Remorques : la critique du film + le test blu-ray (1941)

Drame, Mélodrame | 1h31min
Note de la rédaction :
8/10
8
Affiche de Remorques (reprise 2023, Carlotta)

  • Réalisateur : Jean Grémillon
  • Acteurs : Jean Gabin, Michèle Morgan, Madeleine Renaud, Henri Crémieux, Fernand Ledoux, Jean Dasté, René Bergeron, Charles Blavette
  • Date de sortie: 27 Nov 1941
  • Année de production : 1939
  • Nationalité : Français
  • Titre original : Remorques
  • Titres alternatifs : Misty Wharves (International), Stormy Waters (Etats-Unis), Sleepbooten (Flamand), Der Orkan (Allemagne), De veilige haven (Pays-Bas), Aguas borrascosas (Mexique), Águas Tempestuosas (Brésil), S.O.S. bergingsbåt (Norvège), Tempesta (Italieb), Remorchere (Roumain), Буксиры (Russie), Kyklon (Grèce)
  • Autres acteurs : Jean Marchat, Nane Germon, Henri Poupon, Anne Laurens, Marcel Pérès, Marcel Duhamel, Henri Pons, Alain Cuny, Robert Dhéry, Marc Doelnitz, Robert Le Ray, Marc Doelnitz, George Malkine, Raymone, Marcel Melrac, Paul Violette, Max Rogerys
  • Scénaristes : Jacques Prévert (Scénario, dialogues), Roger Vercel (première version du scénario), Charles Spaak (Adaptation), André Cayatte (Adaptation)
  • D'après un roman de : Roger Vercel
  • Monteur : Yvonne Martin
  • Directeur de la photographie : Armand Thirard
  • Compositeur : Roland-Manuel
  • Chef Maquilleur : Acho Chakatouny
  • Chef décorateur : Alexandre Trauner
  • Producteurs : Joseph Lucachevitch
  • Sociétés de production : Maîtrise Artisanale de l’Industrie Cinématographique, SEDIS
  • Distributeur : Films Sonores Tobis, Societé d'Exploitation et de Distribution de Films (SEDIF)
  • Distributeur reprise : Carlotta (2023)
  • Date de sortie reprise : 19 avril 2023 en version restaurée 4K
  • Editeur vidéo : Carlotta (2024)
  • Date de sortie vidéo : 20 février 2024 (DVD, blu-ray)
  • Budget : Inconnu
  • Box-office France (reprise 2023) : 3 618 entrées
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.37 : 1 / Noir et blanc / Mono - Restauration 4K supervisée par MK2 Films avec la participation d’ARTE France-Unité Cinéma réalisée par le laboratoire Eclair Classics
  • Festivals : Festival Lumière Grand Lyon Film Festival 2022
  • Illustrateur/Création graphique : © Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : Remorques © 1941 SEDIF. Tous droits réservés. All rights reserved
  • Le film a reçu le label Lumière Classics
Note des spectateurs :

Mélodrame porté par l’immensité de Jean Gabin, Remorques est l’un des succès de Jean Grémillon, auteur malaimé du cinéma français.

Synopsis : André Laurent, capitaine du remorqueur Le Cyclone, assiste avec son équipage à la noce d’un de ses marins avant d’être appelé en urgence pour secourir les passagers d’un cargo, dont Catherine, l’épouse du commandant. Alors que sa femme Yvonne lui dissimule sa maladie et le supplie de prendre sa retraite, André tombe follement amoureux de Catherine, avec laquelle il débute une liaison…

Jean Gabin et Michèle Morgan dans Remorques

Remorques © 1941 SEDIF. Tous droits réservés.

Critique : Un succès littéraire de Roger Vercel en 1935 et c’est toute l’industrie cinématographique qui s’emballe. Pour adapter son roman marin en eaux troubles, il faut bien quelques producteurs ambitieux et plusieurs scénaristes de grande renommée. Le plus éminent est Jacques Prévert qui décide de ramener le récit à quai, celui de Brest. La Cité du Ponant donnera une résonnance inédite au film jusque dans certains plans datant de 1939, avant les destructions massives orchestrées par les Allemands.

Prévert a une véritable vision pour cette adaptation sur laquelle Charles Spaak et  André Cayatte travaillèrent avant lui. Ce récit d’homme et de corporatisme se met à hauteur de ses personnages féminins qui gagnent en importance. Mais in fine, cela ne sera pas le point le plus réussi du film d’à peine 1h24 où les deux femmes de cette histoire dramatique apparaissent comme des ponctuations qui font balancer la droiture du personnage central interprété par Jean Gabin. Prévert n’y est pour rien, la grande histoire est passée par là.

Le tournage de Remorques, sur deux ans, est compliqué. Une belle promotion suit les premiers tours de manivelle en extérieur, en juillet 1939, mais le tournage mouille deux mois après. L’entrée en guerre, la pire de toutes, est un écueil qui stoppe tout. Le récit d’humeur locale est soufflé par la tempête globale. L’incertitude est de chaque étape puisque la reprise du projet se heurte à l’Occupation. En 1940, Paris est déclarée ville ouverte et les troupes allemandes occupent la luxuriante capitale épargnée. Le tournage reprend finalement au printemps 1941, aux studios de Neuilly.

Michèle Morgan dans Remorques

Remorques © 1941 SEDIF. Tous droits réservés.

Pour Jean Grémillon et Jacques Prévert, Remorques n’est plus le même. Gabin n’est d’ailleurs plus en France ; il a quitté le pays par résistance et est parti rejoindre la nubile Michèle Morgan, à Hollywood. Les deux tourtereaux de 16 ans de différence d’âge ne seront évidemment pas à Paris quand le prestigieux métrage sort en novembre 1941, avec succès d’ailleurs.

Le couple mythique du Quai des brumes (1938) était sans conteste l’une des dynamiques de ce  projet glamour de producteur. Mais à l’écran, la présence de Morgan, divine de maturité et au jeu solidement intemporel, est trop expéditive pour apporter à son personnage l’ancrage nécessaire pour exister face à la star Gabin. Ce dernier est écrasant à chaque plan et rend inévitablement le casting féminin périphérique, comme le souligne la fin cruelle qui sonne comme une sentence divine qui déplait à Jacques Prévert, athée patenté devant l’éternel. Outre le beau personnage de Michèle Morgan, celui de l’épouse de Gabin à l’écran joué par Madeleine Renaud, reste aussi dans l’ombre de cette tranche de vie conjugale. La femme du remorqueur que l’on pourrait analyser avec la verve féministe de notre époque, se languit sans cesse du manque d’égards que son capitaine d’époux, gentleman trop souvent distant, porte pour sa passion amoureuse. Est-elle sacrifiée sur l’autel du pouvoir et de la carrière dont jouit son époux tout-puissant? Le point de vue sensible de Grémillon et de Prévert est évidemment en avance sur son temps, mais plutôt que la détresse féminine, on ressent davantage la surpuissance de jeu de Gabin ; son charisme transcende la réalité psychologique du capitaine de remorqueur qu’il joue. Son cri de désespoir échappé vaut bien tous les geignements théâtraux de Madeleine Renaud. Son jeu lui est tant supérieur.

Jean Gabin dans Remorques

Remorques © 1941 SEDIF. Tous droits réservés.

Le personnage de Gabin est un bloc, stoïque, raide… Sa droiture professionnelle, humaine et conjugale, est pourtant bien mise à mal par la rencontre avec la jeunesse qu’incarne le personnage de Michèle Morgan. Les vingt années qui séparent la jeune actrice de Madeleine Renaud sont comme une évidence générationnelle cruelle qui condamne le personnage de Renaud à la tragédie, celui de l’effacement, de l’indifférence polie, de la domestication. L’indice d’une mort annoncée.

Gabin, légende de son époque, est prodigieux dans ses nuances. Il joue les postures, se met à nu quand le roc de moralité qu’il incarne est exposé au désir, lui qui n’a jamais trompé son épouse et porte un regard sévère vis-à-vis des adultères chez ses hommes d’équipages. Face aux complaintes sempiternelles de son épouse, lors des apartés narratifs, le capitaine fronde dans sa relation à la mer, l’autre personnage du film avec lequel il entretient une relation de dépendance affective.

Et la mer dans Remorques est elle-même le protagoniste d’un tournage chaotique. Capricieuse dès 1939, tantôt trop calme ou trop tempétueuse pour le matériel à bord, elle est l’objet de fantasmes pour Grémillon qui doit se résoudre à la reconstitue, dans des décors fascinants de beauté. Indomptable, l’espace maritime a échappé au Breton d’adoption qui n’aura de cesse de lui déclarer sa flamme (on pense notamment à Pattes blanches, avec Suzy Delair et Fernand Ledoux, en 1949). Cela ne rend pas sa présence moins haletante à l’écran.

Michèle Morgan dans Remorques

Remorques © 1941 SEDIF. Tous droits réservés.

La séquence de sauvetage impressionne toujours par son efficacité et sa verve réaliste, impliquant le spectateur au cœur de destinées tenues par une mission courageuse, en dépit du danger. Grémillon, habile, parvient toujours à rattraper le récit par sa technicité et ses vision d’un cinéma tantôt réaliste tantôt poétique. L’acuité des plans des machines à l’œuvre pendant la rescousse importe ; le cinéaste met les mains dans le cambouis, transcendant l’effort corporatif, dans cet enfer mécanique qui pénètre l’élément aquatique avec la vigueur d’un jeune amant.

Et c’est sans nul doute toute la force du film Remorques quatre-vingt ans après sa sortie originale. La modernité de style, sa composition des plans, tout consacre un peu plus Grémillion le mal-aimé qui, même à sa mort, devait céder son espace à Gérard Philippe parti le même jour.

La restauration 4K qui a accompagné la reprise de Remorques en salle en 2023 est d’une perfection absolue, démontre à chaque plan, y compris lors des scènes d’intérieur, loin du large, toute la complexité du regard de son auteur qui mérite égards et célébrations.

Frédéric Mignard

Superbe visuel de Remorques de Jean Gremillon, avec Jean Gabin

Illustrateur © Henry Le Monnier. Tous droits réservés.

Le site de l’éditeur – La Boutique Carlotta Films

Le test blu-ray de Remorques

Remorques a fait son grand retour dans la cinéphilie contemporaine en 2022 grâce à une copie 4K dévoilée au festival Lumière Classics. Une diffusion simultanée sur Arte et en salle, via le distributeur Carlotta, permet de mieux entretenir le désir autour de cette œuvre devenue un peu rare avec le temps. En février 2024, Carlotta, l’éditeur cette fois-ci, propose une édition vidéo, DVD ou Blu-ray. La copie est magnifique.

Compléments & packaging : 3 / 5

Les bonus sont canoniques. La présentation par Serge Toubiana est beaucoup trop concise (6min). On lui préfèrera les 23 minutes de L’œil du Cyclone qui revient plus longuement sur cette aventure de cinéma. L’historien Tangui Perron, présenté comme un “spécialiste du cinéma et du monde ouvrier, auteur du Cinéma en Bretagne” connaît magnifiquement son sujet et évoque avec brio le rapport de Grémillon à la mer, à la Bretagne, et se fait donc prolixe sur bien des sujets. Interprétation féministe, soubresauts du tournage, Gabin superstar, Brest au cinéma… Le contexte historique, géographique et cinématographique, comme la place du film dans la filmographie du cinéaste, est exposé de façon claire et fort intéressante, même si la forme standard n’est pas des plus attrayantes.

Affiche de Remorques (reprise 2023, Carlotta)

Remorques © 1941 SEDIF. Tous droits réservés.

L’éditeur propose ensuite la bande-annonce HD qui a accompagné la reprise en salle.

Concernant le packaging, Carlotta pare l’édition d’un fourreau slipcase qui caractérise son catalogue. Elle reprend l’affiche de 2023 signé Darkstar – l’Etoile Graphique. Un visuel moderne qui sied bien à la nature tempétueuse de l’œuvre.

L’image du blu-ray : 5 / 5

La restauration, réalisée avec la supervision de MK2, est exceptionnelle. Le film de 1939 a subi un traitement 4K qui a éradiqué tout signe du temps. Pas une griffure ou poussière sur l’ensemble du métrage. La copie est caractérisée par un équilibre des lumières, une belle maîtrise de la gamme des gris et des noirs. L’aspect documentaire dans le réalisme des décors, mais aussi poétique quasi vaporeux, est sublimé par une image inoubliable. Toute la maestria du cinéaste et de son équipe technique est mise en valeur par l’apport de la haute définition qui permet une appréhension absolue des décors jusque dans la profondeur de champ. Grémillon n’a rien laissé au hasard ; il fait montre de prouesses visuelles dès l’incipit, une séquence de mariage où la caméra filme avec élégance et modernité jusqu’à l’arrière-plan profus en détails.

Les cinéphiles apprécieront.

Le son du blu-ray : 4.5 / 5

Point de raison de redouter le mono de cette œuvre d’un autre temps. La piste DTS HD 1.0 est scandée par des dialogues clairs qui se distinguent de l’environnement sonore. Le support physique s’impose comme une évidence avec une préférence pour le blu-ray, qui est paré de caractéristiques sonores impressionnantes pour pareil classique de l’âge d’or. Et dire que dix ans auparavant, Jean Grémillon se distinguait dans le cinéma muet.

Frédéric Mignard

Le site de l’éditeur – La Boutique Carlotta Films

Jaquette du blu-ray de Remorques (Carlotta, 2024)

Remorques © 1941 SEDIF. Tous droits réservés.

Biographies +

Jean Grémillon, Jean Gabin, Michèle Morgan, Madeleine Renaud, Henri Crémieux, Fernand Ledoux, Jean Dasté, René Bergeron, Charles Blavette

Trailers & Vidéos

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Affiche de Remorques (reprise 2023, Carlotta)

Bande-annonce de Remorques

Drame, Mélodrame

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