Chef d’œuvre passé inaperçu en France dans les années 60, Contes cruels du Bushido porte bien son titre et laisse pantois quant à la violence de son constat vis-à-vis d’une société japonaise engoncée dans un code de valeur dépassé et scandaleux.
Synopsis : Iikura se rend en urgence à l’hôpital, au chevet de sa fiancée qui vient de faire une tentative de suicide. En rentrant chez lui, il découvre les écrits de ses ancêtres samouraïs, détaillant les atrocités endurées par eux depuis le XVIIe siècle au nom du code d’honneur du bushido. Cette caste de la noblesse militaire accomplissait des actes de violence sur ordre des seigneurs féodaux, mais ils souffraient encore plus de leur cruauté, souvent contraints au suicide rituel…
Tadashi Imai, un grand cinéaste à (re)découvrir
Critique : Grand réalisateur japonais assez méconnu en Occident par le peu d’œuvres qui nous sont parvenues, Tadashi Imai s’est surtout fait remarquer pour ses films tournés entre 1946 et 1963, parmi lesquels on peut citer de belles créations comme La montagne bleue (1949), Quand nous nous reverrons (1950), Nous sommes vivants (1951) et Ombres en plein jour (1956). Toutes ces œuvres sont marquées par l’appartenance de Tadashi Imai au Parti communiste japonais qui entend dénoncer les injustices d’une société japonaise marquée par un capitalisme sauvage.
Ce corpus de films magnifiques se clôt en beauté avec Contes cruels du Bushido (1963) qui peut être considéré comme le dernier chef d’œuvre de son réalisateur, même s’il a continué à officier jusqu’au début des années 90, y compris dans l’animation (avec Yuki, le secret de la Montagne magique, 1981). De la même génération qu’Akira Kurosawa, Tadashi Imai pratique un cinéma qui garde un profond ancrage traditionnel, mais il n’ignore pas les innovations de la nouvelle vague qui déferle au début des années 60.
Remise en cause de la pertinence du Bushido
En fait, Contes cruels du Bushido peut aisément être rapproché du Harakiri (1962) de Masaki Kobayashi, tourné quelques mois auparavant. Si le long métrage débute à l’époque contemporaine, le script rédigé par le grand Yoshikata Yoda, collaborateur fidèle de Mizoguchi, nous invite à un flashback qui ramène le spectateur au 17ème siècle afin de mieux comprendre l’atavisme dont est victime le personnage masculin principal. Effectivement, ses ancêtres furent tous des samouraïs aux ordres du Bushido, un code d’honneur très strict qui les liaient corps et âme à leur maître. Ce rapport de vassalité était poussé à l’extrême, au point qu’un samouraï pouvait être amené à s’ôter la vie (par le rituel du seppuku) pour sauvegarder son honneur et celui de sa lignée.
© 1963 Toei Company LTD / Photographie proposée par Carlotta Films. Tous droits réservés.
Toutefois, loin de faire de ce code une valeur cardinale de la société japonaise, Tadashi Imai entend surtout en démontrer l’absurdité et l’horreur. Il suit donc chaque génération jusqu’à l’époque contemporaine, tentant par ce moyen d’expliquer la psyché de la société japonaise des années 60. Pour cela, il signe donc un film qui comporte de multiples saynètes où le samouraï appartenant à la lignée de Iikura est à chaque fois confronté à un terrible dilemme afin de respecter le Bushido. Au fur et à mesure des bobines, Tadashi Imai insiste sur la cruauté des maîtres tout-puissants et sur la vulnérabilité de ceux qui leur sont dévoués.
Des récits particulièrement cruels sur le plan psychologique
D’ailleurs, le titre est parfaitement adapté à cette œuvre qui multiplie les passages particulièrement cruels. Si rien n’apparaît de manière explicite à l’écran – nous sommes en 1963 – les thématiques abordées n’en demeurent pas moins fortes, tandis que la science de la mise en scène d’Imai suggère avec force les horreurs commises. Ainsi, il évoque pêle-mêle la prostitution des femmes par leur propre mari, l’homosexualité subie, le viol et même l’infanticide au cours de récits tous plus terribles les uns que les autres.
Certes, l’effet d’accumulation peut paraître un brin facile, mais il a le grand mérite de l’efficacité. Ainsi, Contes cruels du Bushido ne peut que provoquer des réactions exacerbées du spectateur devant tant d’injustices et d’inégalité intolérables. Toutefois, sa plus grande force vient de la période contemporaine où l’auteur n’hésite pas à démontrer que la société japonaise n’a guère évolué depuis l’ère féodale. En réalité, les seigneurs ont été remplacés par l’empereur pour qui les kamikazes sont prêts à se sacrifier durant la Seconde Guerre mondiale. Mais le communiste qu’est Tadashi Imai va encore plus loin en comparant les grands capitaines d’industrie du miracle japonais aux anciens seigneurs ayant pouvoir de vie et de mort sur leurs employés.
Petit traité de la soumission volontaire
Finalement, si Tadashi Imai insiste sur les errances de la classe dirigeante, il stigmatise aussi le peuple japonais accusé de se soumettre à des règles absurdes sans jamais se poser de questions. Il signe donc avec ce long métrage un petit traité de la soumission volontaire qui fait nécessairement froid dans le dos. Le tout est réalisé avec talent, même si le cinéaste ne cherche jamais l’épate visuelle. Il se tient au milieu du gué entre l’efficacité d’un Kurosawa et l’austérité d’un Ozu.
De plus, l’artiste s’appuie sur l’interprétation impressionnante de l’ancien acteur de kabuki Kinnosuke Nakamura qui joue le héros au fil des générations. Il lui suffit d’un artifice simple, comme une coiffure différente, un maquillage plus ou moins élaboré et des âges variés pour donner le sentiment que plusieurs comédiens sont à l’œuvre d’un segment à l’autre, alors qu’il est bien le seul maître à bord. Cet acteur spécialisé dans le chanbara n’est pas forcément très connu en France où ses films ont rarement été distribués, mais il marque grandement les esprits ici. Il est accompagné par une troupe de comédiens tous parfaitement dirigés, donnant à l’ensemble une impression durable d’osmose totale.
Un Ours d’or à Berlin, resté inédit en France
On peut donc légitimement considérer Contes cruels du Bushido comme un petit chef d’œuvre du cinéma japonais des années 60. D’ailleurs, les membres du jury du Festival de Berlin de 1963 ne s’y sont pas trompés en lui décernant un Ours d’or largement mérité. Pourtant, malgré cette belle récompense, Contes cruels du Bushido n’a pas bénéficié d’une grande exposition en Europe, hormis dans les festivals.
Ainsi, aucun distributeur français n’a été preneur et le long métrage est demeuré inédit dans nos salles, comme par ailleurs la plupart des œuvres de Tadashi Imai. Il a donc fallu attendre l’année 2022 pour que le valeureux éditeur Carlotta propose le long métrage en DVD et blu-ray dans une très belle copie restaurée. Une bien belle découverte pour ce qui devrait devenir un vrai classique du cinéma nippon au fil des décennies tant sa pertinence passe le cap des années.
Critique de Virgile Dumez
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© 1963 Toei Company LTD / Jaquette : L’Etoile Graphique. Tous droits réservés.
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Tadashi Imai, Eijirô Tôno, Masayuki Mori, Yoshi Katô, Kinnosuke Nakamura, Kyōko Kishida
Mots clés
Cinéma japonais, Drame historique, Les samouraïs au cinéma, Festival de Berlin 1963, Les Ours d’or