Wu xia pian d’origine taïwanaise, La revanche du dragon noir est une œuvre à l’esthétique superbe rehaussée par une intrigue archétypale, mais qui sait se faire touchante. Une très belle (re)découverte.
Synopsis : À l’âge de six ans, Tsai Ying-jie assiste au massacre de sa famille orchestré par cinq seigneurs malfaisants dans le but de s’emparer de la légendaire Épée Chasseuse d’Âmes. Bien des années plus tard, devenu maître dans le maniement de la lame, le jeune homme part à la recherche des assassins de ses parents afin de venger leur mort. Au cours de sa quête meurtrière, Tsai Ying-jie sera secouru par l’intrépide Hirondelle. Mais il ignore que cette dernière n’est autre que la fille de Yun Chung-chun, l’un des hommes sur sa liste…
Le premier wu xia pian du réalisateur Joseph Kuo
Critique : Cinéaste taïwanais spécialisé jusqu’alors dans les drames romantiques, Joseph Kuo découvre au cinéma L’hirondelle d’or (King Hu, 1966) et il tombe littéralement sous le charme de ce wu xia pian (ou film de héros martial) fondateur. Dès lors, il envisage d’en écrire et d’en réaliser un qui se nommerait La revanche du dragon noir (1968). D’ailleurs, le réalisateur tourne son propre film à Taïwan, exactement au même moment que King Hu qui met en boite son futur classique Dragon Inn (1967). Cela apporte une preuve supplémentaire de la vitalité cinématographique de l’île en ce milieu des années 60.
Afin de s’inscrire pleinement dans un genre très codifié, Joseph Kuo écrit un scénario très simple qui fait appel à un canevas suffisamment large pour lui offrir des échappées plus personnelles sur le plan esthétique. Il s’agit donc d’une énième histoire de vengeance familiale, comme on peut en découvrir à la pelle durant cette décennie où triomphe les genres du wu xia pian en Asie et le western italien en Europe et aux Etats-Unis.
Comme un air de western à l’italienne
Le rapprochement n’est aucunement étrange puisque les deux genres obéissent souvent aux mêmes règles, tandis qu’ils se tutoient sur le plan stylistique. N’oublions pas que Sergio Leone s’est largement inspiré du cinéma asiatique, et particulièrement japonais, pour créer le genre du western à l’italienne. Mais par juste retour des choses, les œuvres transalpines ont infusé ensuite dans la production asiatique, établissant une fusion des continents particulièrement passionnante à étudier.
Ici, Joseph Kuo s’inspire majoritairement du cinéma de King Hu, mais certains duels qui multiplient les gros plans sur les yeux des belligérants ne peuvent qu’évoquer le cinéma de Sergio Leone et de ses confrères. En ce qui concerne les combats, la stylisation est encore grandement de mise. Même si l’on note quelques excès de gore avec des membres tranchés et quelques passages plus sanglants, Joseph Kuo ne souscrit pas encore aux geysers de sang qui s’imposeront progressivement dans le genre. Il préfère largement chorégraphier les évolutions des antagonistes qui sont généralement intégrés au cœur de paysages sublimes (héritage évident de King Hu sur ce plan).
Beaucoup d’action, mais aussi de la sensibilité
Ainsi, les combats ont lieu en milieu clos (taverne, école de kung fu), mais aussi et surtout au bord de la mer, dans des étendues de roseaux sauvages ou face à des cascades d’eau. On notera l’attention maniaque portée à la photographie dans un ensemble qui est d’une belle cohérence sur le plan esthétique, même si l’on peut regretter quelques accélérations malheureuses. Dans tous les cas, La revanche du dragon noir déploie ses charmes avec constance.
Mais bien entendu ce qui différencie ce long métrage du tout-venant de la production de l’époque vient d’un script plus fouillé sur le plan psychologique. Ainsi, le long métrage interroge la pertinence de la loi du talion. Le héros du film entreprend une terrible et implacable vengeance qui en fait une machine à tuer. Pour autant, est-il encore capable de se comporter comme un être humain doué de libre arbitre ? Est-ce que la repentance est possible pour un ancien meurtrier ? Les êtres humains ont-ils droit à une seconde chance dans la vie ou sont-ils condamnés éternellement pour leurs fautes passées ? Voilà ce qu’entreprend de raconter Joseph Kuo à travers ce drame poignant où le méchant n’est pas forcément celui que l’on croit.
La revanche du dragon noir est devenu La vengeance du dragon noir en 2024
Doté d’un réel sens de la psychologie qui lui vient sans doute de ses années de formation où il tournait des mélodrames romantiques, Joseph Kuo apporte donc à son film de genre une plus-value d’autant plus étonnante qu’elle n’intervient que durant un dernier quart d’heure qui bouleverse fortement. On peut aussi apprécier l’extrême beauté du duel final entre le héros vengeur et le dragon noir (on notera donc l’incongruité du nouveau titre choisi en 2024 puisque La vengeance du dragon noir est un contre-sens total, le dragon noir n’étant pas le personnage qui cherche à se venger). Cet ultime affrontement situé sur une plage où se dressent quelques arbres morts est d’une très grande beauté plastique, d’autant qu’il débouche sur l’image forte d’un sabre planté dans le sable et progressivement submergé par la marée montante, comme pour mieux enterrer les haines du passé.
Décidément très réussi, La revanche du dragon noir a marqué l’histoire du cinéma taïwanais et a permis à son réalisateur de gagner un billet aller pour Hong Kong où il a tourné une bonne quarantaine de films d’arts martiaux jusque dans les années 80. En France, il a fallu attendre 1974 et la vogue du film de kung fu pour découvrir le film en salles, distribué par Parafrance à partir du mercredi 21 août 1974, lourdement interdit aux moins de 18 ans pour ses scènes de violence. A Paris, il ne reste qu’une semaine à l’affiche. Parafrance lui trouve 7 écrans à Paris-Périphérie. Il trouve 8 506 spectateurs, dont 2 948 entrées au Max Linder et 3 200 au Moulin Rouge. Parallèlement, Karaté à Canton, dans 3 salles, disposait de 15 082 spectateurs et s’octroyait la 10e place. La meilleure entrée de la semaine, Attention, on va s’facher, avec Bud Spencer et Terence Hill, faisait une entrée remarquée en 3e place, avec 40 098 spectateurs.
Cette œuvre superbe a connu ensuite une véritable résurrection au début de la décennie 2020 grâce à une restauration 2K effectuée à Taïwan, avec l’aide de Joseph Kuo en personne. Repris en salles en mai 2024 par Carlotta sous le titre La vengeance du dragon noir, le wu xia pian a désormais le droit à une superbe édition blu-ray qui lui offre un écrin de choix.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 21 août 1974
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