Pas de répit dans la douleur, Spirale l’héritage de Saw retrouve le rythme des bons films de la saga, noircissant le ton, tout en restant sacrément gore et inventif dans ses tueries dégénérées.
Synopsis : Travaillant dans l’ombre de son père (Samuel L. Jackson), une légende locale de la police, le lieutenant Ezekiel «Zeke» Banks (Chris Rock) et son nouveau partenaire (Max Minghella) enquêtent sur une série de meurtres macabres dont le mode opératoire rappelle étrangement celui d’un tueur en série qui sévissait jadis dans la ville. Pris au piège sans le savoir, Zeke se retrouve au centre d’un stratagème terrifiant dont le tueur tire les ficelles.
Critique : Et de neuf. Spirale : l’héritage de Saw est effectivement le neuvième film de la saga aux centaines de millions de dollars de bénéficies qui a traumatisé le monde par ses actes de torture explicites et ses scénarios tortueux dans la deuxième moitié des années 2000 pour la grande époque, celle des premiers numéros. Un chapitre final en 3D loupé, devait mettre un terme aux agissements de Jigsaw en 2010, quand le genre du torture porn était passé de mode, en faveur des found footage et des productions Blumhouse comme Paranormal Activity qui allait succéder au meurtrier retors de la franchise créée par James Wan en 2004, à chaque Halloween, aux USA.
Une tentative maladroite de reboot fut esquissée par le studio Lionsgate en 2017. Elle fut sobrement intitulée Jigsaw. Sans être un flop (38M$ aux USA), ce segment manquait d’articulation et de saveur. Et pourtant, à l’instar de Spirale, il jouissait d’un beau format Scope pour mieux flatter la rétine. Donc, logiquement, il fut jeté aux oubliettes. Et d’ailleurs, il ne nous en reste plus grand-chose à l’esprit quand chacun des trublions du mauvais goût de la mythique franchise nous a marqués par certains actes de sadisme, twists jubilatoires, ou même par son empreinte musicale qui aime abuser du crescendo émotionnel.
La résurrection d’une franchise increvable
En 2019, le studio indépendant annonce la mise en chantier d’un neuvième épisode dans la saga. On est intrigués. Spirale : l’héritage de Saw, second reboot, invite l’un des réalisateurs historiques aux manettes. Il s’agit de Darren Lynn Bousman, réalisateur des épisodes 2, 3 et 4), qui poussa la saga dans ses retranchements avec le segment le plus nauséabond et le plus bis de toute la série, le morbide et ultra gore Saw 3. Bousman ne voit d’ailleurs pas en Spirale une suite à Saw mais, à juste titre, plutôt une diversion, un spinoff, quand la saga avec Tobin Bell pourrait bien se poursuivre aussi, avec un authentique Saw 9.
Autre facteur de curiosité, la présence d’un casting de vedettes mainstream inattendu dans un univers qui tâche rouge de façon indélébile. L’humoriste Chris Rock, surtout connu pour son humour proche de celui d’Eddie Murphy ; Samuel L. Jackson, habitué des productions cossues ; et Max Minghella, devenu réalisateur avec Teen Spirit (2018), et fils du très vénérable Anthony Minghella, réalisateur du Patient anglais. Ces noms suscitent des interrogations sur ce qui les a intéressés dans ce projet. Chris Rock, en contre-emploi total (il incarne un rôle sérieux de fils de flic devenu lui-même inspecteur), est en fait l’instigateur de ce segment, car grand fan de la saga. Et il a volontiers coproduit ce film chez Lionsgate, société qui a produit distribué nombre de ses comédies. Il comptait d’ailleurs réaliser le segment, mais une incompatibilité d’emploi du temps avec son calendrier sur la série Fargo en aura décidé autrement.
Spirale : l’héritage de Saw, victime de la crise de la Covid-19
Spirale : l’héritage de Saw devait sortir en mai 2020 dans le monde entier. La Covid-19 en aura décidé autrement. Le film est repoussé aux USA, en France… Les marchés souffrent, succombent, rouvrent dans l’effroi des premiers chiffres et pas au même moment. Coup vache pour les Français et le distributeur Metropolitan FilmExport, dont il s’agit d’un des titres les plus importants, l’Amérique décide de sortir Spirale l’héritage de Saw en mai 2021, alors que la crise épidémique est à l’arrêt. La France en pleine troisième vague ne connaît pas encore les dates de réouverture des cinémas. Metro doit se résigner à choisir juillet, deux mois après l’apparition du film à rebondissements aux Etats-Unis, au risque de voir l’effet de surprise et le twist final tomber à l’eau. Pis : quid du satané piratage qui détourne le spectateur du droit chemin et de ses obligations ?
Finalement, Spirale : l’héritage de Saw sort le week-end du 14 mai aux USA. Les affaires ont repris depuis un mois, mais la jauge est basse. Spirale reste en tête du box-office, le second week-end, avec seulement 4 595 320$. Ce box-office historiquement médiocre est à l’image du marché américain, perdu entre la VOD premium pour les titres Disney ou Warner, les direct-to-Netflix et les annonces de rachats historiques de studio par des firmes du numérique. Au Royaume-Uni, la série B malaisante est directement balancée sur le marché de la VOD… Pas de chance pour ce sequel qui a coûté 40M$, soit, de loin, le plus gros budget jamais octroyé pour la saga qui n’aimait pas dépasser les 10 000 000$ de mise de départ.
On ne comptera donc pas sur les chiffres du box-office pour s’orienter sur la qualité de ce Saw 9 ou de ce spinoff à la série Saw. Les critiques basses sont-elles une orientation à suivre ? Pour chaque mention « l’épisode de trop », il faut ce souvenir que dès le très populaire Saw II, tous les sequels au Saw de James Wan n’étaient pas pertinents aux yeux de la presse, y compris fantastique. Les journalistes ont largement condamné les suites de Saw qu’elles soient efficaces ou non, les plaçant toutes dans le seau de l’ignominie avec une facilité déconcertante. Le box-office, lui, en redemandait.
Reste l’avis de l’aficionados de la saga, capables de distinguer chaque opus, tout en reconnaissant que la série, en dehors du premier film, est artistiquement limitée (jeu des acteurs médiocre, réalisation de basse qualité), mais avec une ambiance de série B suintant l’underground et l’effort trash au cœur d’une production hollywoodienne tellement lisse. Saw 3 sera même un temps interdit aux moins de 18 ans à la suite d’une polémique avec le ministère de la Culture.
Budget et stars à l’appui, Spirale : l’héritage de Saw, affiche des qualités esthétiques supérieures à ses notoires prédécesseurs. La qualité de la photographie est réelle. Et l’on remarquera, dès les premiers teasers envoyés il y a plus d’un an et demi, une volonté de se distinguer visuellement des images cracra des débuts. S’il faut s’habituer un instant au style de jeu de Chris Rock qui se prend au sérieux dans un rôle qui l’est tout autant, celui des autres acteurs est effectivement meilleur dans l’ensemble, même si les seconds couteaux télévisuels (Marisol Nichols de Riverdale) manquent de charisme.
L’horreur brute en héritage
Voulu comme un thriller, avec une véritable trame policière (un tueur de flics sévit en ville), le film est ponctué par des séquences de torture et autres moments gore ayant la force visuelle des autres carnages. L’ADN de la franchise n’a pas changé. Les spectateurs détournent les yeux, trahissent un goût douteux pour la violence cinématographique, ou trouvent cela ridicule… Le ou les tueurs de Spirale : l’héritage de Saw (on restera évasif sur l’intrigue) ont surtout de l’imagination perverse dans les idées ; en tant que critique, on sourira toujours face à l’improbabilité, le coût, le temps, bref les moyens hollywoodiens dont il ou ils doivent disposer pour monter de telles mises en scènes macabres (voir l’incipit dans le métro, particulièrement corsé). La présence glorieuse des grands noms au générique n’aura rien changé : Saw demeure un anachronisme de série B vilain et pugnace, qui n’hésite pas à tremper sa caméra dans la chair. La monstruosité des épisodes 3 et 4 reste toutefois à distance, mais ce qui est jeté en pâture aux yeux des spectateurs ne ressemble en rien à la production cinématographique contemporaine.
Avec une musique plus urbaine – au score de Charlie Clouser s’ajoutent des variations hip-hop par 21 Savage, dont les morceaux, réunis sur un EP de quatre titres, sont efficaces et ne dénaturent pas l’aspect sombre du produit. -, Spirale : l’héritage de Saw apporte sa propre couche contemporaine à une ambiance qui ne l’est pas vraiment, puisque l’on ressent une forte tendresse pour la saga passée. L’épisode saura par conséquent satisfaire les nostalgiques de la franchise que nos amis québécois nomment « Décadence » (« Spirale, l’héritage de Décadence « , est son titre au Québec). Ce qui reste préjudiciable, en revanche, c’est la chute qui n’est pas à la hauteur des autres segments, y compris des plus faibles. La raison est simple : les producteurs ont commis une bévue, ayant réengagé les scénaristes de Jigsaw (Josh Stolberg et Pete Goldfinger). Sur ce coup, ils auraient mieux fait de s’abstenir, car cette histoire policière macabre interpelle quant à sa conclusion prévisible loin des rebondissements des autres épisodes de la saga qui ont su nous clouer le bec.