Thriller proche du film d’auteur, Klute s’inscrit parfaitement dans ce cinéma américain du début des années 70 marqué par une paranoïa galopante. Son versant psychologique est sans doute moins réussi, mais le long-métrage reste fort intéressant à découvrir de nos jours.
Synopsis : Cela fait maintenant six mois que Tom Grumman, ingénieur de grand renom, a disparu. Comme les recherches de la police s’avèrent vaines, la femme de Grumman et l’associé de ce dernier, Peter Cable, demandent à John Klute, un détective privé, ami de Tom, de se charger de l’enquête…
Critique : Projet initié par le studio Warner, Klute est avant tout l’œuvre de deux frères scénaristes de télévision, à savoir David et Andy Lewis, qui ont notamment travaillé sur la série culte Le Virginien. Peu productifs, ils signent ici un polar finalement assez classique par sa construction, mais qui prend le temps de décrire par le menu les états d’âme des différents personnages. A partir de ces fondations plutôt solides, le réalisateur Alan J. Pakula – dont il s’agit du second long-métrage après une comédie romantique intitulée Pookie – a su créer une ambiance particulière qui fait tout le sel du film.
Au lieu de chercher à rendre son intrigue trépidante sur le plan purement commercial, Pakula préfère opter pour une ambiance plus intimiste qui rapproche le long-métrage du cinéma d’auteur indépendant. Ainsi, il n’hésite pas à occulter certains éléments de l’enquête au profit d’une analyse plus psychologique du personnage incarné avec talent et conviction par Jane Fonda. Nous saurons donc tout de la vie et des sentiments de cette prostituée qui, pourtant, devait au départ n’être qu’un protagoniste secondaire dans l’intrigue. C’est pourtant par elle que la résolution du mystère passe, ce qui explique ces longs tunnels dialogués qui, parfois, alourdissent un peu inutilement le film.
Si l’aspect purement psychologique n’est pas toujours pleinement pertinent, on est par contre immédiatement saisi par le brio de la réalisation. Effectivement, avec fort peu d’effets, Alan J. Pakula parvient à rendre le moindre plan anxiogène, comme si tous les personnages étaient épiés en permanence par des forces qui leur échappe. C’est ce sentiment constant de paranoïa qui fait de Klute un thriller plus intéressant que la moyenne. Il anticipe de quelques années à peine le scandale du Watergate et décrit une Amérique déjà marquée par le doute.
En multipliant les plongées sur les personnages, Pakula installe l’idée que les personnages sont écrasés par un système plus fort qu’eux. Sa caméra scrute les acteurs depuis les fenêtres et très souvent depuis le toit voisin, afin de susciter le voyeurisme malsain du spectateur. Il est aidé en cela par la musique minimaliste, mais ô combien efficace de Michael Small et par la photographie très sombre de Gordon Willis. L’année suivante, le célèbre directeur de la photo perfectionnera encore son art du clair (très) obscur avec Le parrain (Coppola, 1972). Dans Klute, le spectateur est parfois obligé de scruter l’image à la recherche de l’unique source de lumière, ce qui renforce une fois de plus ce sentiment d’insécurité et de voyeurisme qui est au cœur de l’intrigue.
On est davantage réservé sur l’intrigue amoureuse qui unit progressivement Jane Fonda à Donald Sutherland, d’autant que le détective privé est également présenté comme un homme trouble, à la lisière du maniaque passif. Cette romance, si elle allège considérablement le métrage, participe aussi à le rendre plus agréable et acceptable, là où l’on aurait aimé plus d’audace et de perversité.
Sorti avec un certain succès aux Etats-Unis, Klute a connu un joli succès en France où il a attiré 669 402 spectateurs sur le territoire. Ses résultats parisiens sont particulièrement convaincants avec une belle régularité durant son premier mois d’exploitation, preuve d’un bouche-à-oreille favorable. La province a moins suivi, mais cela n’est guère étonnant au vu du contenu d’une œuvre finalement plus proche du film d’auteur que du thriller conventionnel. Jane Fonda, elle, fut récompensée par son premier Oscar de la meilleure actrice.
Critique de Virgile Dumez