Terreur sur la lagune est un giallo de seconde catégorie, transcendé par une formidable édition vidéo chez Le Chat qui fume, plusieurs décennies après deux VHS culte. Un must pour les collectionneurs vite épuisé.
Synopsis : Jeune professeur à l’université de Rome, Stefano D’Archangelo profite des vacances d’été pour aller voir son frère, Don Paolo, prêtre dans une paroisse proche de Venise. En chemin, il rencontre la belle Sandra, artiste peintre qui vit avec sa mère paralysée. Le soir même de son arrivée, une médium est étranglée en face du presbytère, sous les yeux de Don Paolo. La vision du cadavre provoque chez Stefano une série de flash-back lui renvoyant l’image d’un petit garçon effrayé caché derrière un buisson. Dès lors, un tueur élimine un par un les participants aux séances de spiritisme dirigées par la médium. Tous ces crimes auraient-ils un lien avec le meurtre d’une jeune fille, vingt ans auparavant ?
L’un des rares films d’Antonio Bido visibles en France
Critique : Terreur sur la lagune, également exploité en VHS en France sous le titre d’Ombres sanguinaires, est le deuxième long et second giallo coup sur coup du réalisateur Antonio Bido, quasiment inconnu en France, puisque ses films ne connurent jamais l’éclairage d’une exploitation en salle. Solamente nero (Seulement noir), titre qui fait écho, tout comme son premier long (Il gatto dagli occhi di giada), à un giallo Dario Argento (son fameux Profondo Rosso/Les Frissons de l’angoisse), est réapparu récemment notamment grâce à des éditions HD chez nos voisins d’outre-Manche et outre-Rhin. A la France de se parer de sa propre édition avec un collector éblouissant proposé par Le Chat qui fume, en 2016. L’éditeur, alors en pleine ascension, met le paquet au niveau des bonus, du packaging et des petits plus qui deviennent énormes (la BO de Stelvio Cipriani, avec des arrangements des Goblin, cela impose le respect).
Connu surtout par les amateurs de VHS rares pour son exploitation lointaine chez l’éditeur culte Hollywood Vidéo (Evil Dead, Creepshow, La Colline a des yeux, La dernière Maison sur la gauche…), Terreur sur la lagune était devenu invisible sur notre territoire, sans pour autant susciter le moindre émoi. Le film était, dans sa version VHS, difficilement appréciable. Toutes ses petites prouesses techniques de giallo en herbe, alors que le genre agonisait en 1978, que ce soit son filmage souvent inspiré, sa photo d’ambiance, et la musique particulièrement ambitieuse, entre inspiration symphonique et emprise électronique infernale se faisant l’écho des Goblin, font du visionnage en HD une redécouverte certaine de cette œuvre d’un autre âge.
Un giallo moyen, sans grande saveur : l’intérêt est ailleurs
Certes, le rythme lambine, le découpage des plans est parfois boiteux, et l’interprétation de l’héroïne, Stefania Casini (Suspiria), un peu cabotine, mais l’ambiance imparable de ce giallo lacustre, censé se dérouler à Venise, donne bien du plaisir. Il est vrai que les amateurs de violence graphique ou de voyeurisme d’exploitation pourront passer leur chemin tant le film se montre suffisamment raffiné pour éviter ces passages obligatoires du cinéma d’exploitation italien des années 70.
L’on retrouve pourtant bien d’autres éléments fondateurs du thriller italien de l’époque : un trauma originel mis en boîte de façon arty, des crimes savamment mis en scène, un sens pittoresque du décor, une ambiguïté perverse de l’identité du tueur (tueuse ?), et une galerie de personnages à assassiner aux mœurs corrompues, au cœur d’une Italie où le poids de l’Eglise catholique est palpable, jusque dans l’incarnation torturée d’un prêtre par l’acteur américain Craig Hill.
Faute d’être un immanquable du cinéma bis ou un classique du suspense, cet essai au giallo, souvent poussif, mais très avenant pour ceux prêts à découvrir autre chose que les classiques bien connus du genre sur lesquels tout a été dit, est surtout l’occasion pour la France de pouvoir mettre en avant son savoir-faire dans l’édition du cinéma de genre en HD, que l’on a trop longtemps laissé aux marchés allemand ou britannique, faute d’une clientèle avérée sur l’Hexagone. Cette édition est un bijou.
Et pour les amoureux de classiques lacustres qui aimeraient en voir davantage, on citera Nuits blanches et Mort à Venise de Visconti, et évidemment Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg, qui a également beaucoup inspiré Antonio Bido.
© 1978 Surf Film S.r.l./Rewind Film S.r.
Le blu-ray de Terreur sur la lagune
Terreur sur la lagune est l’une des premières grandes éditions du Chat qui fume, lors de sa résurrection en 2016, après quelques années de flottement et la fin de son ère dans le DVD. Avec cette sortie, le tout petit indépendant devenait l’un des éditeurs de taille qui allait fidéliser sa clientèle et se forger une réputation internationale. Il proposait parallèlement La sœur d’Ursula d’Enzo Milioni, et s’était fait remarquer la même année avec les éditions brillantes de La nuit des diables de Giorgio Ferroni et Exorcisme Tragique de Romano Scavolini.
La sortie blu-ray de Terreur sur la lagune est, à ce jour, en juin 2023, la seule édition d’envergure sur notre territoire, après les modestes éditions VHS et une distribution en salle ultra régionale qui nous pousserait presque à dire que le film n’est pas sorti tout court en France.
Compléments & Packaging : 5/5
L’édition du Chat qui fume est une édition double DVD + blu-ray qui englobe de surcroît un 4e disque sur lequel figure le CD de la très rare partition musicale devenue plus ou moins introuvable. Le packaging soigneux, limité à 1 000 exemplaires, reprend les visuels publicitaires italiens. Sachant que l’affiche d’origine est sublime, l’édition a été vite épuisée. Une édition simple est parue en 2018.
Il faut allègrement compter plus de deux heures de suppléments variés, entièrement produits par la société française, et impeccablement filmés. Chose rare dans le domaine.
• Mort à Venise par Jean-François Rauger (20 mn) : le gourou de la cinémathèque démontre une fois de plus son éclectisme en se montrant fin connaisseur en matière de giallo, et de cinéma de genre italien.
• Le monstre de Venise, interview du réalisateur Antonio Bido (36 mn) : celui-ci revient sur la production, le casting, le tournage, et la sortie du film. Il remercie avec émotion toute une génération de cinéphiles et d’éditeurs passionnés qui permettent à ce type de cinéma d’être toujours vivant, 40 ans après, alors qu’il était juste destiné à vivre le temps de quelques saisons.
• Profondo Noir, interview de l’acteur Lino Capolicchio (24 mn) Même topo, c’est l’acteur principal qui s’y colle.
• Les photos du crime avec Antonio Bido (11 mn)
• Danza Macabra d’Antonio Bido (16 mn) – Présentation Danza Macabre (7 mn) : présentation par le cinéaste d’un clip vidéo, trouvable, il est vrai sur YouTube.
• 3 gialli par Olivier Père (10 mn) : le directeur d’Arte France Cinéma, qui a occupé de nombreux postes clés (Cinémathèque, Cannes, Inrock, Locarno), dresse son historique des grands gialli (à ses yeux)
• Terreur sur la lagune en mode VHS (non présent sur le DVD Bonus) : un must présent sur le blu-ray, typique des éditions du Chat qui Fume. Cette fois-ci malheureusement, il ne s’agit pas de la VHS française.
• Génériques du début et de fin alternatifs (3 mn)
• Films annonces, notamment de séries B italiennes, issus du catalogue du félin maléfique.
L’image : (4 / 5)
Master fin, copie élégante, restitution des tons sombres à l’avenant d’une cité lacustre décrépite. Top.
Le son : (4/5)
Il est intéressant de voir le film en version française pour se rendre compte de toutes les coupes dont il avait souffert en VHS. Proposé dans une version intégrale où les interventions en italien sous-titrées en français sont le témoignage d’une politique marchande peu scrupuleuse d’un autre temps, Terreur sur la lagune en blu-ray comporte des pistes satisfaisantes, en VO et VF, avec dialogues claires et musiques qui se détache sans l’usure du temps qui abîme les pistes.
Design : Frédéric Domont. Edition Le Chat qui Fume – © 1978 Surf Film S.r.l./Rewind Film S.r.l
