Mais… qu’avez-vous fait à Solange ? propose une intrigue bien tortueuse, d’une impeccable efficacité pour un giallo à la thématique sociétale. L’ensemble est toutefois marqué par un discours réactionnaire.
Synopsis : Enrico Rossini est professeur dans une école pour filles à Londres. Délaissé par son épouse, il vit une histoire d’amour avec Elizabeth, une de ses élèves. La jeune femme croit être témoin d’une agression, mais Enrico ne la prend pas au sérieux jusqu’à l’annonce d’un meurtre sadique. La victime a été violée et sauvagement mutilée, un couteau enfoncé dans le vagin. Enrico, suspecté par la police va devoir faire toute la lumière sur ce meurtre…
Un thriller à mi-chemin entre le giallo et le krimi
Critique : Coproduction européenne, avec un fort apport financier allemand, Mais… qu’avez-vous fait à Solange ? est censé s’inspirer du roman Les deux épingles d’Edgar Wallace publié en 1923. En réalité, l’intrigue ne sert ici que de prétexte à des développements totalement différents. La caution d’Edgar Wallace servait surtout à attirer dans les salles le public allemand, féru de krimi, ce sous-genre local généralement inspiré de l’œuvre du romancier britannique. La filiation avec le genre du krimi se retrouve également dans la localisation de l’histoire en Angleterre, et plus précisément à Londres, où a bien eu lieu une grande partie d’un tournage assez coûteux. Enfin, la présence au générique de Karin Baal et de Joaquim Fuchsberger, deux stars germaniques du krimi, vient confirmer cette volonté de séduire deux publics nationaux différents.
Toutefois, comme une grande partie de l’équipe est italienne, celle-ci exploite surtout les codes du giallo – œuvre policière mettant en scène un assassin sadique avide d’armes blanches – alors particulièrement en vogue dans le cinéma italien des années 70. Mais loin de se conformer à un moule préétabli, le cinéaste Massimo Dallamano aborde avec ce film des sujets très délicats comme le viol ou la question de l’avortement. D’ailleurs, il développe ici un argumentaire typique d’une certaine droite catholique de l’époque et se prononce donc clairement contre l’avortement qu’il présente uniformément comme un traumatisme pour les jeunes filles. Ce positionnement rejoint finalement celui de l’Eglise catholique et n’étonne en rien de la part d’un cinéaste italien.
Mais… Qu’avez-vous fait à Solange ? est un thriller malsain et mélancolique à la fois
Pourtant, loin de réaliser une œuvre à thèse, il préfère tourner un film purement commercial, dérangeant par le réalisme assez poussé de certaines scènes, notamment les meurtres savamment orchestrés. Loin des débauches baroques d’un Mario Bava ou d’un Dario Argento, Dallamano crée une atmosphère trouble et malsaine à partir d’un postulat plus “réaliste”. Il réussit à captiver le spectateur grâce à une histoire particulièrement bien ficelée, ménageant un suspense constant et qui ne trouve sa résolution que dans les dernières secondes du métrage.
Le recours assez classique à la caméra subjective donne un aspect voyeuriste à l’ensemble, se rapprochant ainsi du cinéma d’un certain Brian De Palma. Le cinéaste s’appuie sur la collaboration de techniciens hors pair : les images de Joe D’Amato sont léchées tout en ne trahissant pas le parti pris réaliste de Dallamano, tandis qu’Ennio Morricone signe une partition minimaliste, mais fort belle, qui donne un caractère mélancolique à ce thriller décidément très bien ficelé.
Plusieurs titres d’exploitation pour une œuvre choc
Enfin, l’interprétation de l’excellent Fabio Testi permet au spectateur de s’identifier au personnage principal finalement très humain. On peut juste regretter un certain manque de profondeur dans la psychologie de personnages qui ne sont que des marionnettes aux mains d’un scénariste trop occupé à tirer les ficelles d’une intrigue très tordue. Mais… qu’avez-vous fait à Solange ? (1972) est donc un excellent exemple du savoir-faire des artisans transalpins en matière de série B, toujours préoccupés de réaliser le meilleur film possible avec les moyens du bord.
Sorti en France en 1973 d’abord sous le titre Jeux particuliers, puis relancé sous le titre plus juste de Mais… qu’avez-vous fait à Solange ?, le thriller n’a guère brillé dans les salles, comme bon nombre de ces produits de série B de l’époque. On le retrouve une décennie plus tard en VHS dans une édition culte et difficilement trouvable aujourd’hui signée Hollywood Vidéo (éditée en 1982 – 1983), puis le thriller italien est dissimulé sous le titre Savage à l’occasion d’une réédition en 1989. Il faut attendre 2006 et le travail formidable fourni par l’éditeur Neo Publishing pour redécouvrir le film en DVD. La meilleure copie sur le marché français demeure toutefois celle du blu-ray qui est édité par Le Chat qui Fume en juillet 2022.
De quoi alimenter le débat sur l’avortement alors que ce droit chèrement acquis en 1975 semble actuellement menacé de toutes parts, aussi bien en France qu’à l’étranger.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 1er mars 1973
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Massimo Dallamano, Fabio Testi, Joe D’Amato, Marco Mariani, Karin Baal, Cristina Galbó, Joachim Fuchsberger