Premier essai intéressant, Un homme en fuite mêle histoire sentimentale, sociale et polar dans un entrelacs narratif passionnant à suivre. Le tout est surtout magnifié par le score post-rock du groupe Feu Chatterton, ici très inspiré.
Synopsis : Rochebrune est au bord du chaos. Johnny, leader du mouvement de protestation de la ville, a disparu après avoir braqué un fourgon. Lorsque Paul Ligre apprend la nouvelle, il revient dans la ville qui l’a vu grandir pour retrouver son ami d’enfance avant la police. Seulement, l’enquête d’Anna Werner la mène inéluctablement vers le secret qui unit Paul et Johnny…
Un petit tour dans les Ardennes
Critique : Après une dizaine d’années passées à tourner des courts métrages, le cinéaste Baptiste Debraux est parvenu à réaliser son premier long de fiction avec Un homme en fuite (2024) qu’il situe dans ses Ardennes natales. Soutenu par la société de production Agat Films & Cie, Baptiste Debraux s’est beaucoup inspiré de son adolescence passée dans cette région sinistrée sur le plan économique pour écrire son scénario. Certes, il invente de toute pièce la petite ville de Rochebrune, mais pour mieux ancrer son récit dans une géographie précise, celle d’une vallée bordant la frontière belge que l’artiste connaît parfaitement.
Le cinéaste débute son premier essai par une scène de braquage de fourgon qui tourne mal et nous présente ainsi le hors-la-loi Johnny (charismatique Pierre Lottin), dont on ne sait pas s’il a survécu à la traque menée par la gendarmerie. Parallèlement, le spectateur suit les pas de l’écrivain Paul Ligre (Bastien Bouillon, plutôt inspiré) qui tente de reprendre contact avec le fugitif. Leur lien d’amitié apparaît par l’emploi de flashbacks et laisse transparaître une admiration de l’intellectuel pour la force brute dégagée par l’aspirant truand. Enfin, un troisième arc narratif nous montre l’enquête menée par la gendarme en charge de l’affaire, incarnée avec une autorité naturelle par l’excellente Léa Drucker.
Un script intéressant, plombé par quelques maladresses
Malgré sa structure narrative alambiquée qui contraint le spectateur à franchir les années d’un plan à l’autre, Un homme en fuite n’est jamais confus et l’on doit saluer en cela le très beau travail effectué en amont sur le scénario, puis en aval sur le montage. Cela permet au cinéaste d’approfondir petit à petit la psychologie des différents protagonistes et de mieux expliquer les liens qui les unissent par-delà les années. L’ensemble n’est toutefois pas exempt de reproches et de maladresses. On pense notamment aux flashbacks qui nous ramènent au temps de l’adolescence des personnages. Malgré tous leurs efforts et leur talent, Pierre Lottin, Bastien Bouillon et Marion Barbeau ne sont assurément pas crédibles en ados de 18 ans. Certes, ils sont maquillés, coiffés et habillés pour masquer du mieux possible leur âge, mais cela ne fonctionne pas vraiment. En tout cas, il faut un petit temps d’adaptation pour accepter ce procédé.
En revanche, on est saisi dès le début par la capacité du cinéaste à capturer l’essence d’une région en seulement quelques plans. Il décrit ici un espace miné par la désindustrialisation et les délocalisations, mais où la population refuse de baisser les bras. Son exploration d’un milieu en lutte par la grève est parfaitement rendu et donne lieu à d’excellentes séquences. Certes, son point de vue est clairement orienté à gauche, avec une vision très positive de la lutte syndicale face à la répression du grand capital et de ses affidés, les forces de l’ordre, mais le long métrage n’est pas dépourvu de nuances pour autant.
Un homme en fuite, œuvre engagée mais non dépourvue de nuances
Ainsi, tous les ouvriers ne sont pas vertueux et le mouvement est lui-même traversé par de fortes tensions entre grévistes, notamment entre partisans de l’action radicale et les plus modérés. De l’autre côté, tous les gendarmes ne sont pas réduits à leur fonction. On pense notamment au très joli personnage de Léa Drucker qui est la fille d’un ancien syndicaliste, rejetée par son père dès lors qu’elle a intégré le corps de gendarmerie. Son parcours personnel apparaît au fil de l’enquête et laisse transparaître une belle humanité.
Enfin, le fameux Johnny au centre de toute l’intrigue est certainement un nouveau Robin des bois qui refuse la soumission face aux injustices sociales, mais son caractère violent en fait aussi un être ambigu traversé de doutes et de failles. On a du mal à savoir s’il s’agit d’un personnage positif ou négatif, ce qui montre une réelle qualité d’écriture et un sens certain de la nuance. Même le trio formé par les adolescents durant les flashbacks n’est pas idéalisé puisque leurs histoires d’amour/amitié ne sont pas dépourvues de trahisons diverses et variées.
Des références littéraires et une musique post-rock très réussie
Intéressant dans sa façon d’aborder les personnages, Un homme en fuite l’est également par sa dimension littéraire. Effectivement, les jeunes personnages se fondent sur l’histoire de L’île au trésor de Robert Louis Stevenson pour créer leur propre îlot en dehors du monde tumultueux. Mais, cette référence infuse toute l’histoire et se retrouve notamment dans le lieu choisi pour cacher le magot issu du braquage. Enfin, il n’est pas interdit de voir dans la figure de Johnny une métaphore de l’esprit de résistance face au capitalisme. Dès lors, le long métrage devient un enterrement de première classe des luttes ouvrières, condamnées face à la déferlante néo-libérale qui emporte le monde. Malgré ses défauts et ses zones d’ombre, Johnny peut donc apparaître comme une nouvelle figure de proue d’un combat social à ressusciter.
Toutefois, Un homme en fuite ne serait pas aussi réussi sans la contribution majeure apportée par le groupe Feu! Chatterton qui dégoupille ici un score post-rock particulièrement inspiré. En mode progressif comme peuvent l’être les morceaux de groupes comme Mogwai, le combo français accompagne les images du film en leur conférant une tension supplémentaire et parfaitement adaptée. Cela fait donc de ce premier long métrage un essai convaincant, malgré quelques faiblesses signalées ci-dessus.
Un polar passé inaperçu dans les salles
Après une belle exposition au Festival Reims Polar 2024, Un homme en fuite est sorti dans un circuit correct de 142 salles en France, dont 34 en région parisienne au maximum de son exploitation. Visiblement mal promu, le long métrage inconnu du grand public et desservi par des critiques moyennes s’est vautré à la quinzième place du classement hebdomadaire parisien de la semaine du 8 mai 2024 avec seulement 9 212 spectateurs perdus dans des salles vides. Sur toute la France, ils ne furent que 19 721 clients. La semaine suivante est sanglante car le polar est quasiment retiré de l’affiche et réussit à séduire à peine 3 054 retardataires sur toute la France. Si le film a été encore exploité durant quelques semaines, il ne peut terminer sa course qu’avec 23 473 fugitifs à son bord. Une contre-performance que l’on regrette.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 8 mai 2024
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Baptiste Debraux, Léa Drucker, Anne Consigny, Giovanni Pucci, Bastien Bouillon, Pierre Lottin, Marion Barbeau
Mots clés
Films anticapitalistes, L’amitié au cinéma, Critique sociale, Les violences policières au cinéma, Les cavales au cinéma