Démarrant comme une comédie dramatique à la thématique sociale, Déserts se mue en objet cinématographique contemplatif lors d’une deuxième heure déstabilisante et inaboutie qui ruine l’homogénéité de l’œuvre.
Synopsis : Mehdi et Hamid travaillent pour une agence de recouvrement à Casablanca. Les deux pieds nickelés arpentent des villages lointains du grand sud marocain pour soutirer de l’argent à des familles surendettées…
Déserts, une œuvre plurielle
Critique : C’est en observant deux hommes en costumes attablés à la terrasse d’un café marocain que l’imagination de l’acteur-réalisateur Faouzi Bensaïdi a vagabondé, leur créant une activité de recouvreurs de dettes qui arpentent les terres du Maroc. A partir de cette impression fugace, l’auteur s’est donc pris au jeu d’imaginer toute une histoire autour de ces deux personnages. A cela s’est greffée l’envie de se réapproprier l’espace désertique marocain, déjà si souvent exploité par les réalisateurs étrangers pour y livrer un récit qui soit purement local. Enfin, comme le cinéma est une préoccupation majeure du réalisateur, celui-ci a voulu aussi rendre hommage au genre du western dont il a repris quelques grandes figures de style dans la deuxième partie du film.
Car dès son origine, Déserts a été conçu comme une œuvre multiple, comme l’indique d’ailleurs le pluriel du titre. Faouzi Bensaïdi a notamment ressenti le besoin de mêler des genres a priori très éloignés les uns des autres en les confrontant au cœur du même long-métrage. Cette volonté de rupture est donc clairement au centre de Déserts, même si cette audace fait justement basculer le film vers un résultat bancal, dangereusement en roue libre.
Un petit air de Jacques Tati durant la première heure
Ainsi, lors de sa première heure, Déserts se présente d’abord comme une pure comédie dramatique où le spectateur est invité à suivre le parcours plus ou moins chaotique de deux recouvreurs de dettes arpentant les villages pauvres du Maroc. Confrontés à la misère de leurs concitoyens, les deux hommes se retrouvent dans des situations improbables qui tournent parfois à la comédie, voire au burlesque assumé. Marquée par des plans-séquence très composés sur le plan esthétique et géométriques, cette partie s’inscrit pleinement dans la veine d’un cinéma à la Jacques Tati. On songe aussi bien entendu à Otar Iosseliani ou encore à Elia Suleiman dans cette volonté de faire surgir l’absurde d’un cadre apparemment très réaliste, mais sublimé par l’œil du cinéaste.
Petit à petit se dessine l’image d’un Maroc totalement rongé par l’ultralibéralisme qui découle de la mondialisation. Ici, les pauvres s’acharnent sur ceux qui sont encore plus malheureux qu’eux, tandis que les élites sont désignées comme inattaquables dans leurs tours d’ivoire. Quelques images d’une caravane de migrants, ainsi que de zones urbaines inachevées vient parachever le portrait d’un pays qui n’est absolument pas dirigé, si ce n’est par la corruption. Cette première heure intéresse donc au plus haut point tant elle peint un portrait peu enchanteur d’un pays aux paysages pourtant sublimes.
Une deuxième heure en roue libre qui ne convainc pas
Mais à mi-parcours, Faouzi Bensaïdi change totalement de registre, aussi bien dans la tonalité générale que dans le style employé. Dès lors, il abandonne toute dramaturgie logique pour se laisser aller à des divagations poétiques et mythologiques qui peuvent éconduire le spectateur. Son style devient bien plus lent, voire carrément hypnotique, à la façon d’un Antonioni ou d’un Bela Tarr, mais sans la puissance d’évocation de ces maîtres. Certes, le cinéaste est toujours capable de composer des plans superbes, notamment lors de la scène assez surréaliste de la voiture qui disparaît dans la poussière du désert sur la musique du groupe de post-rock Friends of Dean Martinez. Pour autant, la multiplication de longs plans muets sur des personnages qui errent dans le désert peuvent éprouver la patience du spectateur le moins tolérant, d’autant que celui-ci n’a pas été préparé en amont à un tel changement stylistique.
Le propos du film devient de plus en plus nébuleux et cette deuxième partie semble se perdre dans les sables du désert marocain, à l’image de tous ces cinéastes occidentaux qui ont échoué à saisir l’ambiance si particulière de ces immensités. Totalement cryptique, cette deuxième partie gâche les bonnes impressions laissées par la première heure en laissant en suspens les arcs narratifs attachés aux personnages principaux que l’on perd progressivement de vue. Assurément la démarche est audacieuse, mais est-elle pour autant réussie ? Nous en doutons fortement.
Déserts, un film exigeant peu vu en salles
Loin de nous l’idée de remettre en cause la capacité du réalisateur puisqu’il signe un nombre conséquent de plans magnifiques tout au long du film, mais sa volonté de casser la dynamique narrative de son film l’entraine sur un terrain glissant dont Déserts ne se remet pas.
Sorti dans 49 salles françaises à partir du 20 septembre 2023, Déserts n’a réussi à attirer que 7 433 amateurs d’exigence cinématographique en première semaine. Un chiffre qui a diminué de moitié lors de sa seconde septaine avec 3 485 retardataires. Visiblement, le bouche à oreille n’a guère été en faveur du long-métrage puisque les semaines suivantes ne sont guère plus convaincantes. Déserts a terminé son exploitation de neuf semaines en doublant tout juste ses entrées initiales avec 15 964 tickets vendus. Désormais, le métrage est édité en DVD par Blaq Out, tandis que la version HD est uniquement disponible en VOD.
Critique de Virgile Dumez
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Fehd Benchemsi, Abdelhadi Talbi, Faouzi Bensaïdi
Mots clés
Cinéma marocain, L’Afrique au cinéma, Le désert au cinéma, Cannes 2023