Sublimé par une réalisation élégante et fluide de Delmer Daves, La colline des potences est un western psychologique d’excellente tenue. Un must à découvrir.
Synopsis : Un jeune voleur de pépites d’or s’enfuit en toute hâte, blessé, du lieu de son méfait et est accueilli par le docteur Joseph Trail. Il le soigne et le cache de ceux qui sont à ses trousses. En échange, le malfrat promet au médecin de travailler à son service. Un jour, ils apprennent qu’une femme disparue est la seule survivante de l’attaque d’une diligence. Ils partent alors à sa recherche…
Un western plus psychologique que tonitruant
Critique : Devenu à la fin des années 50 un véritable spécialiste du western, Delmer Daves n’a eu de cesse de sublimer le genre à travers des œuvres qui ont marqué leur époque. Il est tout d’abord l’un des premiers à offrir un point de vue humaniste sur le peuple indien avec La flèche brisée (1950). Par la suite, il a encore signé des westerns impeccables comme L’homme de nulle part (1956) et surtout le célèbre 3h10 pour Yuma (1957). En 1958, il perpétue cette habitude d’excellence avec La colline des potences qui sera pourtant son dernier western.
Le script s’appuie sur un recueil de nouvelles intitulé The Hanging Tree, publié avec succès en 1957 et écrit par Dorothy M. Johnson. L’histoire nous invite à suivre la vie au cœur d’une communauté de chercheurs d’or durant la fameuse ruée de la fin du 19ème siècle. Loin de chercher à faire dans l’action ou le sensationnel, l’intrigue est structurée autour d’une poignée de personnages qui vont se confronter au sein d’une communauté où les sentiments contradictoires sont légion.
Des personnages bien caractérisés
Nous faisons d’abord la connaissance du docteur Frail qui sauve du lynchage programmé un jeune homme voleur d’or (Ben Piazza, très juste). Comme le docteur est incarné par Gary Cooper, le spectateur est immédiatement touché par l’humanisme de sa démarche. Toutefois, les auteurs osent assez rapidement l’impensable : offrir à Gary Cooper un rôle bien plus ambigu que d’ordinaire. Le samaritain se révèle assez vite un homme calculateur, autoritaire, manipulateur et capable d’accès de violence. Visiblement marqué par un passé que l’on découvrira peu à peu, le médecin offre un visage double. La brillante interprétation de Cooper déploie toute une palette d’émotions contenues qui en disent bien plus que des longs discours.
Lorsque la jeune Elizabeth (impeccable Maria Schell) est secourue par le médecin et celui qui est devenu son assistant, l’intrusion d’un élément féminin au cœur d’une communauté masculine vient bouleverser le fragile équilibre qui régnait jusque-là.
Loin des canons traditionnels attachés au western d’action, Delmer Daves livre ici à la fois une description très précise et documentée de la vie dans ces zones d’exploration, mais également de beaux portraits d’hommes et de femmes complexes. Toujours à l’affût de l’humanité de chaque personnage, y compris chez un antagoniste comme Frenchy Plante interprété par Karl Malden, le réalisateur ne valorise et ne condamne personne. Il cherche simplement à établir la réalité de la complexité des relations humaines dans un cadre précis.
Delmer Daves, passé maître des grands espaces naturels
Pour autant, si le long-métrage n’a rien d’un film d’action, il appartient tout de même au genre du western par cette attention maniaque envers le paysage (de magnifiques panoramas sur des étendues naturelles splendides). D’une rare élégance, la réalisation de Daves se fait majestueuse quand elle embrasse les paysages de l’Etat de Washington. A coup de larges panoramiques, mais aussi de grues, Delmer Daves déplace à bon escient sa caméra, sans jamais chercher l’effet facile, mais en sublimant la grammaire classique par une impressionnante fluidité des plans. On peut également admirer la parfaite gestion des espaces tout au long de ce fabuleux modèle que constitue La colline des potences.
Idéalement photographié dans un somptueux Technicolor, le film bénéficie aussi d’une superbe musique de Max Steiner (la chanson-titre interprétée par Marty Robbins s’avère également de très bonne tenue). Le tout sert un propos qui n’est pas uniquement progressiste par sa dénonciation de la pratique très américaine du lynchage, et va bien au-delà du pamphlet pour se hisser au niveau de l’universel. Il s’agit d’évoquer des thèmes aussi complexes que l’amour, la capacité de résilience des êtres et aussi la difficulté à faire face à ses propres contradictions.
Le dernier western de Delmer Daves et de Gary Cooper
Le tout se termine par une scène de lynchage – dont nous ne préciserons pas l’issue – qui est paroxystique et permet au cinéaste de finir sur une image forte et diablement poétique. Malheureusement, si le film est désormais considéré comme une réussite majeure, son tournage ne fut pas de tout repos. Tout d’abord, Gary Cooper a eu du mal à achever ses scènes à cheval, trop physiques pour son âge. La colline des potences allait d’ailleurs être son tout dernier western.
Pire, le réalisateur Delmer Daves a été terrassé par une attaque cardiaque, ce qui fait que les quinze derniers jours de tournage (sur les trois mois planifiés) ont été effectués par l’acteur Karl Malden, assisté de Vincent Sherman, le tout suivant le plan de travail établi par Daves. Le cinéaste ne revint plus à son genre de prédilection par la suite, se contentant de tourner des comédies adolescentes inoffensives et globalement médiocres.
Une mauvaise réception américaine
Si La colline des potences peut être considéré comme un modèle dans l’évolution du western américain vers plus de modernité dans le traitement complexe des personnages, il est également un chant du cygne pour deux de ses artisans majeurs, Daves et Cooper. Il faut dire qu’aux Etats-Unis, le long-métrage a été diversement apprécié par le grand public, pas vraiment content que l’on écorne l’image de Gary Cooper. Sans être un gouffre financier, le film n’a pas été une bonne affaire sur le plan local.
En France par contre, La colline des potences a plutôt bien fonctionné avec 1 676 886 entrées. Certes, on est loin des triomphes récents de Vera Cruz (Aldrich, 1955) et de La loi du Seigneur (Wyler, 1956), mais le film reste dans une bonne moyenne pour Gary Cooper sur notre territoire. Pâtissant sans doute de son manque de scènes d’action, La colline des potences est rarement cité parmi les œuvres majeures du genre, mais le film est chéri de nombreux cinéphiles et l’on peut comprendre pourquoi.
Critique de Virgile Dumez