L’Empire des sens : la critique du film + test Ultra HD 4K (1976)

Drame | 1h45min
Note de la rédaction :
10/10
10
Affiche française de L'Empire des sens

  • Réalisateur : Nagisa Oshima
  • Acteurs : Tatsuya Fuji, Eiko Matsuda, Akiko Koyama
  • Date de sortie: 15 Sep 1976
  • Nationalité : Japonais, Français
  • Titre original : Ai no korîda
  • Scénario : Nagisa Oshima
  • Distributeur : Argos Films
  • Distributeur (reprises) : Argos Films (7 juillet 1982), Argos Films (14 juillet 1993), Tamasa Distribution (12 juillet 2017)
  • Éditeur vidéo : Polygram, (VHS, première édition, 1982), Hollywood Vidéo (VHS, seconde édition, 1985), Carlotta
  • Date de sortie vidéo : DVD (Arte, 2003), Coffret blu-ray/DVD (Arte), 18 juin 2024 (Carlotta, Blu-ray.4K)
  • Box-office France / Paris-périphérie : 1 730 874 entrées / 788 386 entrées - 72 638 entrées Paris (reprise du 7 juillet 1982) 53 237 entrées Paris (reprise du 14 juillet 1993), 3 028 entrées Paris
  • Festivals : Cannes 1976 : Quinzaine des Réalisateurs - Cannes Classics 2017
  • Classification : Interdit aux moins de 18 ans à sa sortie - Interdit aux moins de 16 ans après révision
  • Récompenses : Festival de Chicago 1976 : Prix spécial du Jury
  • Formats : 1.66 : 1 / Couleur (35 mm) / Mono
  • Illustrateur : Roger Boumendil
  • Crédits visuel : Copyright Argos Films - Oshima Productions - Photos fournies par Tamasa Distribution - Affiche originale par Roger Boumendil (agence : Promo 505)
Note des spectateurs :

L’Empire des sens, film le plus célèbre de Nagisa Oshima, dépasse son sujet sulfureux pour proposer une vision désenchantée des rapports humains.

Synopsis : 1936, dans les quartiers bourgeois de Tokyo. Sada Abe aime épier les ébats amoureux de ses maîtres et soulager de temps à autre les vieillards libidineux. Son patron, l’aubergiste Kichizo, bien que marié, va bientôt manifester son attirance pour elle et l’entraîner dans une escalade érotique qui ne connaîtra plus de bornes.

L’amour à mort

Critique : Produit par Anatole Dauman, L’Empire des sens est basé sur un fait divers ayant défrayé la chronique : Sada Abe avait été retrouvée errant dans les rues, après avoir assassiné et castré son amant. Oshima s’était jusqu’alors penché sur des problèmes davantage sociopolitiques, en osmose avec la société japonaise de son temps, abordant le malaise de l’adolescence dans Contes cruels de la jeunesse (1959), ou la peine de mort dans La Pendaison (1968). Pourtant, L’Empire des sens évoque aussi, en mode plus implicite, la question des rapports sociaux. Ancienne geisha devenue servante, Sada va entrer dans une relation fusionnelle avec Kichizo, membre de la petite bourgeoisie, qu’elle dépossédera du plus intime de lui-même.

L'Empire des sens de Nagisa Oshima, reprise 4K

© 1976 Argos Films – Oshima Productions

On peut y voir une métaphore de la vengeance des opprimés, faisant écho au retournement de situation disséqué par Joseph Losey et Harold Pinter dans The Servant (1963). On peut aussi y lire un témoignage sur une tendance de la culture japonaise, remontant au Xe siècle, valorisant le « savoir aimer » au sein de la classe aristocratique et un raffinement des mœurs sexuelles, en dépit de la brutalité de la dernière partie du film, davantage en phase avec l’ère des samouraïs.

L’Empire des sens ou le succès de scandale de l’année 1976

Loin de surfer sur la vague érotique et cinématographique des années 70 (le public de Just Jaeckin et Gérard Damiano ne fut pas la cible des producteurs), L’Empire des sens échappe à l’obscénité par la rigueur de ses plans et l’épure de sa mise en scène, sans chercher la séduction consensuelle : Oshima refuse l’esthétisme de salon, en dépit de la photo léchée de Hideo Itô, chef opérateur de Kôji Wakamatsu (Les Anges violés), et d’un décor de Jusho Toda qui privilégie un cadre feutré. Concernant son art, Oshima a déclaré dans Écrits : 1956-1978 (Cahiers du Cinéma Gallimard) : « Au début je me tenais pour quelqu’un qui souhaitait détruire toutes les esthétiques et cependant, de film en film, je découvre une esthétique qui m’est propre […] Si je devais m’en expliquer, il y aurait échange entre une forme d’ascèse et un sentiment ineffablement épicurien ».

Cette auto-analyse convient pleinement à L’Empire des sens qui pourra aussi faire songer aux récits de Bataille, Artaud et Sade. Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 1976, le film connut un succès mondial mais sortit dans une version tronquée au Japon, Oshima ayant même fait l’objet d’un procès, à l’issue duquel il fut acquitté.

Critique de Gérard Crespo

L'Empire des sens de Nagisa Oshima, affiche de la reprise 4K

Visuel reprise par Tamasa Films – © 1976 Argos Films – Oshima Productions

Scandale à Cannes

Cannes présenta le film à la Quinzaine dont il eut l’honneur de faire l’ouverture. L’acquisition se fit à l’issue de sa présentation au festival de Berlin. A noter qu’en 1976, Martin Scorsese décrochait la Palme avec Taxi Driver, et Alfred Hitchcock, qui célébrait ses 50 ans de carrière, clôturait cette édition avec son 53e et ultime film, Complot de famille.

En 2017, le film bénéficie d’une splendide restauration 4K ; logiquement, la copie est dévoilée sur la Croisette, dans le cadre de Cannes Classics. Il ressortira en salle cette même année sous l’impulsion du distributeur Tamasa. Le scandale n’est plus au rendez-vous. La fascination demeure.

Box-office de L’Empire des sens

  • 27 884 entrées en première semaine sur Paris-Périphérie. L’Empire des sens est alors à l’affiche du Saint-André des Arts, le Balzac, l’Elysée Lincoln et le Gaumont Opéra. Les sites affichent complets. Sur Paris et les 11 villes clés sondées à l’époque, le triomphe japonais entre en 10e place nationale, avec cette poignée de salles. En deuxième semaine, L’Empire des sens reste d’une magnifique stabilité avec 24 615 curieux sur la capitale.
  • Nagisa Oshima doit affronter le jour de sa sortie le dernier Visconti, L’innocent, la comédie loufoque Dracula père et fils, avec Menez et le grand Christopher Lee, mais aussi Les affamées du désir, Au pays de la magie noire, Anthologie du vice, Le Colosse de Rhodes (reprise), Mission Spéciale aux Caraïbes, Les inassouvies…
  • En 50e semaine, un an après sa sortie, L’Empire des sens était toujours à l’affiche sur Paris, avec 2 670 spectateurs pour un total loin d’être définitif de 321 518 entrées. La salle était le seul moyen pour découvrir cet objet de curiosité. Le Saint-André des Arts et Le Balzac, sur les Champs-Elysées, le gardèrent à l’affiche pendant plusieurs années.
  • La première reprise officielle du film scandale eut lieu la semaine du 7 juillet 1982. Ce retour dans les cinémas hexagonaux réussit une fois de plus à le hisser dans le top 20 parisien, avec  7 840 entrées en première semaine, dans seulement 6 salles (l’Elysée Lincoln, le Forum Cinéma, le Quintette Pathé, le Saint-Lazare Pasquier, le Lumière et les Parnassiens). Un succès tout au long de l’été 1982.
L'Empire des sens de Nagisa Oshima, reprise Tamasa Films

© 1976 Argos Films – Oshima Productions

X, porno ou juste une œuvre interdite aux moins de 18 ans ?

L’Empire des sens a eu chaud en France. Durant l’été 1976, la commission de classification a été à deux doigts de le classer X. In fine, elle proposa un verdict plus indulgent, une interdiction aux moins de 18 ans avec avertissement :

La commission de contrôle a constaté des scènes de sexualité et de cruauté qui auraient pu appeler, en d’autres cas, des mesures d’interdiction catégoriques. Cependant, il est apparu que le rituel qui s’exprime dans une écriture cinématographique de très haute qualité obligeait à tempérer l’appréciation et à considérer le message de plus haut.

Avertissement : Interdit aux mineurs, “à réserver à un public de parfait sang-froid“.

Pour mémoire, à cette époque, d’autres films subversifs avaient susciter des débats. Emmanuelle II avait été injustement classé X quand Salò et les 120 jours de Sodome avait échappé de peu à l’interdiction totale, avant de se retrouver contraints à une sortie limitée et à une interdiction aux moins de 18 ans.

Sorties de la semaine du 15 septembre 1976

LES COFFRETS ULTRA COLLECTOR DE CARLOTTA

Affiche française de L'Empire des sens

Illustrateur :  Roger Boumendil  – Copyright 1976 Argos Films – Oshima Films

Test Blu-ray 4K (2024)

Plus de 13 ans après sa dernière édition vidéo chez Arte, L’empire des sens réapparaît en galette bleue chez l’éditeur Carlotta. A cette occasion, l’éditeur propose également une édition simple blu-ray 4K ou une édition Ultra Collector Blu-Ray 4K 2 UHD + 2 blu-ray qui fait référence en France. C’est cette dernière que l’on nous a transmise. Elle est sublime, avec notamment un ouvrage et pas moins de deux films supplémentaires en blu-ray. Tout d’abord, l’éditeur nous gratifie du film suivant d’Oshima, L’empire de la passion (1978), et d’une œuvre qui a précédé L’empire des sens, en 1975 et abordant le même récit : La véritable histoire d’Abe Sada de Noboru Tanaka. Encore un très grand film. Les trois réunis dans un coffret, c’est quelque peu jubilatoire.

Edition limitée à 3 000 exemplaires. Ils partiront vite.

Coffret Ultra Collector L'empire de la passion + L'empire des sens + La véritable histoired'Abe Sada (2024, Carlotta)

Coffret Ultra Collector L’empire de la passion + L’empire des sens + La véritable histoired’Abe Sada (2024, Carlotta) Illustrateur 2024 : Visuel exclufi d’Adam Juresko. ©Argos Films

Compléments et packaging 5/5

Avec son visuel signé Adam Juresko qui a travaillé pour Criterion et AMC, le packaging du 27e coffret Ultra Collector de Carlotta est esthétiquement très beau, avec une forte volonté d’aller sur le mauve.

Outre les deux disques UHD, on trouve un magnifique ouvrage de près de 160 pages, l’un des mieux illustrés de la collection, avec de nombreux clichés de tournage, de films et d’affiches, sans oublier des photos de Paris et de ses cinémas, lors de la sortie mémorable de cette œuvre sulfureuse, défendue par Jacques Chirac en personne qui lui a évité l’opprobre d’un classement X.

Superbe.

Dirigé par Stéphane Du Mesnildot, l’ouvrage intitulé La Révolte de la Chair, englobe une analyse des trois films et revient sur la valeur politique du film dans la carrière d’un cinéaste de la nouvelle vague japonaise qui avait plus d’une vingtaine de longs métrages à son actif. Chantre de la liberté d’expression, Oshima est au cœur de cet ouvrage et évidemment des suppléments, à savoir plus de deux heures relatives au seul film L’Empire des Sens. La genèse du film, déclinée sur 41 minutes, est un bon complément à l’ouvrage. Evidemment, on y parle énormément de la France, via Argos Films et Anatole Dauman (Paris, Texas), pour souligner le rôle central de celle-ci pour contourner la censure nippone. 26 minutes sont consacrées à l’actrice iconique et malheureusement décédée Eiko Matsuda. Sa carrière quelque peu tragique est traitée non sans émotion.

Une émission d’Arte, datant de 2011, est proposée. Il était une fois… L’empire des sens, avec des interventions de Catherine Millet ou Catherine Breillat, a été parfaitement restauré pour satisfaire sa présence en UHD ou Blu-ray. C’est une bonne synthèse de tous les autres suppléments et du livre en 54 minutes.

On notera la présence de 12 minutes de scènes coupées et d’une bande-annonce.

Image : 4.5 / 5

Il s’agit du master 4K qui avait été proposé à Cannes Classics, en 2017, et donc lors de sa ressortie en salle chez Tamasa. On est très loin de l’édition blu-ray d’Arte de la fin des années 2000 et de celle, en DVD, chez le même éditeur, proposé avec cette restauration 4K il y a quelques années.

L’apport colorimétrique est impressionnant de détails dans ce tableau visuel flamboyant, fait de cadres et d’intérieurs à la gloire du directeur de la photographie. Tout est restauré de façon propre sans être clinique, avec le soin d’un contraste aux oignons.

Son 4/5

Point de chichis, L’empire des sens conserve le Mono qui est le sien depuis 1976, mais en DTS HD Master Audio. L’éditeur a d’ailleurs conservé la version française d’époque en alternative à la piste japonaise. Point de souffle, mais une vraie pictographie du mot, avec une diction préservée dans un ensemble qui ne relève pas du monolithe sonore. La piste VO reste toutefois plus pertinente.

Une piste en audiodescription 2.0 est proposée pour les sourds et malentendants.

Frédéric Mignard

Le site de l’éditeur Carlotta

Edition 4K de L'Empire des sens (Carlotta, 2024)

Edition 4K de L’Empire des sens (Carlotta, 2024) ©Argos Films

LES COFFRETS ULTRA COLLECTOR DE CARLOTTA

L’Empire de la passion

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Affiche française de L'Empire des sens

Bande-annonce de L'Empire des sens

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