Œuvre très respectueuse des personnes transgenres, Cambio de sexo (Je veux être femme) est un film précurseur sur cette thématique qu’il transcende par son regard empathique et la qualité de l’interprétation de Victoria Abril.
Synopsis : Dans sa famille ou à l’école, José Maria, un adolescent de dix-sept ans, sensible et intelligent, ne trouve pas sa place et se voit rejeté et montré du doigt pour son manque de virilité. Il prend peu à peu conscience de son désir de devenir une femme…
Cambio de sexo n’a vu le jour qu’après la mort de Franco
Critique : Au début des années 70, le réalisateur Vicente Aranda entend parler du tragique destin d’un homme qui voulait devenir une femme et qui est décédé durant son opération de transition. Dans le même temps, il découvre le spectacle mettant en scène Bibi Andersen qui est transsexuelle (terme utilisé à l’époque) et qui se produit dans des cabarets coquins. Ces deux éléments concomitants lui donnent l’envie de traiter de ce sujet alors totalement tabou dans l’Espagne franquiste. Mais le scénario qu’il rédige avec l’aide de Carlos Durán et Joaquim Jordà ne parvient pas à franchir l’obstacle de la censure, encore très présente au milieu des années 70.
Il a donc fallu attendre la mort de Francisco Franco en 1975 pour que l’étau commence à se desserrer en Espagne et que le pays entre dans une longue transition vers la démocratie. Avant même Pedro Almodovar, le réalisateur Vicente Aranda a commencé à bousculer la censure en proposant au grand public local ce Cambio de sexo (Je veux être femme) dont le sujet ne pouvait que scandaliser l’Espagne de 1977.
Victoria Abril, déjà un tempérament de feu
Afin de donner plus de poids à son film, le cinéaste engage Bibi Andersen, pour incarner le rôle majeur d’une transsexuelle qui montre la voie de la transition de genre à l’héroïne. Mais il a surtout l’excellente idée d’offrir le rôle principal du jeune garçon désireux de devenir une femme à une jeune actrice qui venait de démarrer, la pétillante Victoria Abril. Celle-ci vient tout juste d’avoir 18 ans lorsqu’elle accepte volontiers le challenge d’apparaître vêtue comme un jeune garçon durant une grosse moitié de film, avant de finalement s’épanouir en tant que femme dans la seconde partie du métrage.
Cambio de sexo (Je veux être femme) débute par la description attentive d’une Espagne franquiste très traditionnaliste où les rôles entre hommes et femmes sont très définis. Le pauvre José Maria (Victoria Abril, grimé en garçon) est victime des brimades de ses camarades qui le considèrent comme trop efféminé à leur goût. Persécuté par les écoliers, José Maria ne peut aucunement compter sur l’aide de ses enseignants qui précisent qu’ils doivent préserver les autres de l’influence néfaste de cet être « anormal », dixit les dialogues. Enfin, le gamin est également la risée de son père (excellent Fernando Sancho, enfin échappé des westerns italiens) qui souhaite en faire un homme, un vrai. On a donc le droit à la traditionnelle virée au bordel entre père et fils afin de rendre l’adolescent plus viril.
Une œuvre en totale empathie avec les personnes transgenres
Ainsi, le film insiste sur le caractère machiste d’une société espagnole où la différence n’est pas autorisée. Brimés dans leur sexualité, mais aussi dans leur être profond, les personnes qui ne se sentent pas en adéquation avec leur sexe sont donc mis à l’écart et considérés comme des pestiférés. Leur seul recours est de se produire dans des spectacles où ils font office de freaks, comme on peut le voir lorsque José Maria devient Maria José et tente de survivre en tant que femme à Barcelone. Elle entretient alors une étrange relation avec le directeur du cabaret interprété par un Lou Castel au rôle très ambigu. Celui-ci est un manipulateur qui finit tout de même par aimer l’héroïne.
Toujours respectueux envers les personnes transgenres, Vicente Aranda n’a pas souhaité terminer son œuvre par un constat d’échec, contrairement à l’histoire vraie qui a servi de base au scénario. Plus positif, Cambio de sexo (Je veux être femme) conclut à l’épanouissement plein et entier de sa protagoniste principale.
Un film en avance sur son temps à redécouvrir
Ayant marqué les esprits lors de sa sortie espagnole au mois de mai 1977, Cambio de sexo est sorti dans quelques salles du sud de la France en 1980 sous le titre Je veux être femme, par les bons soins du distributeur Carlton Film Export. Toutefois, son sujet d’avant-garde a limité son audience à l’époque. Depuis, il a bénéficié d’une nouvelle présentation à l’Etrange Festival en 2022 dans une version restaurée, avant de sortir cette fois-ci pleinement dans 2 salles parisiennes fin novembre 2022 pour un résultat très limité de 555 curieux.
En l’état, il s’agit de l’un des rares films à aborder le thème de la transition de genre à une époque où la thématique était globalement méconnue du grand public. Toutefois, signalons l’existence d’un autre long-métrage espagnol sur le même thème et datant de la même année intitulé El transexual (José Jara, 1977) qui mélange allègrement fiction et documentaire.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 1er octobre 1980
Les sorties de la semaine du 23 novembre 2022
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Biographies +
Vicente Aranda, Victoria Abril, Fernando Sancho, Daniel Martín, Lou Castel, Bibi Andersen
Mots clés
Cinéma espagnol, La transsexualité au cinéma, Les transgenres au cinéma, Cinéma LGBTQ+