La mort a souri à l’assassin est un film gothique bordélique qui tient du trip expérimental tant son script est incohérent. Toutefois, l’ensemble, parfois réellement déviant, n’est pas dénué de charme pour peu que l’on affectionne le cinéma bis italien.
Synopsis : 1909, en Europe – Greta von Holstein, qui entretient une liaison incestueuse avec Franz, son frère bossu, perd la mémoire à la suite d’un accident de calèche survenu devant la demeure des von Ravensbrück. Appelé au chevet de la malade, le Dr Sturges semble surtout s’intéresser à l’étrange médaillon inca qu’elle porte autour du cou et qui pourrait l’aider dans ses recherches sur la résurrection. Restée auprès de Walter et Eva von Ravensbrück qui se sont entichés d’elle, la belle Greta semble en proie à une ombre. La maisonnée est bientôt la cible d’une vague de crimes particulièrement violents…
Le premier vrai film d’Aristide Massaccesi, futur Joe D’Amato
Critique : Lorsqu’il entame le tournage de La mort a souri à l’assassin en 1973, Aristide Massaccesi (qui prendra ensuite le pseudonyme de Joe D’Amato) n’est pas un petit nouveau puisqu’il a déjà une belle carrière de directeur de la photographie derrière lui. De même, il a participé, parfois de manière non officielle, à la réalisation de plusieurs longs-métrages. Pourtant, La mort a souri à l’assassin est le tout premier qu’il signe de son propre nom, sans même avoir recours à un pseudonyme. Il en est à la fois l’auteur du script, le directeur de la photographie et le réalisateur à part entière.
D’ailleurs, les amateurs de son cinéma pourront s’amuser ici à repérer les thématiques qui deviendront obsessionnelles au cœur d’une œuvre profuse forte de plus de 200 titres – dont beaucoup de pornos. Si Joe D’Amato semble se conformer au sous-genre du film gothique, il n’en respecte pourtant pas tous les codes et introduit des éléments singuliers, notamment une violence graphique gore qui rejoint plutôt les excès du giallo et anticipe même la vogue du film gore qui déferlera à la fin des années 70 en Italie.
La mort a souri à l’assassin, un collage quasiment expérimental
Visiblement heureux de pouvoir enfin réaliser un film qui lui tient vraiment à cœur, le cinéaste semble avoir voulu y inclure tous les éléments possibles, quitte à livrer une œuvre incohérente sur le plan narratif et stylistiquement disparate. En visionnant La mort a souri à l’assassin, on ne peut qu’être étonné par l’absence totale de cohérence narrative. Tel un collage de plusieurs séquences les unes aux autres, le film déroule ses bobines sans que le spectateur ne comprenne bien le lien entre tous ces fragments disparates. Dès lors, deux attitudes sont possibles face à un tel objet non identifié : soit le snober et le dédaigner en le taxant un peu hâtivement de navet insauvable, soit le voir comme un trip expérimental à la limite du surréalisme, tout comme certains des meilleurs films de Jess Franco.
Cette impression d’expérimentation permanente est visible par certains procédés audacieux comme l’usage intensif du zoom, parfois au-delà du raisonnable, mais aussi du grand angle, faisant de certains moments de pures tentatives visuelles inédites. Au milieu de ce grand bordel narratif, dont on ne comprendra jamais vraiment la structure puisque toute notion de temporalité semble aléatoire, le cinéaste déploie des thématiques qui innerveront l’intégralité de son œuvre future. Parmi elles, on trouve notamment l’inceste qui unit Ewa Aulin et son frère bossu incarné par le toujours inquiétant Luciano Rossi. Bien entendu, le réalisateur initie aussi son goût pour les instants lesbiens et commence aussi à repousser les limites du bon goût en créant des meurtres particulièrement graphiques.
Des éclats gore dans un ensemble déviant
Chez Joe D’Amato, le moindre coup à la tête entraîne l’éclatement de la boite crânienne, tandis que le ventre libère ses viscères. Lors de la scène la plus célèbre du film, c’est un chat hystérique qui pratique l’énucléation d’un personnage, le tout en caméra subjective afin de ne pas dévoiler le caractère pelucheux de la bestiole. On notera d’ailleurs que les effets de maquillage ne sont guère soignés. Cela permet du moins de ne pas trop s’ennuyer pendant la projection et de faire basculer le métrage dans le pur cinéma bis.
L’incohérence du script se retrouve également dans les décors puisque l’intrigue semble officiellement se dérouler dans un pays germanique, mais les paysages et les maisons trahissent leur origine italienne de manière flagrante. Enfin, on se demande encore ce que vient faire le personnage du docteur Sturges interprété par Klaus Kinski en référence au docteur Frankenstein ? Le spectateur suppose alors que la revenante d’outre-tombe est un zombi, mais la suite du métrage semble contredire cela et lui donner le statut de simple fantôme.
La mort a souri à l’assassin, une rareté à découvrir pour amateurs de bis italien
Pour apprécier La mort a souri à l’assassin, il faut donc abandonner tout esprit logique et cartésien et se laisser porté par des images qui sont joliment photographiées et surtout une musique assez lyrique de Berto Pisano qui semble avoir beaucoup écouté Ennio Morricone. Sa musique épouse toutefois les images avec classe et parvient donc à sauver les meubles d’une intrigue chancelante. Au niveau de l’interprétation, Kinski est toujours impeccable, de même de Giacomo Rossi Stuart et même Ewa Aulin. On est davantage réservé quant au jeu de Sergio Doria et Angela Bo.
Cette œuvre très étrange ne serait sortie en France que dans quelques salles de province au cours de l’année 1979 selon le site Encyclociné. Par la suite, elle n’a jamais fait l’objet d’une parution en vidéo en France jusqu’à son exhumation par Le Chat qui Fume en 2022 dans une copie blu-ray de qualité correcte, sans être éblouissante. Une édition chez nos voisins britanniques, Arrow Video est également disponible 2018. Le film, très rare, est une découverte intéressante qui témoigne des débuts d’un réalisateur stakhanoviste et décidément inclassable.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 21 novembre 1979
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Joe D’Amato, Klaus Kinski, Ewa Aulin, Marco Mariani, Giacomo Rossi Stuart, Pietro Torrisi, Attilio Dottesio, Angela Bo, Sergio Doria, Luciano Rossi