Superbe évocation de la destinée d’un artiste espagnol méconnu, Josep revisite une période sombre de notre histoire, tout en réfléchissant à la place du dessin et de l’art dans la transmission entre générations. Indispensable.
Synopsis : Février 1939. Submergé par le flot de républicains fuyant la dictature franquiste, le gouvernement français les parque dans des camps. Deux hommes séparés par les barbelés vont se lier d’amitié. L’un est gendarme, l’autre est dessinateur. De Barcelone à New York, l’histoire vraie de Josep Bartolí, combattant anti-franquiste et artiste d’exception…
Plongée dans les camps de réfugiés espagnols mis en place en France en 1939
Critique : Dessinateur de presse pour Le Monde, le Canard enchaîné ou encore Politis, Aurel s’est engagé dès 2016 dans la conception de Josep, son premier long-métrage d’animation qui a pour ambition de faire connaître à un large public la figure historique de Josep Bartoli (1910-1995). Pour mémoire, cet artiste catalan a d’abord été une figure majeure des républicains espagnols, contraints de s’enfuir de leur pays après la victoire du franquisme. Interné dans les camps de réfugiés espagnols mis en place en France dans les Pyrénées-Orientales, le dessinateur a témoigné de son incarcération à travers une série de dessins, avant de parvenir à s’enfuir à l’aide d’un gendarme français. Par la suite, Josep Bartoli s’est exilé au Mexique où il a été compagnon de route de Frida Kahlo et Diego Rivera.
C’est donc ce parcours hors norme que le scénariste Jean-Louis Milesi (collaborateur régulier de Robert Guédiguian) a choisi de raconter, en inventant la vie du gendarme qui a contribué à l’évasion de Josep. Afin d’insister sur l’importance de la transmission entre générations, l’auteur a opté pour le récit d’un grand-père mourant à son petit-fils, jeune adolescent qui possède lui aussi un bon coup de crayon. A partir de là, le récit se développe en flashback et selon des techniques picturales qui évoluent en même temps que le style de Josep Bartoli. Ainsi, la première partie située dans les camps français est assez peu colorée et développe une esthétique fondée sur la prééminence du trait. Elle rejoint ainsi les conditions spartiates de création d’un homme qui tenait à témoigner par le dessin des inhumaines conditions de détention des réfugiés espagnols.
Une vision sans concession de l’internement des combattants espagnols par la France
Au passage, les auteurs en profitent pour rappeler l’accueil glacial, voire franchement hostile d’une grande partie de la population française envers ces milliers de combattants républicains. Comme la plupart étaient affiliés aux mouvements communistes ou anarchistes, beaucoup de Français furent récalcitrants à cet afflux massif venu d’Espagne. Milesi et Aurel transcrivent cela par la présence de deux gendarmes odieux qui n’hésitent pas à uriner sur les réfugiés. Afin de contrebalancer cette vision très sombre de ces camps, ils ont pris pour protagoniste principal un gendarme plus conciliant qui devient même ami avec Josep. Le long-métrage ne cherche pourtant pas à faire de ce personnage un héros pur et sans reproche, mais juste un être humain dont la nature généreuse se révèle au fil des événements.
Cette intrigue à l’intérieur des camps constitue le cœur du métrage, mais Josep décrit aussi l’arrivée de l’artiste au Mexique et sa découverte de la couleur par l’influence de Frida Kahlo. Dès lors, l’esthétique du film évolue vers une colorisation plus violente et un effacement progressif du trait, ce qui correspond à l’évolution des œuvres de Josep Bartoli. Si cette dernière partie paraît un peu moins passionnante de prime abord, elle permet de recentrer le film sur son véritable sujet, la transmission à travers le dessin. L’art devient un moyen de lier les générations entre elles et de transmettre non seulement des émotions, mais aussi des idées par-delà la mort.
Aurel anime le dessin pour raviver une mémoire en voie de disparition
Si l’ensemble souffre parfois de conditions budgétaires serrées – l’animation est parfois très sommaire – Josep n’en demeure pas moins une belle expérience qui dégage une émotion sincère et palpable. In fine, il s’agit d’un superbe film qui ravive une histoire rarement traitée au cinéma – les camps de réfugiés espagnols dans le sud de la France – tout en étant un essai de méta-animation puisque Josep réfléchit également au statut du dessin dans l’art, et à son évolution.
Sorti avec succès à la fin septembre 2020 dans un contexte sanitaire tendu, Josep a vu sa carrière interrompue par la fermeture des salles durant plus de six mois fin 2020 et début 2021. Le dessin animé est revenu en salles dès le 19 mai 2021, glanant encore des entrées, malgré une sortie en DVD et Blu-ray déjà effectuée. Entre-temps, le long-métrage a obtenu une moisson de prix dont un César du meilleur film d’animation largement mérité. Attention toutefois, on vous conseille de ne pas confronter les enfants de moins de dix ans à ce film qui intéressera davantage les jeunes adolescents curieux de découvrir une histoire enfouie et, bien entendu, les adultes.
Critique de Virgile Dumez