Adaptation très moyenne d’un roman formidable, Profession du père est une déception malgré la justesse des acteurs et la révélation du jeune Jules Lefebvre, vraiment formidable dans un rôle difficile.
Synopsis : Émile, 12 ans, vit dans une ville de province dans les années 1960, aux côtés de sa mère et de son père. Ce dernier est un héros pour le garçon. Il a été à tour à tour était chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une Église pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle. Et ce père va lui confier des missions dangereuses pour sauver l’Algérie, comme tuer le général.
Mon père, ce zéro!
Critique : Journaliste et auteur remarqué pour ses deux romans consacrés à l’histoire irlandaise (les magnifiques Mon traître en 2008 et son pendant Retour à Killybegs en 2011), Sorj Chalandon a ensuite signé avec Profession du père (2015) un puissant roman autobiographique où il évoque la folie de son paternel avec sensibilité. Également adaptée en bande-dessinée, cette histoire a séduit le réalisateur Jean-Pierre Améris (Les émotifs anonymes en 2010) qui a décidé de la porter sur grand écran.
Afin de donner vie à ce père mythomane qui exerce une pression de chaque instant sur son entourage immédiat, Améris retrouve son complice Benoît Poelvoorde qui a déjà interprété ce type de personnage, notamment dans l’excellent Les convoyeurs attendent (Mariage, 1999). Parfaitement odieux et délirant, l’acteur apporte donc toute sa verve à un protagoniste que l’on apprend peu à peu à détester, de manière concomitante avec son jeune fils. Effectivement, celui-ci va petit à petit ouvrir les yeux sur celui qui lui raconte des mensonges afin de se valoriser à ses yeux.
D’excellents acteurs pour un film inégal
Face à Poelvoorde, il faut signaler la prestation tout à fait remarquable du jeune Jules Lefebvre qui donne profondeur et naturel à ce fils qui passe de l’admiration béate à la défiance face à un véritable tyran domestique. On apprécie aussi la prestation d’Audrey Dana en mère de famille totalement aveugle à la folie de son mari, et donc incapable de protéger son fils des colères de l’odieux personnage. En toile de fond, la politique française liée à la fin de la guerre d’Algérie sert de révélateur des tensions familiales.
Pourtant, là où le roman arrivait à concilier histoire personnelle et grands événements historiques, l’adaptation de Jean-Pierre Améris échoue en partie à retranscrire l’ambiance de l’époque et les enjeux politiques. Certes, l’idée était de regarder cette période trouble uniquement par le regard enfantin du jeune garçon, mais cela occulte tout un pan intéressant de l’intrigue et tend à faire du film l’unique description d’un cas clinique. Hésitant sans cesse entre drame pur, comédie enfantine, film d’apprentissage et description politique, Jean-Pierre Améris ne parvient jamais à choisir, donnant l’impression d’une œuvre non maîtrisée et qui ne trouve pas de fil directeur ferme.
Une œuvre sacrifiée par la crise de la Covid
Comme la situation est établie dès le départ (le spectateur comprend tout de suite que le père ment à son fils), le scénario n’offre pas suffisamment d’évolution marquée de l’intrigue pour que l’on s’attache vraiment au destin des protagonistes. L’ennui s’installe donc inexorablement en cours de projection, au-delà d’une première demi-heure pourtant intéressante. Il faut finalement attendre les dix dernières minutes pour qu’une émotion s’invite au cœur d’un long-métrage très inégal malgré la grande justesse de l’interprétation. Là où le roman suscitait bien des interrogations, Profession du père ne bouscule pas vraiment le spectateur et s’avère donc un peu trop sage pour bouleverser durablement.
Critique de Virgile Dumez
Box-office :
Sorti à la fin du mois de juillet 2021 dans l’indifférence générale, lorsque le passe sanitaire, instauré pile poile 7 jours plus tôt, a fait caler spectaculairement la fréquentation des cinémas, Profession du père n’avait plus aucun atout pour surmonter cette nouvelle flambée de la Covid. Le passe est très contesté dès sa mise en place le 21 juillet dans les lieux de culture, et le public de plus de 40 ans ne se décide pas à reprendre le chemin des salles.
Jean-Pierre Améris, qui venait de célébrer ses 60 ans, la veille de la sortie, flirtait avec les pires scores de sa carrière : les flops de Je m’appelle Elisabeth, en 2006, et de Poids léger, en 2004 qui avaient buté à 20 000 tickets. Toutefois ces deux derniers films n’avaient été exploités que sur 80 cinémas. Profession du père était de son côté tristement projeté dans 275 salles… vides. Ainsi le film ouvre à 25 406 spectateurs en semaine 1, chute la première semaine d’août à 10 070 (dans 274 cinémas)… La catastrophe est totale. Avec Adoration, Kill me please et Une histoire d’amour, cela sera l’un des pires scores de Benoît Poelvoorde.
Le décalage entre l’affiche marketant une comédie familiale et la réalité dramatique et adulte du film n’a pas aidé.
L’on soulignera l’existence d’un blu-ray français, chose rare pour une production française de ce style au rendement si bas. Félicitons Ad Vitam pour cette décision. Beaucoup de grosses comédies françaises à 400 000 entrées sortent uniquement en DVD.