La véritable histoire d’Abe Sada traite le même sujet que L’empire des sens de Nagisa Oshima pour une œuvre plus timorée, mais plutôt maîtrisée. Un film à découvrir.
Synopsis : Reconstitution d’une affaire criminelle qui défraya la chronique au Japon dans les années 30 : une femme et un homme vivent une passion amoureuse et sexuelle qui les consume au point d’aller jusqu’au crime.
La même histoire que L’empire des sens, traitée un an auparavant
Critique : Depuis les débuts de la Nouvelle Vague japonaise dans les années 60, les réalisateurs nippons ont bousculé les règles de la censure en tournant des films érotiques très osés et souvent assez dérangeants car mêlant sexe et violence. Ce fut le cas de films comme Eros + massacre (1969) de Yoshishige Yoshida, ainsi que toute la filmographie du jeune Nagisa Oshima. Ce dernier est particulièrement important puisqu’il s’est lui aussi inspiré de l’affaire Abe Sada pour livrer son œuvre la plus sulfureuse, L’empire des sens (1976).
Réalisé un an auparavant, le film de Noboru Tanaka souffre forcément de la comparaison puisque les deux réalisateurs ont une vision assez proche de cette affaire. Pourtant, là où Oshima a opté pour le scandale en filmant en gros plan des actes sexuels non simulés et en terminant son film sur une scène gore d’émasculation, Tanaka a préféré rester dans des normes plus acceptables. Finalement, son film, pourtant franchement intéressant, a été éclipsé par le succès international de son rival.
Une bonne dose de sadomasochisme
Moins habile qu’Oshima dans les scènes d’intérieur, le cinéaste parvient tout de même à nous accrocher grâce à une histoire très forte et très bien interprétée. Ici, les scènes de sexe sont simulées, mais elles sont tout de même efficaces. Le spectateur peu habitué aux films érotiques japonais seront sans doute déstabilisés par ce cocktail détonant de sexe, de violence, de sadomasochisme, de meurtre et de castration. Tous les ingrédients sont présents pour faire réagir le spectateur, tout en donnant une chance au personnage féminin, finalement victime d’une société machiste, véritable rouleau compresseur de toute féminité.
Spécialiste du pinku eiga, Noboru Tanaka fait plutôt partie des bons faiseurs du studio Nikkatsu qui s’est lancé dans ce filon afin d’enrayer la chute des entrées constatées au début des années 70 au Japon. Afin d’attirer le public – surtout masculin – dans les salles, le studio a mis sur le marché dès 1971 un nombre impressionnant d’œuvres généralement courtes (75 min) au sein d’une collection appelée roman porno. Toutefois, le terme ne doit pas égarer le spectateur européen puisqu’il désigne des films à forte teneur érotique dont tous les actes sexuels demeurent simulés, eu égard à la censure japonaise qui veille. C’est d’ailleurs à cause de cette sévérité que Nagisa Oshima n’a pu tourner son Empire des sens qu’en coproduction avec la France.
Une sortie tardive en France en 1990 et plusieurs éditions en vidéo
Film oublié, et surtout méconnu, La véritable histoire d’Abe Sada a tout de même eu le droit à une belle sortie en France au mois de juin 1990 par Les Films sans frontières, dans le cadre d’une rétrospective au cinéma Racine de 5 romans pornos, sous le titre des 5 chefs-d’oeuvre du cinéma érotique japonais qui bénéficia même d’une superbe affiche et d’une Une promotionnelle en couverture du Pariscope.
En première semaine, le succès est colossal avec pas moins de 4 611 Parisiens. Le 14 Juillet Odéon est ajouté au circuit parisien en 2e semaine pour 3 657 tickets supplémentaires. A l’issue d’une incroyable carrière estivale de 11 semaines, 5 chefs-d’oeuvre du cinéma érotique japonais achève son parcours à 20 868 spectateurs au cinéma Le Bastille où il avait tout de même passé 6 semaines consécutives. Attention, les entrées sont globales et comprennent également, en réalité, les 4 autres classiques sélectionnés par le distributeur : La maison des perversités, Rue de la joie, La barrière de la chair et Marché sexuel des filles. Au plus fort de sa programmation, ce sont quatre écrans parisiens qui ont fait monter la chaleur durant cet été 1990.
La véritable histoire d’Abe Sada sera édité en VHS en 1996. Par la suite, le long métrage a profité de la redécouverte de ce pan entier de la cinématographie japonaise au cours des années 2000 par l’entremise du DVD. Il fut donc édité en DVD simple, mais aussi en coffret chez Arcadès.
Désormais, le long métrage a été inclus dans le sublime coffret consacré par Carlotta au film de Nagisa Oshima. Son cocktail détonnant de sexe et de violence mérite bien un détour, notamment pour tous ceux qui trouvent le film d’Oshima trop excessif. L’ensemble demeure toutefois à réserver à un public averti.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 13 juin 1990
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Biographies +
Noboru Tanaka, Junko Miyashita, Eimei Esumi (Hideaki Ezumi)
Mots clés
Cinéma japonais, Films érotiques, Le sadomasochisme au cinéma, La violence faite aux femmes au cinéma