En voulant traiter trop de thèmes à la fois, Michael Powell fait de La mort apprivoisée une œuvre sans colonne vertébrale solide. Toutefois, l’interprétation demeure excellente et certaines scènes se détachent de cet ensemble inégal.
Synopsis : Sammy Rice, un jeune savant brillant, manque singulièrement de confiance en lui. Attaché à une section de recherche, il laisse le colonel Wairing, son supérieur, tirer parti de son travail sur le nouveau type de bombe à retardement utilisé par les Allemands…
Un film radicalement différent des Chaussons rouges
Critique : Le duo britannique Michael Powell et Emeric Pressburger qui est à la tête de la compagnie The Archers a connu un triomphe largement mérité avec leur drame musical plein de couleurs Les chaussons rouges (1948). Il était forcément difficile de rebondir après un tel chef d’œuvre et Michael Powell s’est dit que la seule manière d’y arriver était de créer un film radicalement différent du précédent. Il a donc voulu réaliser une œuvre dramatique peu coûteuse en noir et blanc.
Pour cela, il s’entiche du roman The Small Back Room de Nigel Balchin, publié en 1943 qui raconte la lutte intime d’un homme pour trouver le courage d’affronter ses démons en temps de guerre. Le personnage principal est ainsi un brillant scientifique qui souffre d’une infirmité et d’une dépendance à l’alcool. Il est difficile pour lui de s’affirmer en tant qu’homme dans une société en guerre qui valorise essentiellement le courage et la valeur guerrière.
La mort apprivoisée, une production modeste
Grâce au succès de leur film précédent, il n’était pas difficile de réunir le budget nécessaire au tournage de ce petit film qui est un simple drame de guerre dont la seule scène majeure consiste en un désamorçage d’une bombe allemande sur une plage déserte. Pour rassurer un peu plus les investisseurs, Michael Powell et son complice offrent les rôles principaux à David Farrar et Kathleen Byron qui ont déjà rencontré le succès ensemble dans Le narcisse noir (1947).
Tout semblait donc aller pour le mieux lors de la préparation de La mort apprivoisée dont le tournage s’est effectué sans incident majeur. Pourtant, le résultat final peut apparaître bien modeste en comparaison des œuvres flamboyantes attachées d’ordinaire au duo mythique. Certes, la description des comités scientifiques qui ont œuvré en secret en Angleterre pour essayer de créer des armes plus efficaces que celles des Allemands, tout en tentant de comprendre les nouveautés techniques de l’adversaire peut intéresser les amateurs d’Histoire, mais on imagine mal le grand public se passionner pour ces hommes et femmes de l’ombre, d’autant que le cinéaste ne leur offre pas une stature héroïque, loin de là.
Film de guerre, romance ou film sur l’alcoolisme ?
En fait, les auteurs osent même s’en prendre directement aux autorités britanniques qu’ils décrivent comme des incapables, à l’aide de séquences humoristiques dont l’ironie s’avère assez cinglante. Cela serait particulièrement bienvenu dans un pamphlet politique, mais Michael Powell semble incapable de choisir un angle d’attaque pour son histoire. La mort apprivoisée est-il un film de guerre, une description documentée du travail des scientifiques, une poignante histoire d’amour ou le combat d’un homme contre l’alcoolisme ? Un peu tout cela serait-on tenté d’affirmer. Dépourvu de colonne vertébrale ferme, The Small Back Room est une œuvre protéiforme qui semble se refuser à choisir une option plutôt qu’une autre.
Ces hésitations se retrouvent dans le style du long-métrage. Ainsi, les séquences dans les laboratoires sont filmées tel un documentaire, tandis que certains passages romanesques semblent se conformer au style vu dans le film noir alors en vogue. En plein milieu du film, Michael Powell livre même une séquence hallucinante – la meilleure du film en termes de réalisation – où il s’inspire directement de l’expressionnisme allemand pour exprimer le sentiment d’addiction du héros envers l’alcool. Avec un recours pertinent aux ombres portées, au clair-obscur et à des éléments de décors disproportionnés, Michael Powell rend ainsi directement hommage au Cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, 1920). Malheureusement, ce brio formel s’éteint dès la séquence suivante, à nouveau plus banale. Il faudra attendre le dernier quart d’heure pour retrouver une réelle tension lors de la séquence de déminage qui dure tout de même une quinzaine de minutes sans que l’on s’ennuie une seule seconde.
Un film inégal qui a connu un échec cinglant
Porté par l’excellente interprétation de David Farrar et de Kathleen Byron, La mort apprivoisée bénéficie également d’acteurs secondaires de poids comme Jack Hawkins, Michael Gough ou encore Cyril Cusack. Il est donc dommage que le script ne soit pas davantage maîtrisé et que les thématiques effleurées ne soient pas abordées plus en profondeur.
Dans son excellente autobiographie en deux volumes Million Dollar Movie, volume 2 (Actes Sud, 2000, page 45), Michael Powell livre ses réflexions sur la sortie du film en ces termes :
On aura compris que j’aimais The Small Back Room, que j’en étais satisfait. Mais ce n’en fut pas moins un échec. Les critiques dirent que c’était le meilleur film de Powell et Pressburger. Le public l’évita comme la peste. Il refusa d’accepter que c’était une histoire d’amour. C’était un film de guerre. Et les films de guerre n’étaient absolument plus à la mode.
La mort apprivoisée, une œuvre quelque peu oubliée du duo Powell-Pressburger
Et de fait, The Small Back Room fut un gros échec dans les salles britanniques au point que le long-métrage n’a même pas eu les honneurs d’une sortie parisienne. Selon le site Encyclociné, le métrage ne serait sorti que dans le Nord de la France en septembre 1953 sous son titre belge de La mort apprivoisée. C’est ce même titre qui est retenu dans les différentes filmographies du cinéaste et de son complice, ainsi que pour l’unique sortie vidéo française en 2012 (un DVD très cheap chez Studiocanal).
Finalement, on peut rejoindre l’avis donné par Michael Powell sur son propre film en page 49 du même volume de son autobiographie :
J’ai revu The Small Back Room plus de trente ans plus tard à la rétrospective de mes films à New York et je l’ai trouvé plein de froideur. Mais en 1948, c’était le genre d’histoire d’amour que j’avais besoin de raconter. Il fallait que j’échappe au romanesque par l’exaltation de la réalité.
On ne saurait mieux dire.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 4 septembre 1953
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Emeric Pressburger, Michael Powell, Sidney James, Bryan Forbes, Cyril Cusack, Michael Gough, Patrick Macnee, Jack Hawkins, Robert Morley, Geoffrey Keen, David Farrar, Kathleen Byron
Mots clés
Cinéma britannique, La Seconde Guerre mondiale au cinéma, L’alcoolisme au cinéma