Jurassic World Renaissance ou comment un blockbuster improvisé devient l’un des opus les plus redoutables et efficaces de la saga initiée en 1993 par Steven Spielberg.
Synopsis : L’environnement de la planète s’est révélé hostile pour la plupart des dinosaures. Ceux qui subsistent vivent dans des zones équatoriales isolées, aux conditions proches de celles de leur ère d’origine. Parmi ces créatures terrifiantes, trois spécimens renferment peut-être la clé d’un remède capable de changer le destin de l’humanité.
© 2025 Universal Studios. All Rights Reserved.
Critique : Quatorze ans avaient séparé Jurassic Park III de la franchise Jurassic World, qui redémarrait un cycle en 2015 avec un Jurassic World ultra référentiel, en forme de reboot moderne, avec le succès que l’on connaît : 1 669 000 000 $, soit les plus grosses recettes de l’histoire pour un film Universal, et à ce jour, avec 652 M$, le 11e plus gros carton nord-américain (ou 16e si l’on tient compte de l’inflation).
Jurassic Park Dominion devait clôturer la franchise pour Universal en 2018, mais son « maigre » milliard de recettes internationales signifiait l’essoufflement de la série, avec, il est vrai, l’un de ses segments les plus faibles. Le blockbuster de Colin Trevorrow échoua à susciter autre chose que de l’ennui, de l’énervement et de l’exaspération.
Aussi, quand le studio annonce en 2024 la mise en route d’un 7e segment, deux ans après l’exercice final qui avait tourné au fiasco artistique, sur les lèvres de beaucoup on pouvait lire un « WTF ». Déjà ? (traduire en anglais par « Really?!!! »). Oui, déjà.
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Il est vrai que la situation à Hollywood a énormément changé depuis la crise de la Covid qui ferma les cinémas. L’avènement fratricide des plateformes de streaming, le rétrécissement de la marge à l’international, notamment en Chine pour des raisons politiques, les crises de l’inflation, les tournages de plus en plus chers aux USA, et notamment à Los Angeles qui s’embrase, l’élection de Donald Trump qui déclare une guerre explicite à cet ancien monde…
Rien ne va plus.
Désormais, même Disney connaît la crise après avoir régné en maître sur le monde pendant les années 2010, fort de ses Marvel, Star Wars, remakes en live action et suites Pixar.
Pourtant, un studio était venu lui faire de l’ombre dans les années 2010, un seul… Universal Studios. Le studio mythique des monstres des années 30 avait connu une fulgurante croissance en 2015 en décrochant la première place du top studios, avec 2,5 milliards de recettes grâce à Fast & Furious 7, les Minions et Jurassic World.
© Universal Studios. All Rights Reserved.
Dans les années 2020, fort de ses franchises increvables, Universal talonne systématiquement Disney, fort de sa récupération des droits d’exploitation des productions DreamWorks, du triomphe de Super Mario Bros (575 M$ aux USA) et de Wicked (432 M$), et du départ de Christopher Nolan de chez Warner (Oppenheimer a explosé les compteurs avec plus de 330 M$ en Amérique)…
Mais, dans un marché instable qui se resserre et à l’heure où les films originaux n’intéressent guère les spectateurs contemporains, le studio, face à l’incertitude, doit assurer ses arrières. C’est aussi dans la facilité que le studio va faire renaître, aussi vite et une troisième fois, la franchise Jurassic Park, soit 32 ans après le premier volet réalisé par Spielberg qui, déjà en son temps, avait dépassé le milliard de recettes.
Tourné en 2024 entre juin et septembre, Jurassic World Renaissance a été expédié, avec une préproduction de quelques mois seulement. Rien n’a été mûri, pensé comme un projet personnel ou une vision de cinéma. Le film est un pur produit de marketing dont l’essentiel du travail aura reposé sur des mois de postproduction. Et cela se ressent au visionnage du film, d’excellente facture en tant que divertissement, et pourtant très mal écrit, ou du moins écrit pour ratisser le plus large possible à une époque de crise structurelle à Hollywood.
Un mosasaurus dans Jurassic World Renaissance © Universal Studios. All Rights Reserved.
Au scénario, c’est le vétéran David Koepp qui a été convié. Un clin d’œil affectueux aux fans de la première heure puisqu’il avait été à la plume du terrifiant premier épisode (1993) et du navrant second volet, Le Monde perdu en 1997. Entre-temps, le scénariste a énormément œuvré aux côtés de Steven Spielberg, y compris pour ses deux plus récents Indiana Jones, et cela se ressent énormément dans ce 7e volet de Jurassic Park ou 4e volet de Jurassic World, qui ressuscite la magie des grands films d’aventure des années 80.
Est-ce que cela fait du scénario de Jurassic World Renaissance une réussite ? Que nenni. Le scénariste a dû écrire en tenant compte de l’obligation structurelle de mettre en lumière des artefacts de merchandising ou des produits placés de façon outrancière, car en 2025, produire un blockbuster dans un contexte de chaos financier relève du compromis inévitable entre la formule, le marketing et la soumission au marché. C’est ainsi que le point de départ narratif du film relève de l’ineptie absolue : une panne dans un gigantesque laboratoire isolé sur une île où des chercheurs élaborent des dinosaures hybrides pour assurer la survie des parcs à thème autour des créatures du Jurassique qui ont fini par lasser le public. Car oui, la morale de l’incipit, c’est que l’homme se lasse de la nature et lui préfère les produits transformés. L’accident industriel en laboratoire s’ouvre comme un ancien film du réalisateur Gareth Edwards, l’infâme Godzilla, avec en plus la bêtise d’un placement de produit chocolaté qui va détraquer la machine de la façon la plus improbable possible, à la fois dans le geste qui est commis (qui pourrait être analysé par l’ironie : la malbouffe tue) et ses conséquences absurdes dans un tel dispositif technologique.
Un mosasaurus dans Jurassic World Renaissance © Universal Studios. All Rights Reserved.
Face à cette séquence improbable, on comprend tout de suite que le métrage sera bâclé à la plume et dicté par le marché. Le casting en est l’incroyable incarnation. Une femme prend les commandes – Scarlett Johansson, qui fait la liaison avec Marvel, soit la franchise la plus lucrative de ces 20 dernières années –, les acteurs sont savamment « netflixiés » – la présence au générique de Jonathan Bailey issu des Bridgerton pour le public féminin et LGBT –, une inclusivité ethnique aux nationalités diverses avec des personnages français (cela se passe en Guyane), des acteurs britanniques (Rupert Friend et Jonathan Bailey), latinos (Manuel Garcia-Rulfo de la série La Défense Lincoln, donc encore une vedette Netflix), et enfin l’insertion de personnages brassant une variété d’âges et de générations pour s’assurer l’intérêt de tous les publics. Ainsi, le sauvetage d’une famille (un père, ses deux filles et le petit ami somnolent de la plus grande) permet au film d’élargir son panel de personnages qui aurait sinon été essentiellement composé de mercenaires, d’un représentant de « Big Pharma » et d’un scientifique. Bref, il permet de tisser des liens avec des personnalités du réel où jeunes filles/femmes et jeunes hommes pourront se retrouver. C’est malin, jusque dans la mise en scène d’une gamine qui va se lier, grâce à ses friandises (oui, encore elles !), à un petit dinosaure mignon, qui va permettre d’attendrir les foules et, forcément, vendre des produits dérivés. Malheureusement pour le public adulte, on comprend dès lors que ce sauvetage d’innocents attaqués par de féroces créatures marines (la séquence est épique) va paradoxalement limiter le nombre de victimes, puisqu’avec un tel budget (180 M$), certaines identités seront intouchables pour ne pas traumatiser le public mainstream nécessaire pour renflouer les caisses et qui n’a pas envie d’être maltraité par des morts horribles de personnages bien-aimés.
Un mutadon dans Jurassic World Renaissance © Universal Studios. All Rights Reserved.
Toutes ces réserves doivent-elles pour autant condamner le film de Gareth Edwards au rang d’inévitable déception ? Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, ce ne sera nullement le cas. Dans une franchise déjà entachée par la médiocrité de Jurassic Park 2 (1997) et 3 (2001), et la nullité de Jurassic World 3 (2022), le capital de sympathie va être fluctuant, certes, mais très souvent très élevé par rapport à ce film qui aurait pu être un ratage épouvantable, mais qui s’avère être un blockbuster souvent jouissif, particulièrement bien habillé par le travail de son cinéaste, Gareth Edwards.
Titanosauruses © Universal Studios. All Rights Reserved.
Le cinéaste du gigantisme (l’intimiste Monsters, le remake de Godzilla et Star Wars : Rogue One) n’a pas souvent grand-chose à dire en tant qu’auteur, mais il a une efficacité de réalisation qui, ici, fait des étincelles. Oublié le confus The Creator (2023), qui avait flopé à raison au box-office, le réalisateur du visuel est ici pour en mettre plein la vue en faisant sienne cette épopée dinosauresque. Contrairement à un Colin Trevorrow à la réalisation insipide, Edwards va donner du rythme, de l’emphase et de la distorsion d’émotions aux séquences les plus importantes, celles des attaques de sauriens savourées par les spectateurs, qui faisaient terriblement défaut au film Jurassic World : Le Monde d’après (Jurassic World: Dominion) et à la plupart des Jurassic Park/World, à y réfléchir de plus près. Le cinéaste élabore des scènes d’attaques majeures qui épatent par la proximité entre les personnages et les créatures en -us, qu’elles soient mosasaurus dans les mers, tyrannosaurus sur terre ou « pterosaurus » dans les airs. Les séquences à suspense sont intenses, particulièrement dispendieuses, et démontrent l’intérêt majeur d’un artisan-technicien aux commandes pour inculquer du rythme, du souffle et de l’ahurissement lors de moments qui relèvent du fantasme de spectateurs. La séquence du tyrannosaure qui va courser notre belle petite famille est particulièrement démente dans sa capacité à happer nos peurs, tellement elle est bien fichue dans sa mise en place et sa course prédatrice dont on connaît pourtant l’inévitable aboutissement. De même, comment ne pas ressentir l’excitation morbide de l’apparition pathétique du Distortus-Rex, créature hybride monstrueuse, mélange d’alien et de reptilien, à la taille XXL qui lui permet de flirter avec le ciel et de gober les mouches fendant l’air autour de lui, bref, des hélicoptères. Cette séquence dantesque, de par sa lumière et son atmosphère d’apocalypse, est là pour rappeler les rares beaux instants du Godzilla de Gareth Edwards, dont on préfèrera énormément ce dernier opus. Et pour cause…
© Universal Studios. All Rights Reserved.
Qu’est-ce qui peut différencier le nanardesque Godzilla du percutant Jurassic World Renaissance ? Sa capacité à intégrer des personnages dans un script, à hauteur d’humains. Là où l’adaptation du classique nippon était dépourvue d’enjeux humains et embarrassait à essayer d’intégrer du vivant au milieu des effets spéciaux numériques, le script de Jurassic World 4 dispose du charme de ses protagonistes (Scarlett Johansson et Jonathan Bailey confèrent une belle complicité charismatique à l’écran) et de la fantaisie de quelques personnages plus proches de l’état d’esprit des Indiana Jones que de la balourdise geek et nerd déjà en place dans Jurassic World 3. Cette comparaison avec la franchise de Lucas et Spielberg est probablement la plus belle que l’on puisse faire à Jurassic World Renaissance. On y ressent le même enthousiasme que gamin face aux tribulations dans la jungle de notre archéologue de cœur. Le décor insulaire équatorial y contribue beaucoup et l’espace, en dehors de la longue introduction urbaine et de l’attaque aquatique, s’emploie à dépayser, ravir les mirettes, et offrir le voyage vers le 7e art tant recherché, comme pour combler les nostalgiques de Jules Verne et de toutes les productions de B movies des années 70 autour des continents disparus.
L to R: Jonathan Bailey as paleontologist Dr. Henry Loomis and Scarlett Johansson as skilled covert operations expert Zora Bennett © Universal Studios. All Rights Reserved.
Nonobstant ses défauts d’écriture inacceptables, dont on vous assurera le comeback de personnages prétendument morts, Jurassic World Renaissance est donc une superproduction calibrée qui compte parmi les meilleures d’une saga limitée. L’honneur suprême revient à Scarlett Johansson, première actrice en sept opus à apporter de la personnalité à un personnage féminin, après les jeux limités de Laura Dern et surtout de la transparente Bryce Dallas Howard. Elle y est probante et mérite, à elle seule, la mise en place de deux autres opus supplémentaires.
Sorti aux États-Unis un mercredi 2 pour ne pas souffrir du vendredi férié du 4 juillet, qui est mauvais pour le box-office, les premiers chiffres de Jurassic World Renaissance démontrent déjà que cette reprise en main de l’œuvre jadis fantasmée par Michael Crichton a la validation du public, avec l’un des plus gros démarrages de l’histoire pour une œuvre déployée en salle un mercredi.
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Gareth Edwards, Scarlett Johansson, Mahershala Ali, Manuel Garcia-Rulfo, Philippine Velge, Jonathan Bailey, Rupert Friend, Luba Blaise, David Iacono, Audrina Miranda
La jungle au cinéma, Les dinosaures au cinéma, Film de monstre, Cinéma américain, 2025
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