Un Woody Allen élégant, raffiné, drôle et émouvant, loin d’être en mode mineur, et qui confirme la virtuosité du cinéaste.
Synopsis : Deux étudiants, Gatsby et Ashleigh, envisagent de passer un week-end en amoureux à New York. Mais leur projet tourne court, aussi vite que la pluie succède au beau temps… Bientôt séparés, chacun des deux tourtereaux enchaîne les rencontres fortuites et les situations insolites.
Critique : Le cinéphile est toujours autant excité que dubitatif avant de voir un dernier opus de Woody Allen : va-t-il découvrir un nouveau bijou de l’auteur de Manhattan et La Rose pourpre du Caire ou sera-t-il déçu par un jalon mineur, comme ont pu l’être Celebrity ou Hollywood Ending ? Un jour de pluie à New York est nettement dans la première catégorie, même si quelques réserves l’empêchent d’être tout à fait au sommet de la filmographie du maître, et nous commencerons par elles.
L’effet de surprise s’est bien sûr émoussé et même les inconditionnels du réalisateur pourront trouver répétitifs les génériques avec air de jazz, les promenades typiques dans Manhattan ou ces marivaudages intellectuels qui ont d’ailleurs été repris, voire plagiés, dans maintes œuvrettes du cinéma indépendant américain, qu’elles aient été signées par Steve Buscemi, Whit Stillman ou d’autres Tom DiCillo. En outre, le premier quart d’heure, situé dans un campus américain, peine à insuffler au métrage un véritable rythme, le jeune couple central s’avérant un peu fade, comparativement aux personnages déjantés campés naguère par Diane Keaton ou Allen himself, ou plus récemment par Joachin Phoenix ou Kate Winslet.
Mais très vite, la singularité du film est évidente. Si l’on est certes en terrain conquis (c’est aussi la marque des grands réalisateurs d’imposer leurs univers et décors de prédilection), Un jour de pluie à New York dépasse son apparence d’aimable comédie romantique d’auteur pour se teinter de gravité, sans la noirceur qui a pu caractériser certains films du cinéaste. « Superficiellement superficiel », comme a pu l’être le cinéma d’Ophuls, le métrage est d’abord le beau portrait de deux jeunes étudiants socialement aux antipodes.
Gatsby est issu de la classe supérieure new-yorkaise, financière et arrogante, mais se sent attiré par un mode de vie plus bohème que bourgeois, subjugué par la peinture, les cafés typiques et le cinéma classique, sa passion pour Jacques Tourneur et les films noirs illustrant son décalage avec les autres jeunes hommes de sa génération. Ashleigh vient d’un milieu rural plus traditionnel, mais son ambition de réussir socialement et de se confronter aux célébrités médiatiques traduit un premier contraste avec son petit ami. Un week-end romantique et culturel à New York va-t-il balayer leurs différences ou consolider l’amour qui semble les lier ?
On se doute qu’Allen ne cédera ni à la mièvrerie ni aux pirouettes de scénario, les imprévus qui pimenteront ces deux jours à New York donnant au récit de réels moments de grâce et d’équilibre entre la légèreté et la mélancolie, l’auteur dosant avec élégance les genres, du vaudeville au soap opera en passant par l’introspection bergmanienne. Outre de jolies métaphores (la dimension sentimentale et érotique de la pluie), on appréciera des dialogues toujours jubilatoires, un montage subtil mêlant deux récits parallèles, une photo de Vittorio Storaro aussi lumineuse que pour Wonder Wheel, et une mise en scène à la fois brillante et sobre, sans coquetteries de style, qui est la marque des plus grands.
Il n’est pas superflu d’ajouter que la direction d’acteurs est toujours aussi éblouissante. Le charismatique Timothée Chalamet confirme les espoirs que l’on avait placés en lui depuis Call Me By Your Name, quand Elle Fanning, divine, révèle un vrai talent pour la comédie, loin de l’image de gravure de mode qui a pu être la sienne. Ils sont bien entourés par des partenaires au diapason, dont Liv Schreiber dans un rôle qui s’apparente au double du cinéaste, et la comédienne de théâtre Cherry Jones, bouleversante dans celui de la mère du protagoniste. Ne manquez donc pas cette petite merveille toujours inédite aux États-Unis à cause de la chasse aux sorcières dont est victime l’auteur d’Annie Hall.
Critique : Gérard Crespo