War Pony, incursion poétique dans l’Amérique des laissés-pour-compte, se place à hauteur des natifs américains. La Caméra d’or de Cannes 2022 est une évidence de sociologie cinégétique tant cette production co-réalisée par l’icone du cinéma indépendant, l’actrice Riley Keough, passionne par sa fougue et plombe par son atavisme social.
Synopsis : Deux jeunes hommes de la tribu Oglala Lakota vivent dans la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud. Bill, 23 ans, cherche à joindre les deux bouts à tout prix. Matho, 12 ans, est quant à lui impatient de devenir un homme. Liés par leur quête d’appartenance à une société qui leur est hostile, ils tentent de tracer leur propre voie vers l’âge adulte.
Les cavaliers de l’ombre
Critique : La déchéance sociale de la société américaine, réduite à une errance fantomatique de ses protagonistes, est l’un des thèmes favoris du cinéma indépendant américain. Que ce soit la misère des Afro-américains dans des ghettos urbains, celle des Rednecks abandonnés par la technocratie et gangrenés par leur ignorance, ou le sort des migrants, en particulier latinos, qui survivent difficilement à la réalité d’un mur physique et mental, les ouvrages valeureux sur les oubliés du mythe américain, abondent à l’écran.
Malheureusement, la communauté des natifs américains, sabordée de l’intérieur par l’alcoolisme et la délinquance, et concentrée dans des réserves placées hors des territoires dits d’intérêt fédéral, font rarement l’objet de propositions de cinéma perméable au désir de cinéma du public qui, depuis les western, tend à oublier leur réalité.
Archétype de la grandeur sociologique du cinéma indépendant
Les indigènes américains déclinent dans l’indifférence au risque d’une extinction culturelle que l’on voit bien à l’œuvre dans War Pony. L’indifférence du monde nord-américain et des préoccupations de la jeunesse mondiale, plus volontiers portée par l’empathie vers d’autres causes, laisse mourir une population actrice de son propre déclin, faute de pouvoir être sa propre héroïne. Non-existant, la jeunesse native émerge difficilement dans une culture du marasme de l’entre deux, où le reniement des valeurs tribales s’accompagne d’un désespoir exprimé dans tout l’art occidental de la déchéance… Alcool, drogue, deal dès le plus jeune âge sur fond de rap et de RNB pour générer un peu de rêve de réussite dans le banditisme.
War Pony chausse ses images des meilleures intentions, donner vie au scénario initié par deux enfants de la déshérence via des acteurs non professionnels d’une justesse douloureuse tant les aléas de leur vie provoquent l’effroi. La faucheuse œuvre à sanctionner les familles de leurs pères, mères et enfants du plus jeune âge sans l’assistance à personne en danger que le système protecteur français pourrait mettre en place. Les enfants rieurs et plein de vie qui dégringolent dans la vente de stupéfiants dans War Pony sont des existences saccagées qui trouvent refuge éventuellement dans des palais du crime tenu par une Ma’ Dalton proche d’un personnage de Dickens, mais dont on comprend les motivations par la nécessité de survie. War Pony est une œuvre du vide existentiel où la symbolique animale et tribale hante le spectateur à travers ses images belles et hypnotiques d’une ruralité agressée par le dénuement et l’adversité atavique.
Récit double autour de jeunes gens qui ne se connaissent pas – l’un est au début de l’âge adulte, l’autre est pré-adolescent, War Pony est une immersion dans un réel nord-américain à l’esthétique et au quadrillage de l’image magnifiquement indie, mais stoïquement juste, ancrée au plus profond du vide existentiel d’une jeunesse décharnée. Ces deux immaturités masculines sont livrées au système D et au poids de l’humanité trop lourd à porter sur leurs épaules de freluquets. L’un fuit ses responsabilités de père et donc de reproducteur de malheurs en série, l’autre trouble par son manque d’empathie et sa volonté à reproduire une masculinité paternelle qui a conduit son père dans la tombe.
Indiens amers au casting
Résolument puissant, War Pony épouse les plus beaux canons d’un cinéma de la frange, farouchement rebelle et éminemment révoltant jusqu’à sa peinture parallèle de cette catégorie sociologique aussi vulgairement nommée qu’elle l’est dans sa réalité, la “White Trash population”. Celle-ci ne sort pas indemne de cette peinture du Dakota du Sud, écrite à huit mains et co-réalisées à quatre, autant de talents additionnés à ceux des acteurs non professionnels issus de la réserve de Pine Ridge, réservoir de détresse où l’espérance de vie ne dépasse pas les 50 ans pour les hommes et à peine les 52 ans pour les femmes.
War Pony dénonce les inégalités de naissance avec conviction et émotion. Un vrai cheval de bataille qu’il serait dommage de ne pas enfourcher.
Box-office de War Pony
La France est l’un des rares pays à avoir pu profiter du premier long de Gina Gammell et Riley Keough sur le grand écran. Le prix de la Caméra d’or à Cannes, confirmé par un doublet à Deauville, faisait de cet éminent film indépendant un choix judicieux pour la salle. Le distributeur Les Films du Losange a attendu un an et l’actualité cannoise 2023 pour le proposer sur les écrans, afin de lui permettre d’étendre sa notoriété au sommet de différents palmarès.
C’est dans une combinaison de 80 salles que l’on retrouve cette belle production la semaine du 10 mai 2023 à 6 jours de l’ouverture cannoise marquée par les premiers pas de Jeanne du Barry de Maïwenn.
Face aux jeunes déracinés de War Pony, l’on retrouve la comédie ratée de Mélissa Drigeard, Hawaii, le roublard L’exorciste du Vatican, Roschdy Zem en Principal, Agnès Jaouï dans Le cours de la vie, la romance homosexuelle Le paradis de Zeno Graton, le film épique réalisé par Donnie Yen, Sakra… Une richesse de choix et une vraie diversité lors d’un mois peu enclin à remplir les salles.
War Pony trouve une 25e place un peu légère mais encourageante, avec 13 057 entrées dans 80 salles ; il doit donc s’installer dans la durée. Au moins fait-il immédiatement mieux que le film d’action Sakra qui doit se contenter de 12 831 spectateurs dans 118 cinémas pour une fin de carrière catastrophique à 19 208 spectateurs (le périple chinois en était réduit à 649 spectateurs er 15 écrans en 3e semaine).
Avec une deuxième semaine à 100 écrans, notre poney de guerre baisse à peine de 27% et franchit le cap des 20 000 entrées. Au gré d’un parcours invisible dans les ciné-clubs en France, la Caméra d’or, qui n’affiche que 32 000 entrées en 6 semaines et désormais 736 cavaliers dans 64 salles, sera capable de glaner quelques 10 000 entrées de plus sur l’année 2023, et achèvera sa course de cheval fou à 44 562 entrées, multipliant par trois ses premiers chiffres.
Avec 160 000$ de recettes, War Pony obtiendra ses plus grosses recettes salles sur notre territoire. Les Pays-Bas lui apporteront 46 000$ et le Royaume-Uni 39 000$.
Pas de chiffres pour les USA où il est sorti de façon limitée le 28 juillet et proposé en VOD le même jour. Momentum Pictures n’a pas communiqué les chiffres salles qui doivent être bas. C’est sur internet que les Américains ont pu découvrir cette œuvre magistrale.
Le DVD de War Pony
Blaq Out, spécialisé dans le cinéma art et essai, propose le film en vidéo dès le mois de septembre 2023. Pas d’édition physique haute définition, mais un DVD de bonne facture, avec de vrais attributs visuels, mais aussi sonore, avec une piste 5.1. qui n’a nul défaut notable. La restitution est fine et chaleureuse. Une bonne copie.
Au niveau des bonus, l’entretien avec un critique de cinéma, aussi pertinente soit-il, n’est pas ce que l’on peut attendre d’une édition portant sur un film contemporain passé un an auparavant à Cannes et à Deauville. On aurait préféré des reportages sur les réalisatrices lors de leurs venues en France. Cela aurait davantage personnalisé cette édition de qualité pour une œuvre valeureuse qui mérite vraiment le support physique. On notera l’utilisation de l’affiche cinéma française pour la jaquette, une variation sombre du visuel américain. Beau choix.
Sorties de la semaine du 10 mai 2023
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Biographies +
Gina Gammell Riley Keough, Jojo Bapteise Whiting, Ladainian Crazy Thunder
Mots clés
La jeunesse paumé au cinéma, 2023, Cinéma américain – CinéDweller (cinedweller.com), Cannes 2022, Cinéma indépendant