Exploité sous divers titres, tous plus faux les uns que les autres, 077 opération sexy est un film noir plutôt correct réalisé par un Jesús Franco sous l’influence d’Orson Welles. Seul le scénario demeure un peu léger, mais l’ambiance nocturne compense en partie ce défaut. Un bon millésime.
Synopsis : En Amérique du Sud, le trompettiste Julius et son ami Castro passent en fraude un chargement d’armes pour le compte de Radeck. Alors que Castro est abattu par une patrouille, Smith va en prison. Quinze ans plus tard, il est enfin libéré et découvre que la veuve de son ami, Lina, est désormais mariée à Radeck. Julius devient gênant pour ce dernier. Se sentant menacé, il balance toute l’histoire au commissaire Fenton.
Jesús Franco s’attaque au film noir
Critique : A peine vient-il de terminer la réalisation de L’horrible docteur Orlof (1962) qui allait assoir sa réputation à l’étranger, le réalisateur espagnol Jesús Franco choisit d’enchaîner avec un film noir qu’il nomme de manière assez poétique La muerte silba un blues (littéralement la mort siffle un blues). Cette dimension musicale et quelque peu onirique est bien présente dans ce premier film policier d’un cinéaste qui se cherche encore sur le plan stylistique, mais dont quelques constantes sont déjà bien présentes.
Il faut donc que le spectateur oublie les titres d’exploitations français, tous racoleurs et hors sujet, d’autant qu’ils datent de l’année de sortie tardive du film, à savoir 1966. Ainsi, le titre passe-partout Agent 077 opération Jamaïque est un démarquage évident de la saga de James Bond 007, d’autant qu’Opération tonnerre est encore sur les écrans français depuis le mois de décembre 1965. Quant au titre 077 opération sexy qui a servi pour l’exploitation parisienne, il dérive d’un caviardage effectué par Jesús Franco lui-même avec l’ajout de quelques séquences érotiques pour pimenter le spectacle, à la demande du distributeur Eurocinéac de la célèbre famille Lesoeur.
Une multitude de titres alternatifs
Avec sa sortie chez Artus Films, l’éditeur a encore choisi un titre alternatif avec Agent 077 opération sexy. Difficile de s’y retrouver, mais la version visionnée dure bien 1h21min et a été expurgée des séquences érotiques additionnelles pour se concentrer sur le film d’origine tourné en Espagne en 1962. Effectivement, si l’action de 077 opération sexy est censée se dérouler à la Nouvelle-Orléans, puis à la Jamaïque, le cinéaste espagnol n’a pas bougé de son fief andalou, recréant une atmosphère caribéenne qui tient davantage du folklore et du fantasme du fan de jazz qu’il était.
Dès les premiers instants, Jesús Franco se plaît à filmer un orchestre de jazz – dont il fait partie d’ailleurs en tant que trompettiste – jouant dans un club enfumé. On retrouve ici son goût pour ces atmosphères nocturnes qui seront au cœur de nombre de ses films, des plus réussis aux plus pathétiques. Porté par un noir et blanc très contrasté signé Juan Mariné, 077 opération sexy dévoile assez rapidement son genre, à savoir le film noir à portée politique. Malgré son titre français ridicule, le métrage n’est aucunement un film d’espionnage, mais une plongée au cœur d’une vengeance orchestrée par quelques personnages trahis par un potentat local ayant fait fortune dans le trafic d’armes.
Des acteurs qui tirent leur épingle du jeu
Le grand méchant est ici incarné par l’acteur français Georges Rollin, ancienne vedette des années 40, qui tourne ses derniers films avec Jesús Franco avant de décéder prématurément d’un cancer. L’acteur s’acquitte de son rôle de manière consciencieuse et livre une prestation plutôt nuancée. Effectivement, loin d’être un homme implacable, ce magnat qui impose sa loi d’airain sur la région est traversé de doutes et d’angoisses qui en font un être complexe et non univoque. Il est finalement le protagoniste le plus important de cette histoire où il doit affronter plusieurs de ses Némésis.
Autour de lui gravitent deux beaux personnages de femmes dont l’une se révélera fatale lors d’un final qui tire sur le cinéma fantastique. En tout cas, Danik Patisson et Perla Cristal sont deux belles révélations dont le jeu n’a d’égal que la beauté et la séduction.
077 Opération sexy sous forte influence de La dame de Shanghaï
Dans le rôle de l’agent Al Pereira – un nom de héros qu’a souvent réutilisé Jesús Franco par la suite – Conrado San Martín n’est pas mal non plus, même si son personnage est davantage dans l’action que dans la psychologie. Marqué par une ambiance nocturne du meilleur aloi, 077 opération sexy est aussi magnifié par la réalisation d’un Jesús Franco qui semble avoir beaucoup vu La dame de Shanghaï (Welles, 1946). Ainsi, le cinéaste multiplie les décadrages, les plans obliques, les plongées et contre-plongées, et utilise le clair-obscur avec gourmandise, faisant de son film un bel exercice de style.
On peut certainement regretter que le scénario ne soit pas aussi soigné, puisque l’intrigue ne tient en réalité que sur la base d’un unique retournement de situation final, quelque peu tiré par les cheveux. Toutefois, cela n’empêche nullement d’apprécier cet opus du petit maître espagnol qui se faisait déjà étriller à l’époque par les critiques. Ainsi, lors de la sortie, La Saison cinématographique 1968 rendait compte ainsi du long-métrage sous la plume d’un Jacques Zimmer catégorique :
Valeur : Nulle. Jess Frank a dû beaucoup s’ennuyer à réaliser cet inconsistant brouet policier.
Où voir 077 opération sexy en 1966 ?
Pour sa défense, le journaliste avait sans aucun doute visionné la version caviardée d’inserts érotiques qui devait forcément alourdir la projection. C’est d’ailleurs cette version qui a été diffusée à Paris à partir du 22 juin 1966 dans l’unique salle du Scarlett durant quinze jours, avant que la copie ne déménage au cinéma Midi-Minuit où elle a d’ailleurs mieux fonctionné durant quinze autres jours, dans une salle de capacité équivalente (un peu plus de 400 sièges). En arrivant en 3e semaine au Midi-Minuit, le film de Jess Franco obtient à Paris tout simplement le 9e taux de remplissage sur 64 écrans, avec 6 792 spectateurs ! Pour sa première semaine au Scarlett, il en avait attiré 5 404, soit le 23e taux de remplissage. On notera qu’alors, La fille au monokini, avec ses promesses d’érotisme torride avait séduit plus de 11 000 spectateurs au mythique Paris-Minuit.
Au bout d’un mois d’exploitation, 077 opération sexy a déplacé 20 096 spectateurs mâles venus admirer des jeunes femmes légèrement vêtues.
Par la suite, le long-métrage est paru en VHS chez l’éditeur Go Vidéo dans sa collection Etoiles et toiles en 1991. Depuis lors, le métrage avait disparu de la circulation jusqu’à cette année 2023 et la sortie du combo DVD – blu-ray d’Artus Films qui complète ainsi sa riche collection Jess Franco.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 22 juin 1966
Acheter le film en combo DVD / Blu-ray sur le site de l’éditeur
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Conrado San Martín, Xan das Bolas, Jesús Franco, Danik Patisson, Perla Cristal, Georges Rollin