Chambre 212, époustouflant par son quatuor, offre une variation originale sur le temps qui passe et l’amour qui s’use.
Synopsis : Après vingt ans de mariage, Maria décide de quitter le domicile conjugal. Une nuit, elle part s’installer dans la chambre 212 de l’hôtel d’en face. De là, Maria a une vue plongeante sur son appartement, son mari, son mariage. Elle se demande si elle a pris la bonne décision. Bien des personnages de sa vie ont une idée sur la question, et ils comptent le lui faire savoir.
Critique : Après l’évocation bouleversante et personnelle des années sida, avec Plaire, aimer et courir vite, Christophe Honoré est de retour avec une chronique intimiste et foisonnante qui convoque tout à la fois la magie de Jacques Demy, le génie de Bertrand Blier et l’imaginaire d’Alain Resnais.
Optant pour un décor très théâtralisé (les scènes se situent alternativement dans l’appartement cossu du couple, puis dans la chambre d’hôtel éponyme, pièces dans lesquelles les personnages pénètrent cérémonieusement, en ouvrant grand la porte), le cinéaste transforme le burn out conjugal en un vaudeville ludique qui ressuscite sur un ton décalé tous les souvenirs d’un couple en bout de course.
Chambre 212, toute la virtuosité de son auteur
Là où l’adaptation du Dindon de Feydeau par Jalil Lespert tournait à la mauvaise farce, Chambre 212 concentre toute la virtuosité de son réalisateur, lorsqu’il s’agit de rassembler des dialogues brillants, des partitions musicales savamment choisies et un sens de l’esthétisme rare. Et puis, c’est l’occasion pour lui de retrouver pour la sixième son actrice fétiche, Chiara Mastroianni, (récompensée, à juste titre, du Prix d’interprétation à Cannes en mai dernier dans la section Un Certain Regard) sans qui, assurément, ce film n’aurait pas la même portée.
C’est par Maria, (Chiara Mastroianni, donc), personnage principal, que tout arrive. Le couple qu’elle forme depuis plus de vingt ans avec Richard (Benjamin Biolay) que l’on pressent quelque peu taciturne, ne l’intéresse plus vraiment. Alors, pour pimenter sa vie, elle enchaîne, depuis longtemps déjà, les liaisons avec de jeunes hommes de passage. Mais ce soir, son mari découvre que le jeune Asdrubal qui vient de lui envoyer un SMS n’est pas que son élève (elle est professeur de droit) mais aussi son amant. Elle tente de se justifier pour finalement laisser éclater tout son ressentiment face à la platitude de leur vie conjugale. La situation s’envenime. Elle part donc s’installer dans la chambre 212 de l’hôtel juste en face de chez elle. Alors qu’elle comptait bien y prendre du recul pour faire le point sur son existence, Maria se retrouve confrontée au groupe bruyant de ceux qui ont traversé sa vie et entendent bien désormais lui dicter sa conduite pour relancer son couple.
C’est ainsi que défilent le Richard qu’elle a connu il y a vingt-cinq ans (Vincent Lacoste), parfaitement au courant de ses déboires actuels, Iréne Haffner (Camille Cottin), ancienne prof de piano et amour de jeunesse de Richard qui envisage bien de profiter des événements pour reconquérir le cœur de celui qu’elle considère comme l’homme de sa vie. Apparaîtront même la mère et la grand-mère de Maria, qui, au-delà de la mort, lui jetteront au visage la démesure de ses rencontres amoureuses, suivies d’un faux-sosie d’Aznavour vêtu d’une veste en léopard incarnant la « volonté » de notre héroïne malmenée et censé remettre un peu d’ordre dans ce joyeux chaos.
Réflexion conjugale cocasse et pertinente pour une belle réussite
Ces vigoureux chassés-croisés s’articulent autour d’un scénario qui choisit de s’éloigner des codes habituels de la narration cinématographique. Loin du réalisme du quotidien, il autorise les acteurs à s’emparer d’un jeu décalé où humour et créativité trouvent toute leur place. Dans une mise en scène qui, elle non plus, ne manque pas d’originalité, Christophe Honoré mêle audacieusement dure réalité du présent et souvenirs enjolivés du passé, dans une ambiance de théâtre dont ses comédiens s’emparent sans faillir. La capacité de Chiara Mastroianni à nous émouvoir par son jeu au juste équilibre entre rire et larmes, la réelle sensibilité de Benjamin Biolay touchant dans la peau de ce vaincu tendrement désabusé, la décontraction insolente du facétieux Vincent Lacoste et enfin la bouleversante Camille Cottin qui, film après film, révèle chaque fois une facette supplémentaire de son talent, auxquels se joignent les apartés musicaux de Charles Aznavour, Jean Ferrat et de Donna Summer, sont autant d’éléments qui font de cette œuvre une belle réussite.
Critique : Claudine Levanneur
Sorties de la semaine du 9 octobre 2019