Comédie historique caustique, Au nom du pape roi évoque un épisode peu connu en France et flingue l’institution ecclésiastique avec une jubilation communicative. Drôle et impertinent, le film est un petit bijou à redécouvrir.
Synopsis : Rome, 1867. La ville est en effervescence : le mouvement d’insurrection populaire conteste le pouvoir temporel du Pape, alors souverain de tout le centre du pays. Quant au gouvernement civil de l’Eglise, il est au abois depuis que Garibaldi et ses bandes armées font route vers la cité. Or, trois jeunes rebelles viennent d’être arrêtés pour avoir fait sauter une caserne. Au même moment, Monseigneur Colombo, juge au tribunal suprême du Sacré Collège, veut remettre sa démission…
Un sujet très sérieux…
Critique : Scénariste émérite qui se passionne pour l’histoire de la ville de Rome, Luigi Magni a déjà abordé l’histoire complexe de la péninsule au 19ème siècle à travers Les conspirateurs (1969) où il a offert un rôle sur mesure au comique Nino Manfredi. Lorsqu’il écrit Au nom du pape roi (1977), Luigi Magni souhaite aborder une période particulièrement polémique en Italie, à savoir l’intégration des Etats du pape au sein du tout jeune royaume d’Italie. Il situe volontairement l’action en 1867, soit trois ans avant la chute de l’Etat pontifical et son intégration – de force – dans l’Italie moderne.
En présentant l’opposition entre une jeunesse qui souhaite l’achèvement du Risorgimento (unité italienne) et soutient donc l’œuvre de Garibaldi, et une institution cléricale s’accrochant à son pouvoir temporel, Luigi Magni réfléchit avec beaucoup de doigté et de pertinence à la validité de l’action politique violente. Il présente donc de jeunes idéalistes qui viennent de poser une bombe dans une caserne, faisant vingt-trois morts et se retrouvent aux prises avec l’autorité cléricale une fois faits prisonniers. La question est donc de savoir si ces jeunes doivent être ou non condamnés à mort.
… traité de manière drôle et désopilante
Toutefois, à l’énoncé de ces faits très sérieux, il ne faut pas que le lecteur se méprenne sur la nature du film. Effectivement, dès les premières minutes, Au nom du pape roi s’avère être une comédie désopilante qui cessera de nous faire rire uniquement dans son dernier quart d’heure, par ailleurs très fort. Magni suit effectivement les mésaventures d’un prélat (génial Nino Manfredi) qui découvre que l’un des terroristes est en réalité son fils – dont il ignorait l’existence. Dès lors, celui qui fut un juge sans doute implacable va tout faire pour extirper sa descendance de la sentence irrévocable du pouvoir ecclésiastique.
Affublé d’un domestique absolument hilarant – l’excellent Carlo Bagno – le dignitaire romain va peu à peu découvrir l’hypocrisie d’une hiérarchie uniquement soucieuse de maintenir ses prérogatives temporelles et non pénétrée de charité chrétienne. Cet anticléricalisme qui se dessine progressivement apparaît d’ailleurs dès le générique initial par la multiplicité de gravures montrant la violence du clergé envers le petit peuple. Ainsi, dans Au nom du pape roi, Luigi Magni ose s’attaquer à des sujets aussi brûlants que le célibat des prêtres qui crée des frustrations et des abus, notamment sur les enfants de chœur. Mais il évoque aussi cette hypocrisie de l’Eglise qui n’hésite jamais à condamner ceux qui la dérangent, toujours au nom de Dieu.
L’Eglise, mise en accusation !
Peu à peu, Luigi Magni en vient à décrire une société totalement corsetée et quasiment totalitaire où personne ne peut échapper aux sentences d’hommes qui se targuent d’obéir à des directives divines. Il le fait avec suffisamment d’esprit pour que la charge soit finement amenée. Il tisse ainsi les fils d’une intrigue brillamment agencée et qui ne peut conduire qu’à la brillante scène finale et en dit plus long que tous les discours sur l’abjection d’une institution pourtant millénaire.
Bien évidemment, Au nom du pape roi n’est pas là pour caresser l’Eglise dans le sens du poil, mais Magni ne s’attaque en réalité qu’aux dérives humaines de la religion. Par la beauté des décors et la magnificence des cérémonies, il semble lui-même fasciné par le décorum entourant le culte catholique, mais en dénonce finalement l’hypocrisie absolue, avec une verve caustique qui fera grincer bien des dents.
Des acteurs au meilleur de leur forme
Le brio d’Au nom du pape roi ne serait pas total sans l’apport exceptionnel d’acteurs au meilleur de leur forme. On a déjà cité l’alchimie formidable entre Manfredi et Bagno, mais il faut également signaler l’excellence du jeu de Salvo Randone et de l’ensemble du casting incarnant les prélats, tous plus ou moins décatis. On apprécie aussi la fraîcheur des plus jeunes dont le séduisant Danilo Mattei. Le tout est porté par une très belle photographie de Danilo Desideri, une superbe musique d’Armando Trovajoli et des décors magnifiques. Quant à la réalisation de Luigi Magni, elle est d’une redoutable efficacité dans la gestion des réparties qui fusent à la vitesse de l’éclair.
Rares sont les comédies qui savent faire éclater de rire et réfléchir en même temps. Au nom du pape roi en fait partie et s’impose donc comme un chef-d’œuvre du genre. Le long-métrage a d’ailleurs obtenu plusieurs prix dont trois David di Donatello (meilleur film, meilleur acteur pour Nino Manfredi et meilleur scénario pour Luigi Magni). En France, si le film est bien sorti en novembre 1978, ce fut en toute discrétion.
La comédie a fait l’objet d’une reprise en novembre 2014 par le distributeur Les Acacias, avant d’être disponible en DVD chez M6 Vidéo depuis 2018. Si la copie est plutôt bonne et le supplément de Jean A. Gili passionnant, on peut regretter l’absence de blu-ray pour un film aussi soigné sur le plan esthétique.
Critique de Virgile Dumez