A la fois drôle, délirant et percutant, L’abominable docteur Phibes n’a pas volé son statut de film culte tant il apparaît comme l’un des meilleurs films d’horreur britanniques des années 70.
Synopsis : Le docteur Phibes ne peut pardonner la mort de sa femme, survenue au cours d’une opération chirurgicale. Reproduisant les plaies d’Egypte, relatées dans la Bible, il commence à supprimer les chirurgiens qu’il juge responsables. Piqûres d’insectes, morsures de chauve-souris opèrent leur œuvre macabre…
Un script sombre largement modifié par Robert Fuest
Critique : Au début des années 60, deux chimistes de profession décident de se lancer en amateur dans la rédaction d’un scénario. James Whiton et William Goldstein inventent ainsi le personnage du docteur Pibe (qui deviendra Phibes) qui compte se venger des chirurgiens ayant opéré sa femme et ne sont pas parvenus à lui sauver la vie. Le script comporte 400 pages touffues, très sombres et dénuées du moindre humour. Ils mettent plusieurs années à trouver preneur en la personne d’un autre amateur nommé Ron Dunas. C’est lui qui parvient à convaincre les producteurs de la firme AIP (American International Pictures) d’acheter les droits de ce scénario dingue.
Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson proposent le projet au réalisateur Robert Fuest qui venait tout juste de signer un étrange thriller (And Soon the Darkness), suivi des Hauts de Hurlevent, un joli succès en 1970. Fuest se dit intéressé par le projet, à condition qu’il puisse revoir de fond en comble le script pour y injecter une bonne dose d’humour. Il transpose l’action des années 60 aux années 20, y imprime l’esthétique Art Déco typique du long-métrage et ajoute toutes les notations postmodernes qui séduisent tant de nos jours. Le travail effectué par Robert Fuest est donc considérable, même s’il a gardé le gros de la trame d’origine, à savoir la multiplication de meurtres tous inspirés des dix plaies d’Egypte.
Phibes ou les débuts du film d’horreur postmoderne
Avec L’abominable docteur Phibes (1971), le cinéma horrifique entre donc dans une forme de modernité qui laisse le studio Hammer loin derrière lui. En situant l’intrigue au début du 20ème siècle, Robert Fuest en profite pour rendre hommage à tout un pan culturel admirable. Ainsi, son film s’inspire largement du Fantôme de l’opéra de Rupert Julian (1925), mais aussi du cinéma de Louis Feuillade, et notamment Fantômas (1913). On songe bien entendu également au Docteur Mabuse de Fritz Lang (1922). Autant d’œuvres majeures du cinéma muet qui sont convoquées ici et magnifiées dans une esthétique bariolée et volontairement kitsch, pour ne pas dire Camp.
Si L’abominable docteur Phibes se fonde sur une tradition cinématographique ancienne, il n’en demeure pas moins très original par le ton employé, fort proche de la dérision. Cet humour si britannique dans l’âme a pu nourrir des cinéastes postmodernes comme Wes Craven, en se livrant à une déconstruction des clichés horrifiques. Toutefois, on peut également trouver des traces de Phibes dans des films comme Phantom of the Paradise (De Palma, 1974) ou même Saw (Wan, 2004), puisque l’un des stratagèmes de Jigsaw est carrément repris du film de Robert Fuest – il s’agit de la clé permettant de se libérer d’un piège mortel se trouvant à l’intérieur du corps de celui qui est prisonnier.
Une multitude de scènes culte, à la fois drôles et sadiques
Objet cinématographique dingue qui ose des meurtres complètement fous, le tout sur un ton primesautier, L’abominable docteur Phibes s’inscrit également parfaitement dans la carrière de Robert Fuest qui a réalisé plusieurs épisodes de la série Chapeau melon et bottes de cuir, connue justement pour son absence de limites dans le délire psychédélique. Il serait ici fastidieux de revenir sur la multitude de scènes culte qui émaillent la projection. On adore particulièrement le gag cartoonesque du médecin empalé par une licorne sculptée en cuivre ou encore le sadisme du meurtre avec les criquets, particulièrement original et dégoûtant. Mais il faudrait finalement tous les citer jusqu’à ce magnifique final emphatique et inattendu qui clôt une œuvre en tout point remarquable.
Porté par une réalisation très inspirée, le long-métrage bénéficie également d’acteurs chevronnés. Vincent Price étonne dans un rôle où il ne peut se servir de sa voix pour charmer l’auditoire. Il n’a à sa disposition que ses yeux et sa gestuelle pour donner vie à ce mort en sursis et il s’en sort avec les honneurs. Joseph Cotten est également convaincant, même si on lui préfère Peter Jeffrey qui compose un inspecteur Trout d’anthologie.
Un film culte disponible dans une édition de qualité
A la fois intrigant, drôle, effrayant et totalement dingue, L’abominable docteur Phibes a connu un certain succès lors de sa sortie initiale, parvenant même à obtenir de bonnes critiques dans un genre alors très méprisé. En France, ils ne furent toutefois que 111 375 amateurs à avoir fait le déplacement sur tout le territoire. Cela n’a pourtant pas empêché le film de faire l’objet d’un culte totalement mérité, tandis que son inévitable suite (Le retour de l’abominable docteur Phibes en 1972) a très largement déçu.
Disponible depuis peu dans un joli Mediabook édité par ESC Editions, le film dispose d’une très belle copie restaurée, avec une définition très satisfaisante et des couleurs pimpantes. La galette est également agrémentée d’un supplément passionnant de 52 minutes où le critique Pascal Françaix se livre à une analyse pertinente du film. Avec son petit livret traditionnel écrit par Marc Toullec, le métrage bénéficie là d’une édition de qualité que l’on vous conseille.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 4 juillet 1973
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