The Whale de Darren Aronofsky est un peu plus complexe que la moyenne des films américains de son époque et cela fait du bien. Le mélodrame plombant ne panse pas les peines, il les transcende.
Synopsis : Charlie, professeur d’anglais reclus chez lui, tente de renouer avec sa fille adolescente pour une ultime chance de rédemption.
Critique : Malgré une standing ovation de 15 minutes à Venise, The Whale n’a eu de cesse de diviser les critiques dans le monde. Le retour de Darren Aronofsky, cinq ans après la sinistre expérience du confus et hystérique The Mother, a été salué pour l’incroyable interprétation de Brendan Fraser. L’acteur, coincé dans le corps d’une personne souffrant d’obésité morbide, y livre sa première grande prestation dramatique et trouve la rédemption que le cinéma lui refusait depuis plus d’une décennie. Il a mis tout le monde d’accord.
The Whale, la danse macabre du corps et du spirituel
En revanche, le quasi huis clos a suscité des avis divergents, nourrissant toutes les interprétations et toutes les fois (de bonne ou de mauvaise), dans une inter religiosité qui est aussi celle du film où le spirituel et le rationnel/corporel entrent en conflit.
Dans un appartement sombre, oppressant, sorte d’extension de la carcasse du protagoniste, embouteillé dans 1.33 qui limite considérablement l’espace – de par son poids, le personnage ne peut plus quitter son corps. Les murs de son antre deviennent ceux d’un mausolée d’où il parvient à peine à se hisser de son fauteuil.
Une composition musicale de Rob Simonsen sublime
Le décor planté dès les premières minutes, dans une photographie froide, une musique d’un pessimisme plombant (magnifique score de Rob Simonsen) imprègne une sensation immédiatement saillante. Ce bain de noirceur où évolue à peine cette baleine humaine sera forcément l’auge de drames dont on sent la funeste conclusion. Cette attirance du cinéaste pour le mélodrame a été rédhibitoire pour certains, mais se révèle aussi une magnifique échappatoire par l’émotion pour d’autres, dérobade par les larmes méritée par une réflexion incessante sur des destins pluriels.
Un matériau dramaturgique personnel à la dynamique dépressive
Aronofsky adapte en effet une pièce de théâtre de Samuel Hunter qui a participé au scénario. Dans ce matériau dramatique de 2012, l’auteur gay y évoque sa sexualité, son rapport au Christianisme, à la paternité, sa relation difficile à la nourriture… Une œuvre personnelle qui s’ouvre à d’autres personnages, tous complexes mais peu nombreux, comme le cadre austère de la dramaturgie l’impose. Aucun de ces personnages n’est sacrifié par les auteurs – celui de la pièce et celui du film, chacun y étant sondé dans ses souffrances intériorisées jusqu’aux excès, et notamment celle du gavage suicidaire du protagoniste de “la baleine” si métaphorique, imbibée son sous-texte de renaissance. La fuite des responsabilités des uns, le poids des traumas, mènent à une rédemption cathartique où la mort des uns libère les autres, comme elle a pu les condamner au retrait.
Un hymne à l’empathie qui dépasse l’inanité pédagogique
Dans sa tragédie, The Whale de Darren Aronofsky questionne, mais nullement ne noie sa pensée dans l’inanité d’une facilité didactique. Son hymne à la compassion et à l’empathie du monstre harponné est surtout une invitation à l’intelligence que peu d’œuvres contemporaines ont été capables d’itérer récemment.
L’Académie des Oscars, comme toujours avec Aronosfsky, qui n’a jamais été oscarisé, y a été moyennement sensible avec seulement trois nominations pour Brendan Fraser, le second rôle féminin incarné par Hong Chau à la finesse de jeu chirurgicale, et évidemment les maquillages pour la prothèse portée par le comédien qui a invité la génération offensée à regretter qu’on n’ait pas engagé une personne grosse à se mettre à nue. Une ineptie à nos yeux.
Doté d’un budget de 10 millions de dollars, The Whale a su séduire les Américains qui en ont fait un beau succès d’art et essai, avec 17 millions de recettes, c’est-à-dire autant que The Fabelmans de Spielberg, mais avec des moyens bien moindres. Cette œuvre difficile a aussi su parler aux Mexicains, aux Britanniques, aux Espagnols et aux Italiens. A suivre pour la France.
Les sorties de la semaine du 8 mars 2023
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Darren Aronofsky, Brendan Fraser, Samantha Morton,, Hong Chau, Sadie Sink, Ty Simpkins