Ibrahim, première réalisation de l’acteur Samir Guesmi, observe avec une infinie pudeur les difficultés de communication entre un père malmené par la vie qui rêve d’un avenir meilleur pour son fils et un adolescent influençable qui, malgré son désir de renouer le lien familial, emprunte la mauvaise voie.
Synopsis : La vie du jeune Ibrahim se partage entre son père, Ahmed, écailler à la brasserie du Royal Opéra, sérieux et réservé, et son ami du lycée technique, Achille, plus âgé que lui et spécialiste des mauvais coups. C’est précisément à cause de l’un d’eux que le rêve d’Ahmed de retrouver une dignité se brise lorsqu’il doit régler la note d’un vol commis par son fils et qui a mal tourné. Les rapports se tendent mais Ibrahim décide alors de prendre tous les risques pour réparer sa faute…
Critique : Tout auréolé de son label Cannes 2020 et encore bien plus de ses quatre récompenses au Festival du Film d’Angoulême dont le prestigieux Valois de diamant, Ibrahim s’articule autour d’un magnifique tandem père/fils, emprisonné dans ses non-dits et ses émotions refoulées.
Ibrahim et les mauvaises fréquentation
Ibrahim, personnage éponyme, n’est plus tout à fait un enfant mais pas encore un adulte. Il ne sait trop quel sens donner à sa vie. Sa passion, c’est le foot et il se verrait volontiers en star du ballon rond mais ses compétences sont limitées. En attendant mieux, il prépare sans grand enthousiasme un CAP qui ne lui réserve qu’un avenir incertain. Il est pourtant encadré par une enseignante bienveillante à qui Maryline Canto apporte toute son humanité. Négligeant l’aide qu’elle est prête à lui accorder, il choisit de mettre ses pas dans ceux d’Achille, un camarade de classe, livré à lui-même, qui le fascine et n’aura aucun mal à l’entraîner dans quelques escroqueries dont son père devra payer les conséquences financières, réduisant à néant les espoirs d’ascension qu’il nourrissait.
Père-fils : mode d’emploi
D’Ahmed, on ne sait pas grand-chose d’autant que le silence est son refuge. On découvre, au fil du récit, qu’il a un passé de toxicomane et souffre d’un problème d’illettrisme, le plaçant dans une position d’infériorité face à son fils qui lui sert de lecteur ou de rédacteur. L’ombre de la mère de son fils plane sans que l’on connaisse les raisons de son absence. Aujourd’hui Ahmed n’a d’autre ambition que de guider son fils, qu’il aime plus que tout même s’il ne le lui montre jamais, vers une vie honorable. Employé dans une brasserie, il brigue un poste de serveur qu’il ne pourra atteindre qu’après avoir résolu un défaut dentaire. Alors qu’il est sur le point de réunir la somme nécessaire à ces frais médicaux, les égarements de son fils font capoter ses projets.
Des acteurs à la hauteur
La haute silhouette de Samir Guesmi se coule parfaitement dans la peau de cet homme qui, bien caché derrière une dignité absolue et une intransigeance d’un autre temps, dévoile parcimonieusement une sensibilité insoupçonnée. Face à lui, le jeune Abdel Bendaher, dont c’est le premier grand rôle, n’a aucun mal à faire vibrer son personnage de toute une panoplie de sentiments, de la forfanterie à la culpabilité en passant par le désir viscéral de réconciliation.
Les personnages secondaires, tout particulièrement la pétillante Luàna Bajrami (dont on avait déjà pu apprécier récemment l’étonnante performance dans l’heure de la sortie de Sébastien Marnier) apportent un souffle de légèreté à une intrigue qui fait la part belle aux regards plutôt qu’aux paroles, aux indices visuels plutôt qu’aux démonstrations affectives intempestives.
A trop se complaire dans la retenue, Ibrahim souffre certes de quelques manques de rythme. Pourtant la beauté des sentiments qu’il dégage, la ferveur des comédiens à faire vivre des personnages cabossés mais déterminés à s’en sortir fait de cette ode au courage un drame social digne d’intérêt.
Critique de Claudine Levanneur
Box-office & Vidéo :
Après une courte carrière en salle, un mois après la réouverture des cinémas, en raison du deuxième long confinement, Ibrahim n’a pu rassembler que 40 000 spectateurs France, faute de notoriété, du retour tardif des spectateurs en salle, et de la souffrance du secteur art et essai qui lui n’a jamais vraiment bénéficié d’une reprise en 2021.
Cette chronique de l’adolescence est touchante, et révèle un jeune comédien formidable. Le DVD en octobre 2021 chez Le Pacte – pas de blu-ray en revanche -, et la diffusion en VOD ont rempli leur rôle. En février, mois des César, Canal + propose l’œuvre subtilement écrite sur sa plateforme. Ibrahim mérite vraiment une seconde chance. On regrettera que le jeune Abdel Bendaher ne soit pas nommé.