Rien à perdre est un drame social qui évite tout misérabilisme grâce à un scénario équilibré et à une interprétation tout en nuances.
Synopsis : Sylvie vit à Brest avec ses deux enfants, Sofiane et Jean-Jacques. Une nuit, Sofiane se blesse alors qu’il est seul dans l’appartement. Les services sociaux sont alertés et placent l’enfant en foyer, le temps de mener une enquête. Persuadée d’être victime d’une erreur judiciaire, Sylvie se lance dans un combat pour récupérer son fils.
Une vie à toute vitesse
Critique : Sylvie (Virginie Efira) élève seule ses deux enfants, un ado et un enfant d’une dizaine d’années. Elle travaille la nuit et a pour habitude de laisser le plus jeune sous la garde de l’aîné. Ce soir-là, il rentre plus tard que prévu. Son petit frère, Sofiane, décide de se préparer un repas mais il se brûle en utilisant la friteuse. Un incident sans gravité mais qui l’amène à l’hôpital, celui-ci ayant obligation de faire un signalement aux services sociaux en cas d’accident domestique concernant un enfant. A partir de là, la spirale infernale de la protection de l’enfance engloutit peu à peu dans ses rouages brutaux le quotidien d’une famille soudée qui ne demandait qu’à vivre tranquillement.
Dans Rien à perdre, s’il ne fait aucun doute que Sylvie aime ses enfants et prend soin d’eux, son mode de vie un peu bohème n’est guère compatible avec la rigidité d’une administration un poil conservatrice. D’ailleurs, elle se sent tellement si peu coupable qu’elle n’imagine pas un seul instant l’ampleur du combat qu’elle va devoir mener pour tenter de récupérer son fils que l’ASE (Assistance Sociale à l’Enfance) envisage de placer en famille d’accueil.
Un premier film sur le thème de la maltraitance des enfants
Face à l’arsenal d’injustice et d’inhumanité déployé par la machine judiciaire au prétexte de ne louper aucun éventuel cas de maltraitance, on prend immédiatement le parti de la mère. Pourtant, jamais le film ne tombe dans le manichéisme. Pour son premier long-métrage de fiction, la réalisatrice Delphine Deloget, rompue aux documentaires (elle est lauréate du prix Albert Londres et du prix de l’œuvre de l’année décerné par la Scam pour Voyage en Barbarie, 2015), s’appuie sur les témoignages recueillies auprès de familles confrontées à ce genre de situation, aussi sur des échanges avec les juges, les avocats et les assistantes sociales, et imprègne ainsi son scénario d’accents de vérité bouleversants.
La maman et le système
Quand on pense placement, on a tendance à imaginer de la maltraitance. Or, dans la majorité des cas, il s’agit juste de défaillance parentale ou la conséquence de la fragilité de nos sociétés. Rien à perdre s’empare des failles d’un système à priori vertueux qui déraille au nom d’un principe de sécurité mal dosé pour bâtir un western familial et social et explorer la douleur de la séparation d’une mère avec son enfant. Car délaissant peu à peu le constat de la lourdeur administrative et de ses règles incompréhensibles, elle concentre son attention vers des personnages dont l’humanité va droit au cœur, à commencer bien sûr par son héroïne principale, une femme sans doute imparfaite mais qui ne renonce jamais et est prête à se battre contre vents et marées pour rendre à cet enfant autrefois joyeux, désormais totalement replié sur lui-même et ingérable, sa vie d’avant.
Une interprétation qui fond la glace
Qui mieux que Virginie Efira au jeu mâtiné d’émotion et de burlesque pouvait se glisser dans la peau de cette lionne désemparée et créer une telle connivence ? Pourtant, la palme du personnage le plus surprenant pourrait bien revenir à India Hair. En choisissant une comédienne à la fragilité et à la douceur naturelles, Delphine Deloget, tordant le cou à tout risque de caricature, transforme cette fonctionnaire immédiatement insupportable et sûre de son bon droit en un être humain capable de doute et surtout d’un frémissement de compassion que sa fonction n’aurait pas laissé supposer. Enfin, pour rendre vivante et solidaire cette histoire d’une famille luttant contre l’adversité, il fallait bien quelques comédiens ingénieux. C’est ainsi que l’on retrouve Arieh Worthalter dont a pu récemment apprécier l’immensité du talent grâce au Procès Goldman ou encore Félix Lefebvre (vu dans Eté 85 et Mon crime de François Ozon), parfaitement investi dans son rôle de grand frère, victime collatérale de tout ce grand chambardement, sans oublier l’époustouflant Alexis Tometi dans le rôle de l’enfant sacrifié.
Rien à perdre, tout à gagner
Distillant ça et là quelques notes d’humour afin d’alléger l’univers presque kafkaïen qui l’entoure, cette première réalisation réussie connaît une fin rocambolesque qui en fait une œuvre définitivement plus poétique que dramatique.
Les sorties de la semaine du 22 novembre 2023
Photo : David Kostas – Affiche : Benjamin Seznec / Troïka. © 2022 Curiosa Films. Unité, France 3 Cinéma. Tous droits réservés / All rights reserved
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Delphine Deloget, Arieh Worthalter, Virginie Efira, Jacques Demy, Félix Lefebvre, India Hair, Jean-Luc Vincent