Envoûtante et déroutante, Under the Skin est un exercice de style fascinant qui imprègne les sens par son étrangeté. Un choc cinématographique inégalé dans son genre qui compte parmi les œuvres les plus importantes de la décennie 2010.
Synopsis : Une extraterrestre arrive sur Terre pour séduire des hommes avant de les faire disparaître.
Critique : Rare avec quatre réalisations en 24 ans – le Grand Prix Cannois La zone d’intérêt est sorti en 2024 -, Jonathan Glazer ne peut être taxé d’opportunisme. Son œuvre, en parfaite évolution, dont la genèse s’inscrit dans la liberté du vidéo-clip (ses vidéos pour Blur, Massive Attack et Radiohead sont encore des références), est passée du polar noir britannique (Sexy Beast, 2000) au drame familial américain glacial (Birth).
Dans ce dernier, thriller familial se positionnant entre Kubrick et Polanski, l’auteur conduisait Nicole Kidman dans un exercice de style fou, aux portes du fantastique, sur une thématique casse-gueule, la réincarnation.
Under the Skin embarque une autre star glamour, Scarlett Johansson, dans une œuvre encore plus singulière, parmi les plus dérangeantes découvertes dans les années 2010, aux antipodes de la galaxie commerciale qui a caractérisé la carrière de l’ancienne muse de Woody Allen lorsqu’elle était de tous les Marvel. Under the Skin ne s’adresse jamais au public de Black Widow dont il dérangera le goût du divertissement ampoulé qui est celui du blockbuster adolescent américain.
L’adaptation du roman éponyme de Michel Faber publié en 2000, revêt une forme particulièrement étrange à l’écran. Ce récit trouble et épuré ne s’encombre pas d’un scénario et se désintéresse d’une quelconque ambition commerciale. “Une extra-terrestre”, comme le résume brièvement le synopsis, “arrive sur Terre pour séduire des hommes avant de les faire disparaître”. La trame est chiche et c’est donc bien sa construction formelle qui lui donne du sens, avec une identité stylique presque antinomique qui se fait l’ADN suprême de ce trip hallucinant.
Le réalisateur expérimente et trouve l’inspiration dans l’extase esthétique qu’il appose à une approche naturaliste d’un projet caverneux. Scarlett Johansson, alien de charme, toute de nudité charnue, sort de sa grotte pour parcourir les chemins obscurs d’un monde terrestre qui lui est étranger. Dans une Ecosse profondément sociale et cinégénique, où ses victimes sont des anonymes, des acteurs amateurs qui confèrent aux images un caractère du réel, l’errance dans des limbes oniriques et cauchemardesques fascine.
L’incroyable économie des mots, l’omniprésence des silences et la musique exceptionnelle de Mica Levi, ajoutent une texture discordante au sein de sa décennie 2010. Under the Skin est évidemment un descendant des trublions neurologiques des années 70, assénant des images irréelles sur un ton fantasmagorique. L’exercice de style plonge son audience dans une transe hypnotique que d’aucuns pourraient trouver soporifique, mais qui, au vu du culte que le film a su bâtir, a séduit en dehors des canons commerciaux du cinéma contemporain.
Magnétique à bien des égards, défiant l’espace et le temps comme tout beau projet de science-fiction devrait être capable de le faire, Under the skin interpelle, déstabilise, provoque. Les solitudes convoquées à l’écran, la monstruosité des corps, la nudité des acteurs, l’approche éminemment sexuelle, l’intériorité refoulée des émotions, sont autant de facteurs qui rendent ce troisième long métrage de Jonathan Glazer inconfortable. Et comment pourrait-il en être autrement quand le cinéaste virtuose abandonne un bébé, seul dans une nature inhospitalière, après le meurtre sauvage de son père, ou filme avec pudeur le rapprochement entre la belle étrangère et un homme sans masque, réellement défiguré par des tumeurs au visage qui le font paraître lui-même d’un autre monde.
Dix ans après sa sortie remarquée, le projet indomptable de Jonathan Glazer n’a jamais cessé de hanter les spectateurs de la première heure. Sa leçon de cinéma a tourné au masterclass et son audace a trouvé, dans le cannois La zone d’intérêt, toute la confirmation de son génie.
Les sorties de la semaine du 25 juin 2014
Le test Blu-ray d’Under the Skin
L’édition blu-ray d’Under the Skin est techniquement probante et à la hauteur de l’attente générée par cette proposition de cinéma radicale, à la contemplation poétique et macabre, qui a emballé plus de 140.000 spectateurs en France. Un beau score pour une authentique vision de 7e art. L’un des plus grands films de 2014.
Compléments : 3.5 / 5
On apprécie l’authenticité des suppléments qui donnent la parole tout d’abord à un expert, Olivier Père, qui présente la filmographie de Jonathan Glazer et qui analyse joliment ce film, le rapprochant notamment de 2001 de Kubrick.
C’est ensuite l’équipe de Under the skin qui vient donner de la chair textuelle à ce film abscons. 28mn d’entretien avec Jonathan Glazer, ses producteurs, la responsable du casting, le monteur… Le travail d’adaptation, le casting de la star, mais aussi des non professionnels, le montage, les effets spéciaux ou la musique sont passés au crible…
Attention, Scarlett Johansson, qui s’est mise à nu dans le film, manque à l’appel dans cette section.
Image : 4.5 / 5
Le master 16/9 au ratio image 1.85 est remarquable en dépit des nombreuses séquences nocturnes ou de la faible luminosité générale du métrage. Celui-ci se déploie avec profondeur quand il le faut, permettant une bonne appréhension de la composition du décor (premier et arrière plan) sur laquelle le cinéaste aime jouer.
Son : 4 / 5
Le caractère documentaire de l’image ne profite pas aux dialogues, forcément faibles, même en DTS HD Master Audio, mais en revanche, le dispositif HD se justifie par la puissance musicale, envoûtante, spectrale, et puissante… Le blu-ray d’Under the Skin nous permet de baigner dans cette étrange bande son, en 2.0 ou 5.1. Pas de piste française, cette production atypique, destinée aux amateurs de curiosités underground, est sortie exclusivement en version originale.