Premier film de Frantisek Vlácil, La colombe blanche est une œuvre d’art totale, magnifiée par des images splendides, une impressionnante profondeur de champ et une histoire simple, mais poignante. Un véritable poème cinématographique.
Synopsis : Un garçon en fauteuil roulant, à Prague, s’entraîne au tir à la carabine, en visant un pigeon voyageur. Réprimandé par un voisin, il finit par soigner l’oiseau blessé. Pendant ce temps, une jeune fille sur la côte baltique attend le retour de son animal de compagnie…
Au départ, une simple commande des studios Barrandov
Critique : Projet initié dès le milieu des années 50 par les studios tchécoslovaques Barrandov, La colombe blanche est tiré d’un court récit d’Otakar Kirchner intitulé Susanne. On précisera que ce prénom est initialement celui du pigeon voyageur égaré, du moins dans le premier scénario rédigé par l’auteur lui-même. Comme une partie de l’intrigue est située initialement en France, une coproduction est longtemps envisagée, mais celle-ci n’a pas aboutie après d’incessantes tractations.
Dans l’enfer d’un développement bien trop étalé dans le temps, le métrage use la patience de plusieurs cinéastes, avant que le studio n’arrête son choix sur Frantisek Vlácil, un novice dans le domaine de la fiction, mais un réalisateur de documentaires pour le compte de l’armée très apprécié pour sa technique imparable. Toutefois, l’aspirant cinéaste pose deux conditions à son investissement, à savoir retravailler intégralement le scénario et attendre qu’il finisse de tourner un segment du film à sketchs Vstup zakázán (1959), avant de débuter les prises de vues de La colombe blanche, finalement réalisées durant l’été 1959.
Un film visuellement splendide qui chante la liberté
Parmi les modifications importantes, le métrage est désormais tourné à Prague pour les séquences urbaines et en RDA pour celles se déroulant sur les bords de la Baltique. Un moyen habile pour ne pas franchir le rideau de fer alors descendu sur l’Europe de la guerre froide. D’un film pour enfants traditionnel, Frantisek Vlácil a fait de La colombe blanche une pure œuvre d’art, très audacieuse sur le plan visuel et artistique. Ainsi, le film déploie ses scènes avec une maestria visuelle impressionnante, s’appuyant sur la puissance d’évocation de ses images plutôt que sur les dialogues pour conter une histoire hautement symbolique.
Certes, La colombe blanche semble embrasser les thématiques enfantines chères aux studios Barrandov, mais sa symbolique est loin de correspondre aux attentes des apparatchiks. Effectivement, le choix de la colombe (universellement symbole de paix et de liberté) n’est aucunement anodin lorsque l’on découvre qu’elle est justement blessée en survolant la Tchécoslovaquie (alors dominée par le communisme). Celle-ci est initialement blessée, puis recueillie et soignée par un petit garçon qui refuse de quitter un fauteuil roulant depuis qu’il a fait une chute dans le vide. S’établit donc une connexion évidente entre le gamin et la colombe blessée, les deux parvenant à recouvrer la santé conjointement.
Des symboles judicieusement dissimulés pour éviter la censure
Pour l’aider dans cette démarche, Frantisek Vlácil a fait du voisin du gamin un artiste plasticien, à la fois dessinateur, peintre et sculpteur, alors que le script d’origine prévoyait un instituteur. Dès lors, le cinéaste se livre à une métaphore à peine voilée de l’artiste qui permet aux êtres de s’émanciper de leur condition, de faciliter leur envol personnel et spirituel. Car il est aussi question de religiosité dans La colombe blanche, avec un appel non voilé aux bienfaits venus du Ciel. Certes, ce recours à la religion est dissimulé à l’intérieur du film par une symbolique discrète afin de ne pas éveiller les censeurs du studio. Pourtant, le dernier long panoramique sur les toits de Prague se terminant sur la sculpture d’un petit enfant regardant vers le ciel apparaît aujourd’hui comme un appel à dépasser le matérialisme du régime.
© 1960 Ceskoslovenský Filmexport – Filmové studio Barrandov / Jaquette : Benjamin Mazure. Tous droits réservés.
Outre ces éléments plutôt séditieux, mais tellement bien dissimulés que le film n’a eu aucun problème avec la censure, La colombe blanche est avant tout un formidable poème cinématographique. Les dialogues sont souvent éclipsés par la très émouvante musique composée par Zdenek Liska, mais le sommet est atteint par les cadrages incroyables et la sublime photographie de Jan Curík. Par instants, Frantisek Vlácil se laisse aller aux délices de la rêverie comme le faisait exactement au même moment un certain Andreï Tarkovski en URSS. Plusieurs séquences nous plongent ainsi dans un état second tant on se laisse emporter par la beauté des images, la douceur de la bande sonore et l’incroyable profondeur de champ.
Des enfants acteurs très touchants
Saluons également les prestations des deux enfants servant de modèles au cinéaste, sculpteur de la lumière. Tout d’abord, le petit Karel Smyczek (qui deviendra un cinéaste célébré dans son pays à partir des années 80) est bouleversant dans le rôle d’un enfant victime d’un terrible traumatisme. Son aspect maladif et chétif renforce encore sa prestation faite de douleur, mais aussi d’espoir dans les derniers instants du film, lorsque celui-ci a compris qu’il doit redonner sa liberté à l’oiseau qu’il adore. Ce geste d’amour s’avère parfaitement bouleversant.
De son côté, la petite Katerina Irmanovová est également très à l’aise devant la caméra, octroyant à son personnage une vraie personnalité. La comédienne novice se trouve être la fille de Vjaceslav Irmanov qui incarne le voisin du gamin handicapé. Sa prestation est également crédible, d’autant que le comédien était lui aussi peintre et sculpteur dans la vraie vie.
La colombe blanche, une sortie qui pose question
Merveilleux à plus d’un titre, La colombe blanche est donc bien un bijou du cinéma tchécoslovaque que tout cinéphile se doit de découvrir de nos jours. Lors de sa sortie au début des années 60, beaucoup de critiques trouvèrent le long métrage trop beau sur le plan visuel pour pouvoir vraiment toucher. Il fallait pourtant être aveugle pour ne pas distinguer la maestria d’un cinéaste qui allait confirmer par la suite sa magnificence avec le grandiose Marketa Lazarova (1967).
Selon le site Encyclociné, La colombe blanche serait sortie à la fin de l’année 1961 dans des salles du Nord de la France, puis à Paris en avril 1962 sans que l’on en retrouve la trace. L’absence de doublage français peut également étonner. On se gardera bien de trancher en l’absence de preuves tangibles. Et les cinéphiles pourront découvrir ce chef d’œuvre dans une copie resplendissante chez Artus Films.
Critique de Virgile Dumez
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© 1960 Ceskoslovenský Filmexport – Filmové studio Barrandov / Jaquette : Benjamin Mazure. Tous droits réservés.
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František Vláčil, Vjaceslav Irmanov, Katerina Irmanovová, Karel Smyczek
Mots clés
Cinéma tchèque, Film avec des animaux pour enfants, Les oiseaux au cinéma, Les handicapés au cinéma, Cinéma contemplatif