Déclaration d’amour au cinéma, Travelling avant est une œuvre qui parlera avant tout aux cinéphiles. Les autres n’y verront guère d’intérêt, ce qui peut en partie expliquer son terrible échec public à sa sortie.
Synopsis : Paris, octobre 1948. Nino, Gilles, Donald, Barbara et leurs amis sont une nouvelle race de spectateurs. Ils découvrent le cinéma comme art, ce sont des cinéphiles. Ils vont tenter de réaliser leur grand projet : fonder un ciné-club. “Mon film veut d’abord être un témoignage sur quelques jeunes gens qui n’ont vécu que pour une passion : le cinéma.”
La cinéphilie au centre d’un film de passionné
Critique : Après plusieurs succès commerciaux (Cousin, cousine, Croque la vie, Escalier C), le réalisateur Jean-Charles Tacchella dispose d’un budget assez conséquent alloué par le producteur Daniel Toscan du Plantier pour mettre en image son scénario de Travelling avant. Le cinéaste y évoque par le biais de la fiction son propre parcours de jeune provincial passionné de cinéma qui monte à Paris pour avoir plus facilement accès aux salles obscures. Nous sommes tout juste après la Seconde Guerre mondiale et commence à se développer une cinéphilie qui prend la forme de ciné-clubs et de quelques festivals de films d’auteur.
Ce sujet est bien connu de Tacchella puisque lui-même a participé dès 1948 à la fondation d’un ciné-club (Objectif 49) et qu’il fut parmi les organisateurs du festival du film maudit de Biarritz qui est d’ailleurs évoqué dans Travelling avant.
Une large part autobiographique
Même si le cinéaste ne réalise pas son autobiographie, il est évident qu’il se retrouve dans la plupart des personnages qu’il dépeint ici. Que ce soit dans l’aveuglement total de Nino (Thierry Frémont, excellent et qui a obtenu le César du meilleur espoir masculin pour ce rôle) qui se refuse à investir le réel par cinéphilie passionnelle, dans la fausse légèreté de Barbara (Ann-Gisel Glass, très naturelle) ou dans la volonté d’arriver de Donald (aérien Simon de La Brosse), on peut imaginer le cinéaste dans chacun de ses protagonistes. Celui-ci ne cesse de citer Lubitsch, mais il évite pourtant de tomber dans un traditionnel triangle amoureux. Certes, les personnages finissent tous par se rapprocher, s’aimer ou coucher ensemble, mais cela paraît toujours conjoncturel puisque l’important demeure leur passion commune du cinéma.
On se demande d’ailleurs si l’échec commercial du film n’était pas prévisible, tant il semble ne s’adresser qu’à une frange très minoritaire de la population, à savoir les amoureux fous du cinématographe. Le grand public ne pouvait clairement pas saisir les multiples allusions qui parsèment les dialogues (avec parfois abus de références, il faut bien l’avouer) et surtout peinait à sentir impliqué dans une intrigue qui ne possède pas d’autre fil conducteur que celui d’ouvrir un ciné-club (trouver les financements, les copies, la salle et constituer l’affiche).
Un film qui ne s’adresse finalement qu’aux cinéphiles purs et durs
Bien évidemment, tous les fondus de ciné devraient prendre leur pied devant cette jolie déclaration d’amour au septième art. On peut sans doute regretter l’absence de séquences rappelant la magie d’une séance de cinéma, de même que la passion que l’on peut ressentir pour des acteurs et actrices, ou pour des affiches. Ici, les héros vouent surtout un culte aux réalisateurs, mais cela se comprend par rapport à l’époque évoquée. Effectivement, ce n’est qu’à la fin des années 40 que l’on commence à considérer le réalisateur comme le véritable auteur d’une œuvre cohérente.
Tous ces débats qui animent les personnages sont véritablement enthousiasmants à condition que l’on adore le cinéma. Tacchella esquisse même un cinéma meta qui deviendra plus à la mode dans les années 90 en commentant au fur et à mesure son propre long-métrage et en analysant lui-même sa mise en scène. D’ailleurs, sa réalisation est sans doute la principale limite de Travelling avant. Il est dommage qu’un auteur qui clame son amour pour le cinéma ne fasse pas preuve de plus d’ambition au niveau de sa réalisation. Certes, il sait mettre en valeur les beaux décors de studio reconstituant le Paris de 1948, mais l’ensemble manque parfois de punch et d’innovation.
Un film ambitieux, sacrifié en pleine crise du cinéma
Heureusement qu’il peut compter sur des jeunes acteurs dont l’alchimie à l’écran est parfaite. Ils furent sans aucun doute déçus par les résultats catastrophiques du long-métrage au box-office. Sorti en pleine crise du cinéma au mois d’août 1987, Travelling avant n’est entré qu’à la huitième place du box-office parisien la semaine de sa sortie, n’attirant que 10 714 spectateurs sur la capitale. Un échec qui a condamné Jean-Charles Tacchella au silence pendant trois ans, ce qui est terriblement injuste. Malgré une sortie en VHS, le long-métrage est devenu très difficile à voir de nos jours, même s’il apparaît de temps à autre sur des plateformes de VOD.
Critique du film : Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 19 août 1987
© 1987 StudioCanal / Affiche : Michel Landi