Queimada : la critique du film (1971)

Drame, Politique | 2h12min / 1h50min (version courte)
Note de la rédaction :
9/10
9
Queimada, l'affiche

  • Réalisateur : Gillo Pontecorvo
  • Acteurs : Marlon Brando, Renato Salvatori, Dana Ghia, Evaristo Márquez
  • Date de sortie: 27 Jan 1971
  • Nationalité : Italien, Français
  • Titre original : Queimada
  • Titres alternatifs : Burn! (USA) / Queimada - Insel des Schreckens (Allemagne) / The Mercenary (Canada)
  • Année de production : 1969
  • Scénariste(s) : Franco Solinas, Giorgio Arlorio, Gillo Pontecorvo
  • Directeurs de la photographie : Marcello Gatti, Giuseppe Ruzzolini
  • Compositeur : Ennio Morricone
  • Société(s) de production : Produzioni Europee Associate (PEA), Les Productions Artistes Associés
  • Distributeur (1ère sortie) : Les Artistes Associés
  • Distributeur (reprise) : -
  • Date de reprise : -
  • Éditeur(s) vidéo : Warner Home Vidéo (VHS) / Rimini Éditions (DVD et blu-ray, 2021)
  • Date de sortie vidéo : 21 septembre 2021 (Blu-ray)
  • Box-office France / Paris-périphérie : 461 851 entrées / 89 532 entrées
  • Box-office nord-américain : 431 817 $ (3 M$ au cours ajusté en 2021)
  • Budget : -
  • Rentabilité : -
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.66 : 1 / Couleurs / Son : Mono
  • Festivals et récompenses : David di Donatello 1970 : Prix du meilleur réalisateur pour Gillo Pontecorvo
  • Illustrateur / Création graphique : Koemzo Artwork (jaquette blu-ray)
  • Crédits : Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc. All Rights Reserved.
Note des spectateurs :

Grand film anticolonialiste et anticapitaliste, Queimada est non seulement une œuvre politique majeure, mais aussi un grand moment de cinéma grâce à la réalisation inspirée de Pontecorvo et l’interprétation magnétique du grand Marlon Brando.

Synopsis : Au début du XIXe siècle, Sir William Walker débarque à Queimada, une île des Antilles. Officiellement, il est là pour son plaisir. En réalité, il a été envoyé par le gouvernement britannique pour une mission secrète : fomenter une révolte des esclaves qui avantagera les Anglais.

Un projet risqué largement soutenu par la star Marlon Brando

Critique : Grâce au joli succès rencontré par La bataille d’Alger (1966) aux États-Unis, le réalisateur marxiste Gillo Pontecorvo a attiré l’attention des producteurs américains, et notamment de la société United Artists qui se dit prête à distribuer son prochain film sur le territoire nord-américain. Dans le même temps, le scénariste et romancier Franco Solinas écrit avec Pontecorvo le scénario de ce qui deviendra Queimada. Il s’agit d’un véritable brûlot anticolonialiste, mais également anticapitaliste, et exaltant les vertus de la révolution. Des thématiques qui séduisent immédiatement la star Marlon Brando qui milite alors pour le droit des peuples autochtones face aux expropriations en tous genres.

Queimada, jaquette du blu-ray

© 1969 Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc. All Rights Reserved / © 2021 Design : Koemzo Artwork. Tous droits réservés.

Comme le studio américain est réticent à s’engager, Marlon Brando va peser de tout son poids de star mondiale pour que le film se tourne. Toutefois, pour réunir la somme nécessaire, il faut avoir recours à des financements italiens et notamment à la participation d’Alberto Grimaldi qui apparaît comme seul producteur dans les crédits. En réalité, Marlon Brando a mis aussi la main à la poche pour que le film se fasse. Lorsque le choix des lieux de tournage s’étant porté sur la Colombie, la star a réussi à imposer le transfert de l’équipe vers le Maroc pour les deux dernières semaines, ne supportant plus les conditions extrêmes imposées dans le pays d’Amérique du Sud.

Queimada, un tournage infernal, marqué par des tensions

Il faut dire que le tournage fut extrêmement compliqué car Gillo Pontecorvo a tenu à offrir de nombreux rôles à des acteurs non professionnels. Le révolté interprété par Evaristo Márquez était par exemple un berger analphabète qui n’avait jamais vu de film de sa vie. Il a ainsi fallu multiplier les prises, au grand dam de Brando qui s’est peu à peu braqué contre le réalisateur. Tous les témoignages concordent pour dire que l’ambiance sur le plateau fut exécrable entre les deux hommes, tous deux au fort caractère. Pourtant, plus tard, Marlon Brando a fini par reconnaître que Queimada est l’un de ses meilleurs films et même qu’il était prêt à jouer à nouveau pour Pontecorvo. Ce qui ne s’est jamais fait.

Queimada nous plonge sur une île imaginaire qui serait située aux Antilles et se voit d’abord dominée par le Portugal. On notera que l’œuvre a d’abord été tournée avec l’Espagne en ligne de mire, mais le gouvernement de Franco a fait pression pour que son pays ne soit pas au centre du film. Il a ainsi fallu changer les drapeaux aperçus dans le champ par la grâce d’effets spéciaux parfois un peu trop visibles. Nous suivons donc les agissements d’un certain William Walker – agent britannique qui a vraiment existé, mais dont la véritable vie ne correspond pas à celle montrée dans le métrage – qui instrumentalise un esclave noir (Evaristo Márquez, donc) pour fomenter une révolte contre les colons portugais. Cette première partie est absolument formidable car on ne comprend pas immédiatement quel est le dessein de Walker.

Une brillante analyse de l’instrumentalisation des révolutions par les grandes puissances

Comme dans beaucoup de westerns spaghetti de l’époque, une forte ambiguïté entoure les personnages principaux puisqu’ils manipulent les autres, tout en éprouvant une forme d’amitié pour celui qu’ils trahissent. On retrouve cette complexité durant toute la première partie de Queimada qui démontre comment les grandes puissances parviennent à manipuler les populations dans leur propre intérêt. Le fameux dialogue de Marlon Brando qui explique aux colons qu’il vaut mieux avoir des salariés obéissants que des esclaves rebelles est d’une belle clairvoyance sur le plan politique.

Finalement, Queimada n’est pas tant un film historique, puisque tout est ici fictif, davantage que véritablement politique. Il s’agit en réalité d’un commentaire sur les décolonisations des années 50-60 qui démontre que les révolutions indépendantistes sont souvent récupérées par les grandes puissances et notamment les grandes entreprises privées qui font fructifier leurs intérêts dans la région.

Ainsi, Queimada analyse, largement en avance sur son temps, le passage à une forme de néocolonialisme économique qui a touché tous les pays en développement au cours des années 70 et surtout 80. Cela est montré notamment dans la deuxième partie du film qui complexifie encore un peu plus les relations entre Walker et celui qui fut autrefois sa marionnette, mais qui apprend à s’individualiser. Le message du cinéaste est donc que l’on est vraiment libre quand on gagne soi-même sa liberté, et non pas lorsqu’on nous l’octroie.

Queimada, un point de vue affirmé mais plus nuancé qu’on peut le croire

Certaines images de déplacement des populations, de destruction de villages ou encore de forêts incendiées évoquent nécessairement pour le public de l’époque des photographies de la guerre du Vietnam qui fait alors rage. La référence est évidente et bien entendu intentionnelle. Souvent accusé de schématisme, Queimada est pourtant une œuvre complexe qui, certes, prend fait et cause pour les peuples opprimés, mais montre aussi la résignation de beaucoup face à l’envahisseur, et même une forme de collaboration.

Le message politique est clairement identifiable, mais on apprécie particulièrement l’ambiguïté du personnage incarné avec un charisme fou par Marlon Brando. Si le rebelle est bien son ennemi, il éprouve de la sympathie, voire de l’admiration pour lui, puisqu’il représente tout ce qu’il ne sera jamais : un homme de conviction porté par un idéal. C’est cette relation qui fait tout le sel du film, ainsi que la majesté d’une réalisation maîtrisée et fastueuse.

Effectivement, l’ensemble est porté par des images superbes, des séquences de foule impressionnantes et la sublime musique d’Ennio Morricone, particulièrement en accord avec le sujet. Malgré le brio du long-métrage, il a connu deux montages différents. Celui validé par Pontecorvo dure plus de deux heures et a été projeté en Italie – c’est celui que nous avons vu pour écrire ce texte – tandis qu’une version raccourcie de vingt minutes (moins cohérente et expurgée de certains aspects politiques) a été diffusée aux États-Unis et en France.

Une œuvre en avance sur son temps

Embarrassée par le contenu politique du film, la compagnie United Artists n’a quasiment pas diffusé Queimada aux États-Unis où il a été un échec cinglant. Par contre, le long-métrage a été un véritable triomphe en Italie. A Paris, il ne reste pas longtemps à l’affiche et ne glane que 89 532 entrées en fin de parcours. Le métrage disparaît assez vite des classements également en province. Pourtant, il finira par engranger petit à petit 461 851 entrées.

Édité en VHS et diffusé à la télévision française en 1987, Queimada a longtemps disparu des radars avant de faire l’objet d’une belle édition Blu-ray chez Rimini Éditions en 2021. L’occasion de découvrir la version longue qui est nettement plus équilibrée que la courte jusqu’alors disponible. Le film conserve donc aujourd’hui encore toute sa pertinence et sa dénonciation est suffisamment forte pour éveiller encore les esprits contemporains sur les réalités d’un certain capitalisme de prédation.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 27 janvier 1971

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Queimada, l'affiche

© 1969 Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc. All Rights Reserved.

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