Largement inspiré de la saga Quatermass, Prince des ténèbres possède de beaux atouts formels parfois gâchés par un casting bien peu charismatique. Intéressant, mais inégal.
Synopsis : Un prêtre, des étudiants et quelques scientifiques entreprennent de mettre à jour le secret contenu dans un mystérieux coffret gardé depuis des siècles par une secte religieuse. A l’intérieur un troublant liquide vert va vite mettre toute l’humanité en péril.
Un bel hommage aux films de SF des années 50 façon Quatermass
Critique : En 1986, le cinéaste John Carpenter connaît un sanglant échec au box-office mondial avec ses Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin. Le long-métrage qui devait casser la baraque pour rembourser son imposant budget de 25 millions de dollars est un flop mondial qui renvoie le réalisateur vers le cinéma indépendant pour plusieurs années. L’enfant chéri du cinéma d’horreur du début des années 80 devient donc persona non grata du jour au lendemain. A cela s’ajoute la frustration de Carpenter vis-à-vis du système des studios qui bride toute forme de créativité.
Lorsqu’il écrit Prince des ténèbres, John Carpenter sait qu’il va devoir produire le long-métrage en toute indépendance, comme à ses débuts. Il se fait plaisir en rendant hommage à l’œuvre de Nigel Kneale, le créateur de la saga Quatermass qui a bercé son enfance. Non seulement Carpenter utilise ce nom de Quatermass pour signer le scénario de son film, mais il s’inspire également grandement de l’intrigue des Monstres de l’espace (Ward Baker, 1967), petit bijou de la science-fiction horrifique. Ce film racontait notamment les expériences scientifiques menées par un groupe d’experts sur un engin spatial découvert dans les égouts de Londres.
Deuxième volet de la Trilogie de l’Apocalypse
Ici, Carpenter reprend cette idée en délocalisant l’intrigue dans les sous-sols d’une église de Los Angeles. Le module découvert est un coffre contenant un liquide vert doué de vie que le groupe de scientifique doit analyser afin d’en découvrir les propriétés.
Toutefois, cette proximité avec l’œuvre de Nigel Kneale ne signifie pas pour autant une servilité envers l’auteur britannique. On retrouve effectivement ici des thématiques typiques du réalisateur, comme celle du huis clos. Comme dans Assaut (1976) et surtout The Thing (1982), un groupe doit lutter contre un ennemi extérieur qui peut prendre diverses formes dans le but de détruire l’humanité entière. D’ailleurs, Carpenter a regroupé The Thing, Prince des ténèbres et L’antre de la folie au sein de ce qu’il appelle sa Trilogie de l’Apocalypse. A chaque fois, le sort de l’humanité est donc menacé par une entité.
Des personnages creux et incarnés sans charisme
Si le réalisateur parvient dès les premières minutes à instaurer un climat angoissant grâce à une réalisation toujours aussi racée et une musique électronique menaçante dont il a le secret, Prince des ténèbres souffre tout de même de plusieurs défauts de conception qui n’en font pas la réussite la plus éclatante du réalisateur. Tout d’abord, le budget réduit à trois millions de dollars a conduit le réalisateur à mettre la pédale douce sur le décor un peu frustre de cette église sans charme où se déroule l’intégralité du long-métrage.
Pire, le cinéaste a construit son film sur la notion de groupe et délaisse ainsi la psychologie de ses personnages qui n’ont guère de profondeur. Au lieu d’être des entités pensantes, les protagonistes se définissent essentiellement par leurs actes. Cela n’est guère aidé par un casting de seconde zone marqué par une absence de figure vraiment charismatique. Ainsi, Donald Pleasence – seul vrai acteur à potentiel du film – est sous-employé par Carpenter, tandis que des comédiens comme Jameson Parker ou encore Lisa Blount manquent clairement d’incarnation à l’écran. Pour être honnête, on se contrefiche comme d’une guigne de leurs personnages auxquels ils ne parviennent pas à insuffler vie et profondeur.
Un film peu vu à l’époque, mais qui a gagné en importance au cours des décennies
C’est bien évidemment le principal défaut d’une œuvre qui parvient à effrayer par intermittence et reste agréable à suivre de bout en bout grâce à la majesté de sa réalisation et la puissance évocatrice de sa musique. On ne peut donc que regretter la fadeur générale du casting, défaut qui se retrouvera encore décuplé dans son Invasion : Los Angeles (1988).
Présenté avec succès au Festival d’Avoriaz en 1988, Prince des ténèbres a obtenu notamment le Prix de la critique. Cela ne l’a pourtant pas beaucoup aidé sur le plan commercial puisque le long-métrage n’a convaincu que 169 515 spectateurs français de faire le déplacement en salles. Aux Etats-Unis, le résultat fut également très moyen avec 14,1 millions de dollars récupérés. Toutefois, le budget limité de 3 millions de billets verts a permis d’éviter la banqueroute.
Faisant aujourd’hui l’objet d’un culte par certains, mais toujours détesté par d’autres, Prince des ténèbres nous apparaît surtout comme une œuvre de transition qui conserve d’énormes atouts dans sa manche, mais contient en germe les défauts qui prendront de plus en plus d’importance dans la création artistique de Carpenter au cours de la décennie suivante. Le film a bénéficié d’une reprise en 4K au mois de novembre 2018 avant d’être édité en blu-ray.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 20 avril 1988
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