Film social engagé qui chausse les pas d’un Ken Loach, À contretemps séduit par la force de conviction de son auteur et la puissance de jeu de ses acteurs. A découvrir !
Synopsis : Avocat aux fortes convictions sociales, Rafa a jusqu’à minuit pour retrouver la mère d’une fillette laissée seule dans un logement insalubre. À défaut, la police placera la petite en foyer. Dans sa course contre la montre, Rafa croise la route d’Azucena, une femme injustement menacée d’expulsion, et qui pour s’en sortir, tente de provoquer une révolte citoyenne. Alors que les heures défilent implacablement pour ces deux âmes en lutte, Madrid devient le lieu de toutes les colères…
Un drame social produit par Penélope Cruz
Critique : C’est au détour d’une conversation que l’actrice Penélope Cruz a suggéré à l’acteur et dramaturge Juan Diego Botto d’écrire un script pour le cinéma sur le sujet très sensible du droit au logement en Espagne. Désireux d’être le plus juste possible sur ce thème, l’auteur a donc décidé de mener d’intenses recherches avec l’aide de la journaliste Olga Rodriguez – qui est également créditée comme coscénariste du film.
Après une longue et riche période de documentation sur le terrain, il est apparu évident pour l’auteur de rendre hommage à l’association nommée Plateforme des victimes du crédit hypothécaire. Cette dernière a été créée en 2009 à la suite de la terrible crise du logement qui a frappé l’Espagne lors de l’éclatement de la bulle immobilière. Si À contretemps a bien été initié au milieu des années 2010, les années nécessaires à l’écriture des différentes versions du script, puis la galère pour réunir les financements – malgré la présence au générique de deux stars de la pointure de Penélope Cruz et Luis Tosar – et enfin la pandémie de Covid-19 ont étendu au-delà du raisonnable la production de ce premier long métrage du comédien (si l’on excepte un sketch d’un film collectif en 2004).
Comme un goût prononcé de Ken Loach
Finalement, cette phase créative extrêmement longue n’a pas rendu le drame social moins pertinent puisque les problèmes évoqués dans À contretemps sont toujours d’actualité. Visiblement très touché par les témoignages qu’il a collectés, Juan Diego Botto a opté pour une démarche proche du documentaire, avec une caméra portée à l’épaule afin de retranscrire l’urgence de la situation, mais aussi un tournage en 35mm et avec bon nombre d’acteurs non-professionnels. D’ailleurs, durant toute la projection, un nom s’impose à nous de manière évidente, celui de Ken Loach.
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Ainsi, À contretemps ne cherche jamais à dissimuler son point de vue social très marqué à la gauche de la gauche. Très remonté contre les excès du capitalisme financier, le cinéaste vomit un système qui broie les individus au nom d’un impératif économique qui ne sert qu’aux puissants. Par les flashs entendus à la radio, on entend notamment des journalistes évoquer les milliards d’euros offerts par le gouvernement espagnol pour combler le déficit des banques à l’issue de la crise de 2008. Dans le même temps, Juan Diego Botto pose sa caméra dans des quartiers insalubres où des petites gens tentent de survivre. Pour mémoire, rappelons que la crise européenne des années 2010 a été particulièrement virulente en Espagne et que bon nombre de gens issus de la classe moyenne ont basculé alors dans la pauvreté et la misère.
À contretemps ou trois destins parallèles sur une unique journée
Toutefois, si le film est clairement engagé sur le plan politique, le cinéaste n’oublie pas de faire du cinéma en proposant de suivre la destinée plus ou moins tragique de trois personnages durant une seule et même journée. Ainsi, Luis Tosar incarne un avocat engagé dans la défense des plus démunis qui se bat pour éviter à une mère immigrée de perdre la garde de sa petite fille. Parallèlement, nous suivons le combat de Penélope Cruz pour conserver son logement au sein de l’association évoquée plus haut. Enfin, un troisième protagoniste tragique intervient en la personne d’une vieille dame qui a perdu sa maison dans la faillite de l’entreprise familiale et qui cherche à renouer avec son fils.
Les trois intrigues sont brillamment entremêlées afin que le spectateur ne s’ennuie jamais. Ce dynamisme se retrouve également dans la réalisation très tendue du cinéaste qui colle aux basques de ses personnages en lutte constante contre un système froid et insensible à la détresse humaine. Certes, le réalisateur n’évite pas toujours le mélodrame, notamment lors de son final construit de manière paroxystique, mais il demeure toujours respectueux de la psychologie de ses personnages et ne cherche pas à les enfermer dans un schéma politique préétabli. Oui, À contretemps est une œuvre énervée et engagée, mais qui ne vire jamais au tract politique imbécile.
Des acteurs tous très impliqués
Le thriller social est également porté par l’interprétation magistrale de la grande Penélope Cruz qui porte les stigmates du malheur sur son visage non maquillé. De son côté, Luis Tosar impose sans difficulté son personnage d’avocat qui sacrifie sa propre existence pour aider son prochain, tandis que le tout jeune Christian Checa fait preuve d’un jeu étonnamment mature pour son âge. Ses affrontements verbaux avec Luis Tosar prouvent à eux seuls la puissance de son interprétation.
Au final, le constat est pour le moins accablant quant à la politique sociale menée durant les années 2010, notamment par le gouvernement libéral-conservateur de Mariano Rajoy. Ce brûlot militant a d’abord été présenté au Festival de Venise en 2022, avant sa sortie espagnole en octobre 2022. Aux Goya 2023, le long métrage a réussi à cumuler cinq nominations, mais n’a remporté aucune statuette.
Une sortie française un jour de Fête du cinéma
En France, le long métrage a été diffusé au début du mois de juillet par le distributeur Condor dans 152 salles. A l’issue de son premier jour qui était compris dans la Fête du Cinéma, le drame social vendu comme un thriller n’a mobilisé que 10 032 spectateurs, dont près de la moitié lors d’avant-premières. Pour sa première semaine, À contretemps doit donc se contenter de 28 720 spectateurs, avant de perdre une grande partie de ses entrées en deuxième session (seuls 10 628 retardataires).
Ce n’est finalement qu’en sixième semaine que le drame franchit la barre symbolique des 50 000 locataires pour terminer sa carrière mi-septembre avec 52 327 endettés à son bord, preuve supplémentaire de la difficulté du cinéma espagnol à s’imposer en dehors des inévitables films d’Almodovar.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 5 juillet 2023
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Penélope Cruz, Luis Tosar, Juan Diego Botto, Christian Checa
Mots clés
Cinéma militant, Critique sociale, Films anticapitalistes, Festival de Venise 2022, Goya 2023