Film qui mêle adroitement mémoire collective et individuelle, Il n’y a pas d’ombre dans le désert est un joli drame contemplatif qui séduit par la belle cohérence de son écriture et la qualité de l’interprétation. Intéressant.
Synopsis : À Tel Aviv, Ori croise par hasard Anna, une écrivaine française, lors du procès d’un ancien Nazi. Il est bouleversé de reconnaître cette femme dont le souvenir le hante depuis qu’ils se sont follement aimés à Turin, 20 ans plus tôt. Mais Anna soutient qu’ils ne se sont jamais rencontrés. Peut-être qu’au milieu du désert, les choses deviendront plus claires…
Valeria Bruni Tedeschi, devant la caméra et au scénario
Critique : Cela faisait longtemps que le réalisateur israélien Yossi Aviram souhaitait travailler avec l’actrice-réalisatrice Valeria Bruni Tedeschi dont il avait beaucoup apprécié Il est plus facile pour un chameau… (2003). Après avoir tenté de l’inclure au casting de son premier long métrage La dune (2013), Yossi Aviram a contacté l’actrice pour travailler sur un nouveau film de fiction qui évoquerait l’enlèvement d’une femme française par un Israélien au cœur du désert.
Cette base de départ d’Il n’y a pas d’ombre dans le désert a suffisamment intrigué la comédienne pour qu’elle décide de participer pleinement à l’écriture du scénario. Ainsi, elle a apporté avec elle l’idée de traiter parallèlement à cette histoire le procès d’un ancien nazi jugé en Israël. Cela expliquerait notamment la présence de cette Française sur un territoire méconnu et viendrait entrer en résonnance avec le thème du long métrage qui est celui de la mémoire et de la capacité de l’être humain à céder aux sirènes de l’imaginaire afin de compenser l’absence de sens de l’existence.
Deux parties, deux ambiances
Dès lors, Il n’y a pas d’ombre dans le désert peut être divisé en deux parties distinctes, mais entièrement complémentaires. Cela débute par l’arrivée en Israël d’une écrivaine française qui vient assister au procès d’un potentiel criminel nazi qui aurait officié en Hongrie, comme ce fut le cas dans le film Music Box (1989) de Costa-Gavras. Toutefois, le point de vue adopté par le cinéaste Yossi Aviram est radicalement différent puisqu’il pose la question de la fiabilité de la mémoire lorsque celle-ci évoque des événements intervenus plusieurs décennies auparavant. Bien entendu, le propos du réalisateur n’est aucunement de mettre en doute la parole des survivants de la Shoah, mais de montrer la difficulté de la justice à établir la vérité après autant de temps écoulé.
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Cela offre surtout au cinéaste un terrain propice pour évoquer le poids de cette histoire terrible sur les enfants des victimes. Souvent incapables de parler des horreurs qu’ils ont vécues, les survivants ont surtout fait peser un silence de mort sur les épaules de leurs enfants, au point de les empêcher de se construire. C’est ce que symbolise la relation à la fois belle et conflictuelle entre le personnage d’Anna interprété par Valeria Bruni Tedeschi et son père joué par Jackie Berroyer. Tandis que la romancière ne cesse d’écrire sur la Shoah, son père refuse de parler de cette période, l’une compensant en quelque sorte le silence assourdissant de l’autre.
Quand l’imaginaire prend le relais du réel
De son côté, le personnage d’Ori (très bon Yona Rozenkier) ne peut échapper au poids de la culpabilité que par l’imaginaire. A force de lire les romans d’Anna, celui-ci semble s’être inclus dans la vie de cette artiste, au point de l’enlever. Dès lors s’ouvre la deuxième partie du long métrage qui est intégralement située dans le désert israélien. Plus contemplatif, ce long segment tient la route grâce à l’incertitude qui étreint le spectateur. Est-ce que les deux personnages ont bien été amants par le passé ou est-ce qu’Ori n’a fait qu’imaginer cette relation à partir des écrits fictifs de la romancière ? Là encore, la mémoire des différents protagonistes est vue comme faillible et Yossi Aviram confronte donc ici mémoire collective et individuelle en insistant sur la relativité des souvenirs.
De manière poétique, le cinéaste a recours à l’animation pour signifier que nous sommes en plein flashback, ou n’est-ce pas tout simplement la marque de l’entrée dans la fiction ? La résolution de l’intrigue invite en tout cas le spectateur à embrasser l’aspect romanesque de la vie, plutôt que la trivialité de la réalité. Il y parvient grâce à une réalisation épurée, marquée par de très beaux plans du désert, mais aussi par la grâce d’une musique synthétique minimaliste, mais qui sait toucher le spectateur et créer une ambiance fantomatique.
Deux acteurs au diapason
Le métrage ne serait pas une réussite sans l’implication impeccable du duo principal. Valeria Bruni Tedeschi est totalement crédible en écrivaine enlevée, mais qui est capable de montrer une certaine force de caractère. Face à elle, Yona Rozenkier est parfait en ravisseur dont on mesure rapidement à quel point il ne constitue pas un danger pour cette femme. Fragile sur le plan psychologique, le personnage est incarné de manière efficace par un comédien qui ose dévoiler ses failles. Les deux constituent donc un duo passionnant à regarder évoluer.
Déstabilisant de prime abord par ses deux parties apparemment inconciliables, Il n’y a pas d’ombre dans le désert fait preuve en réalité d’une belle continuité thématique fondée sur un glissement progressif du collectif vers l’individuel, ce qui se traduit géographiquement par un passage des zones urbaines de Tel Aviv au désert qui isole les protagonistes dans un paysage grandiose.
Les salles aussi ont été désertées
Lors de sa sortie le 28 février 2024, Il n’y a pas d’ombre dans le désert n’a pu compter que sur six salles pour l’accueillir dans la capitale, générant 205 entrées pour ses premières séances. Ce résultat a débouché sur une première semaine française faible, avec seulement 5 019 cinéphiles dans les salles. La semaine suivante, le métrage est retiré de l’affiche dans de nombreux cinémas et ils ne sont plus que 1 000 retardataires à faire le déplacement. Le long métrage pourtant ambitieux stoppe son aventure autour des 6 000 tickets vendus. Il est donc temps de se rattraper avec sa sortie vidéo.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 28 février 2024
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Yossi Aviram, Valeria Bruni Tedeschi, Jackie Berroyer, Yona Rozenkier
Mots clés
Cinéma israélien, Le désert au cinéma, Les enlèvements au cinéma, Film de procès