Bouleversant et doté de dessins poétiques, La plus précieuse des marchandises est une œuvre mémorielle puissante sur la Shoah. On n’en sort assurément pas indemne tant le film d’animation s’avère bouleversant à plus d’un titre.
Synopsis : Il était une fois une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron qui vivaient au fond d’une forêt polonaise. Pauvre bûcheronne se lamentait de ne pas avoir d’enfants. Il était une fois une famille juive, deux jumeaux nouveau-nés et leurs parents, qui se fit arrêter à Paris puis déporter vers le camp d’Auschwitz. Dans le train qui les emportait vers une mort certaine, le père fit un geste insensé. Dans un ultime et dérisoire espoir, il lança un de ses jumeaux hors du train. Un jour que pauvre bûcheronne regardait passer un train qu’elle croyait être de marchandises, un paquet en fut éjecté et tomba dans la neige. Comme un don du ciel, cette petite marchandise s’avéra être celle qu’elle attendait avec tant de ferveur. Une enfant.
La Shoah vue sous l’angle original du conte
Critique : Hanté depuis toujours par la Shoah à cause de son histoire familiale, le cinéaste Michel Hazanavicius s’est également refusé à traiter ce sujet trop intime au cinéma. Pour l’aborder, il lui fallait trouver une façon unique et nouvelle de le faire. Cette occasion se présente finalement en 2019 lorsque le producteur Patrick Sobelman lui propose d’adapter à l’écran le conte de Jean-Claude Grumberg intitulé La plus précieuse des marchandises, publié au mois de janvier 2019. Outre la forme originale du conte qui préfère l’allusion au prosaïsme mémoriel, Michel Hazanavicius est séduit par l’idée de développer un film d’animation, qui plus est à partir d’un livre écrit par un vieil ami de sa famille.
Autant de signes qui ont poussé le cinéaste à s’investir totalement dans ce projet, au point d’en réaliser lui-même tous les dessins préparatoires et de créer ainsi une charte graphique qui sera entièrement respectée et sublimée par le travail opéré par Julien Grande. Toutefois, le projet qui a mobilisé tout de même plus de 15 millions d’euros a été stoppé net par la crise de la Covid-19. Empêché par les circonstances, Michel Hazanavicius en a profité pour tourner un autre film, moins lourd à monter, qui s’intitule Coupez ! (2022). Une fois cette parodie de film d’horreur mise en boite, le cinéaste a pu relancer la longue production de La plus précieuse des marchandises.
Le dernier film de Jean-Louis Trintignant
Pour cela, il réunit d’abord un casting vocal de premier ordre, dont un certain Jean-Louis Trintignant en tant que narrateur. Ce dernier a enregistré sa contribution quelques mois seulement avant de mourir en 2022, ce qui fait du dessin animé la dernière création de l’immense acteur qu’il fut. Outre sa signature vocale bien identifiée, on signalera aussi la présence au générique d’acteurs de premier plan comme Dominique Blanc, Grégory Gadebois et Denis Podalydès, tous remarquables de sobriété.
Débutant comme un pur conte, La plus précieuse des marchandises évite dans un premier temps d’évoquer explicitement le génocide des juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Il ne parle pas de population juive mais de « sans-cœur », tandis que l’on évoque une guerre indéfinie et que le lieu demeure mystérieux durant une bonne partie de la projection. Toutefois, la présence d’une voie de chemin de fer et de transports réguliers d’une mystérieuse marchandise mettra les spectateurs adultes sur le chemin de la terrible vérité.
Un conte qui finit par croiser une réalité historique terrible
La marchandise en question prend la forme d’un couffin contenant une petite fille abandonnée le long d’une voie ferrée enneigée et recueillie par une bucheronne. Il va falloir pourtant beaucoup de patience à cette dernière pour faire accepter le nourrisson à son mari, un pauvre bucheron bourru et convaincu de la méchanceté des « sans-cœurs ». Pourtant, petit à petit, la glace se brise entre le vieil homme et le bébé tout trognon. Pourtant, ce bel équilibre qui semble s’instaurer est brisé par le racisme des autres villageois, ainsi que par les événements historiques qui se bousculent.
Afin d’aborder la terrible réalité du génocide, Michel Hazanavicius débute par quelques séquences de rêves qui permettent d’expliquer comment la petite gamine est arrivée dans la neige. Ces scènes font déjà preuve d’une belle puissance graphique au point de bouleverser fortement. Pourtant, ce n’est qu’un début puisque la fin de la guerre permet au réalisateur de précipiter les événements. Il n’hésite pas à se débarrasser de personnages centraux que l’on avait appris à aimer par-delà leurs défauts, avant de nous plonger de plain-pied dans la réalité du système concentrationnaire nazi.
Une œuvre mémorielle puissante et bouleversante
Dès lors, La plus précieuse des marchandises prend les atours d’un pur film mémoriel, s’inspirant notamment des terribles dessins de David Olère (peintre franco-polonais qui fut Sonderkommando pendant la guerre et qui a représenté les camps dans les dernières années de sa vie). Le film devient ainsi extrêmement dur à supporter par sa volonté de ne rien éluder de l’horreur des camps d’extermination nazis. Sur cette partie, le réalisateur laisse surtout parler ses dessins, particulièrement puissants.
Toutefois, il ne perd aucunement de vue son histoire et termine son film par plusieurs séquences mélodramatiques bouleversantes. Plutôt avare de mots – il a déjà expérimenté le cinéma muet avec The Artist – Michel Hazanavicius laisse ses dessins suggérer les interrogations de ses personnages, tandis que la musique d’Alexandre Desplat vient souligner le tragique de ces destins brisés. Si certains pourront reprocher au réalisateur cette tendance au mélodrame, il faut convenir de la puissance incroyable de ses images, pourtant souvent suggérées. Il fallait donc un sacré talent pour insuffler une telle force à des dessins en 2D.
La plus précieuse des marchandises sera aussi un superbe support pédagogique pour les enseignants
La plus précieuse des marchandises est donc une œuvre très puissante qui ne peut laisser personne indemne. Le cinéaste a fait le pari de l’émotion et de l’humanisme, tout en terminant sur une note d’espoir à l’heure où le spectre de l’antisémitisme ressurgit de plus belle et de manière souvent décomplexée.
On ne saurait trop conseiller aux enseignants d’organiser des séances pour visionner avec leurs élèves cette œuvre à la fois belle, poétique et qui peut parler à toutes les classes d’âge (en évitant toutefois les plus petits qui risquent de ne pas en sortir indemnes). Le film paraît tout de même adapté à des collégiens et même des lycéens. Il sera assurément un complément de choix aux cours donnés sur cette question du génocide. Par-delà son importance mémorielle, La plus précieuse des marchandises est aussi et avant tout un petit bijou d’animation, largement applaudi à Cannes et au Festival d’Annecy, qu’il ne faut surtout pas louper.
Critique de Virgile Dumez
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Mots clés
Films d’animation français, Drame historique, La Seconde Guerre mondiale au cinéma, L’antisémitisme au cinéma, Les génocides au cinéma, Les camps de concentration au cinéma