Dans La prochaine fois je viserai le cœur, les déviances d’un gendarme tueur, inspiré par le psycho killer Alain Lamare, suscitent l’effroi. Guillaume Canet est saisissant.
Synopsis : Pendant plusieurs mois, entre 1978 et 1979, les habitants de l’Oise se retrouvent plongés dans l’angoisse et la terreur : un maniaque sévit prenant pour cibles des jeunes femmes.
Après avoir tenté d’en renverser plusieurs au volant de sa voiture, il finit par blesser et tuer des auto-stoppeuses choisies au hasard. L’homme est partout et nulle part, échappant aux pièges des enquêteurs et aux barrages. Il en réchappe d’autant plus facilement qu’il est en réalité un jeune et timide gendarme qui mène une vie banale et sans histoires au sein de sa brigade. Gendarme modèle, il est chargé d’enquêter sur ses propres crimes jusqu’à ce que les cartes de son périple meurtrier lui échappent.
Photo : Jean-Claude Lother – Copyrights : Sunrise Films – Les Productions du Trésor – Caneo Films – Mars Films
La prochaine fois je viserai le cœur, une date du polar français
Critique : Une fois n’est pas coutume, la production hexagonale suscite le malaise dans le cinéma de genre. Pas dans l’horreur viscérale d’un Martyrs, mais dans le polar du terroir poisseux, où il s’est rarement distingué avec les honneurs, si l’on écarte les entités belges épatantes que sont Calvaire et C’est arrivé près de chez vous. Cédric Anger, qui nous avait laissé des impressions contrastées jusqu’ici (le tortueux Le tueur imposait un conflit psychologique atypique quand L’avocat partait sur de bonnes intentions avant de s’écraser en route), aborde l’affaire Alain Lamare, gendarme schizophrène qui avait sévi dans les années 70, toujours interné aujourd’hui, avec un stoïcisme glaçant.
Et Dieu créa le monstre
Avec un style visuel qui donne du relief à l’Oise terne des années 70, Anger effectue un retour saisissant dans les faits divers d’une époque dont il prend quelques écarts de fiction, allant jusqu’à rebaptiser le flic malade. Mais toute l’ambivalence du personnage est posée dans la première séquence avec ce double visage de doppelgänger. La mise en scène brille dans une restitution de faits épouvantables où la douleur sourde est palpable, alors qu’Anger nous convie aux portes d’une folie malaisée qui trouve en Guillaume Canet un réceptacle formidable, allant enquêter sur ses propres délits. La monstruosité et la banalité de l’homme sont juxtaposées dans un portrait sans jugement et néanmoins sans concession, le cinéaste l’insérant dans un cadre professionnel, familial et sentimental qui tend à rendre ses sévices d’autant plus malsains que l’on capte aussi l’humain dans le monstre. Des étincelles d’humanité dans une cruauté froide signée par de perverses annonces de tortures et de douleurs.
Photo : Jean-Claude Lother – Copyrights : Sunrise Films – Les Productions du Trésor – Caneo Films – Mars Films
Un film faussement “tous publics”
En ce sens, La prochaine fois je viserai le cœur est l’antithèse du télévisuel L’affaire SK1 de Frédéric Tellier, l’autre production nationale sur un psychopathe du patrimoine notoire, Guy Georges, le tueur de l’Est parisien. Distribué deux mois plus tard, en 2015, SK1 connaîtra un succès plus consensuel. Chez Cédric Anger, on trouve la patte d’un auteur qui offre un polar total jusque dans son insupportable douleur. Une réussite en tous points qui se subit plus qu’elle ne se savoure.
Guillaume Canet, nommé au César du Meilleur acteur en 2015, retrouvera l’ambiance du thriller malaisant trempé dans les réminiscences du cinéma tortueux des années 70, avec Mon garçon en 2017. Cette fois-là, il devenait le père d’un enfant enlevé dans un environnement au moins aussi glauque que celui de La prochaine fois je viserai le cœur. De celui-ci, une seule chose prête à rire, l’avis de la commission de classification qui avait estimé le film tous publics, mais avec un avertissement tout de même car le film d’Anger était estimé pouvoir heurter le jeune public. Le même film américain était directement interdit aux moins de 12 ans.
Critique de Frédéric Mignard