Le poids des secrets et des non-dits sont au cœur d’Inexorable, thriller qui dévoile trop tôt ses mauvaises intentions.
Synopsis : À la mort de son père, éditeur célèbre, Jeanne Drahi emménage dans la demeure familiale en compagnie de son mari, Marcel Bellmer, écrivain à succès, et de leur fille. Mais une étrange jeune fille, Gloria, va s’immiscer dans la vie de la famille et bouleverser l’ordre des choses…
Critique : Connu pour sa « trilogie des Ardennes » ( Calvaire en 2004, Alleluia en 2014 et Adoration en 2019) dont la nature mystique et dérangeante a fait fuir une partie des spectateurs tandis que l’autre l’a porté au pinacle, Fabrice du Welz est un cinéaste inclassable. Aujourd’hui désireux de s’adresser à un public plus large, il propose un thriller vénéneux pimenté de ses thèmes favoris (amour chaotique, quête d’absolu, complexité familiale, fragilité du couple) qu’il maintient cependant trop à distance pour créer une réelle tension, même si l’on ne peut que s’incliner devant son talent à tirer le meilleur parti du jeu tout en intensité d’un Poelvoorde épatant.
Jeanne Drahi (Mélanie Doutey), fille d’un grand éditeur et femme de caractère, est marié depuis de nombreuses années à Marcel Bellmer (Benoit Poelvoorde), un homme peu sûr de lui qui semble aussi mal à l’aise dans son rôle d’écrivain que dans son statut de mari et père de famille. Avec leur fille Lucie, ils viennent d’emménager dans le vaste manoir familial que leur a laissé à sa mort le père de Jeanne. Tout ou presque semble donc réuni pour permettre à la petite famille de couler des jours tranquilles. Jusqu’à l’arrivée de Gloria (un prénom dont il vaut mieux se méfier dès lors que Fabrice du Welz s’en empare), une jeune femme mystérieuse dont on devine bien vite la perversité. N’hésitant pas à avoir recours au mensonge pour faire licencier la bonne et prendre sa place, elle manœuvre si habilement qu’elle ne tarde pas à s’octroyer l’amitié sans faille de la jeune Lucie tandis que ses sentiments contradictoires, entre rage et fascination, à l’égard de Marcel sèment inexorablement le trouble.
Si le film se regarde sans déplaisir grâce à une ambiance visuelle parfaitement maîtrisée, peuplée de clairs obscurs et de contrastes que le choix d’un tournage en 16mm fait vibrer d’une profondeur inhabituelle, le manque d’originalité sur ce sujet maintes fois abordé au cinéma ne lui permet pas de rivaliser avec ses mythiques prédécesseurs dont le cinéma américain a pu s’enorgueillir dans les années 80 et 90, parmi lesquels on peut citer, entre autres Pulsions de Brian de Palma, Liaison fatale d’Adrian Lyne, le facteur sonne toujours deux fois de Bob Rafelson, Basic Instinct de Paul Verhoeven). Mal dissimulé derrière des bribes de scénario rugueux, édulcoré pour plaire au plus grand nombre, le mystère se dissipe vite, balayé par les nombreux indices laissés à la portée du spectateur qui a tôt fait de comprendre vers quelle direction on veut l’emmener. Une manière inexorable de couper court à toute mainmise impulsive, malgré un décor qui ne manque pas d’atouts pour distiller étrangeté et étouffement et un casting de haut niveau. Benoit Poelvoorde, déjà présent au générique d’Adoration, confirme une puissance dramatique peu exploitée jusqu’à présent. Face à lui, Alba Gaia Bellugi, repérée dans la série télé Trois fois Manon et vue dans Intouchables de Nakache et Toledano, tour à tour énigmatique et lumineuse, réserve de belles envolées d’émotion. Quant à Mélanie Doutey, elle habille de mille nuances son personnage de bourgeoise majestueuse pour en faire un être infiniment humain. Enfin, la toute jeune Janaïna Halloy Fokan, dont c’est la première apparition au cinéma, fait preuve d’un naturel désarmant.