamment la voix très grave, le roulement rocailleux des consonnes et la tendance à chiquer qui peut d’ailleurs énerver. Face à lui, on peut admirer le jeu très intense de l’excellente Courtney Love qui incarne l’amour incandescent de Larry Flynt qui se consume dans la drogue. D’abord solaire, le personnage s’effondre dans la dépendance et la performance de Courtney Love devient troublante, rappelant notamment ses propres errances au côté de son défunt mari Kurt Cobain (décédé deux ans auparavant). Sa performance illumine en tout cas le film et lui offre un cachet inimitable.
Enfin, le tout jeune Edward Norton parvient à s’imposer dans le rôle pourtant ingrat de l’avocat timide qui contraste avec la personnalité volcanique de son client. Relevé par un humour bienvenu, Larry Flynt s’en prend donc à une société américaine puritaine qui ne cesse de vouloir condamner les gens qui ne pensent pas comme elle. Il flingue toute forme de conservatisme religieux et l’hypocrisie d’une certaine société bourgeoise avec une intense jubilation.
Un film illustratif qui manque de folie sur le plan formel
Malheureusement, cela n’est pas toujours soutenu par une réalisation vraiment enthousiasmante. Alors que Milos Forman a toujours fait preuve d’une grande imagination visuelle, Larry Flynt est sans nul doute son film le moins intéressant sur le plan formel. D’ailleurs, lors d’entretiens ultérieurs, le directeur de la photographie Philippe Rousselot a précisé que le travail de Forman sur le film a été essentiellement consacré au jeu des acteurs et non à la mise en forme. Ainsi, sa propre photographie ne ressort guère d’un ensemble passable, mais jamais remarquable.
Sorti aux Etats-Unis au mois de décembre 1996 dans une combinaison de salles limitée, Larry Flynt a commencé à glaner de bonnes critiques et à susciter un intérêt de la part du grand public. Pourtant, les problèmes ont réellement commencé au mois de janvier 1997 lorsque le métrage a glané quelques récompenses et qu’il s’est étalé dans tous les cinémas du pays. Son affiche a fait scandale et le métrage a été attaqué, aussi bien par la droite conservatrice pour ses provocations religieuses que par la gauche féministe qui y voyait une glorification d’un pornocrate. Larry Flynt a clairement souffert de cette cabale et le film n’a remporté aucun Oscar sur ses deux nominations, tandis que le succès fut médiocre avec seulement 20,3 M$ (soit 39,2 M$ au cours de 2023) pour un budget conséquent de 36 M$ (soit 69,6 M$ au cours de 2023).
Un écho plus favorable en Europe qu’aux Etats-Unis
Au moment même où il remporte l’Ours d’Or au Festival de Berlin, la sortie française de Larry Flynt a également été émaillée de contestations de la part des plus extrêmes des catholiques à cause de son affiche provocatrice. A Paris, le biopic à scandale s’affiche dans 28 cinémas et cumule 75 738 pornocrates en première semaine. Le film perd quelques écrans et s’écroule à 41 569 retardataires la septaine suivante. La descente se poursuit en troisième semaine avec 25 256 spectateurs, puis 12 238 au bout d’un mois d’exploitation. Finalement, Larry Flynt n’a attiré que 175 058 Franciliens en moins de deux mois.
En ce qui concerne la France entière, le long s’incruste à la sixième place du box-office national pour sa semaine de sortie avec 190 243 petits cochons dans les salles. Il se maintient plutôt bien en deuxième septaine et franchit même les 300 000 tickets vendus. Pourtant, les semaines suivantes, le biopic perd jusqu’à 50 % de ses entrées d’une semaine sur l’autre, preuve qu’il a rapidement épuisé son potentiel de spectateurs. Au bout d’un mois d’exploitation, Larry Flynt franchit les 400 000 billets et s’arrête finalement aux portes des 500 000 à la fin du mois d’avril 1997.
Edité rapidement en VHS, puis en DVD, le long-métrage est resté longtemps sans exploitation vidéo jusqu’à la sortie fin 2022 d’un superbe mediabook par l’éditeur Wild Side Vidéo. Outre la présence d’un master restauré d’une très belle tenue, l’ensemble bénéficie de nombreux suppléments passionnants, ainsi que d’un livre central superbe. Un must have pour tous les cinéphiles amoureux du cinéma de Milos Forman, même si Larry Flynt n’est pas son meilleur ouvrage.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 19 février 1997
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Mots clés
Biopic, La presse au cinéma, La drogue au cinéma, Les handicapés au cinéma