Le monstre est un petit classique du film de SF qui peut être considéré comme le tout premier film d’horreur réalisé par la Hammer. Tendu et toujours très efficace de nos jours, il s’impose comme un modèle du genre.
Synopsis : A la suite d’une exploration, l’équipage d’un vaisseau spatial succombe mystérieusement, à l’exception d’un seul survivant qui se transforme progressivement en monstre, épouvante tout Londres mais sera pourchassé par le professeur Quatermass.
Critique : Dans les années 50, nombreux furent les petits films de série B à prendre pour sujet la conquête spatiale, thème devenu très populaire auprès d’une jeunesse avide de sensations fortes. La plupart de ces bandes arrivent tout droit des Etats-Unis et sont souvent teintées d’une forte dose d’anticommunisme primaire.
Jusqu’alors cantonnés dans la réalisation de polars de série sans grande ambition, les Britanniques de la maison Hammer Films, encore largement inconnue, choisissent de jouer sur le terrain des Américains en ajoutant une forte dose horrifique à leurs produits. Ainsi, le producteur Anthony Hinds décide d’adapter au cinéma une série télévisée de Nigel Kneale diffusée avec succès sur les ondes de la B.B.C. en 1953 et mettant en scène le scientifique Quatermass, sans cesse confronté à des mystères dépassant l’entendement humain.
Hinds obtient assez rapidement l’accord de l’auteur, ainsi que la participation du réalisateur Val Guest. Au passage, il réussit également à mettre sur pied un accord de distribution aux Etats-Unis avec United Artists, base de la fructueuse coopération du studio britannique avec ses confrères d’outre-Atlantique.
Notons aussi que la Hammer a insisté pour que le film soit distribué avec un visa de censure X afin que le spectacle ne soit visible que par des adultes. La plupart des studios fuyaient cette catégorie, mais les producteurs ont parié ici sur la publicité que pouvait obtenir le film grâce à cette classification extrême. Cela explique d’ailleurs le titre lui-même puisque le fameux Xperiment souligne encore un peu plus la fameuse interdiction que le studio brandit comme un étendard. Bien lui en a pris puisque le métrage fut un très gros succès international, parvenant à se vendre dans le monde entier et plaçant pour la première fois la Hammer sur le devant de la scène. On peut légitimement estimer que Le monstre est le premier véritable grand film du studio.
Par chance, il se trouve être une excellente bande de SF qui a inauguré la tendance horrifique du genre. Sans s’embarrasser de scènes d’exposition longues et fastidieuses, Val Guest plonge le spectateur dans une ambiance mystérieuse qui saisit immédiatement le spectateur et ne le lâche plus jusqu’à une résolution un peu expédiée (comme trop souvent dans les séries B de l’époque).
Si le spectateur contemporain peut sourire à l’évocation d’engins spatiaux fantaisistes – on était à l’époque au début de la conquête spatiale – et sur le manque total de prudence des scientifiques qui ne respectent aucun protocole de quarantaine, il faut bien sûr faire abstraction de ces facilités narratives qui ne choquaient d’ailleurs personne à l’époque. Par contre, le cinéaste se révèle particulièrement habile pour mettre en place une atmosphère tendue et menaçante. Il est aidé en cela par d’excellents maquillages qui rendent la métamorphose progressive de Richard Wordsworth encore impressionnante de nos jours. Même la créature finale, quelque part entre un blob visqueux et un amas de tripes à tentacules, est plutôt bien fichue et ne laisse pas de marquer les esprits, par-delà son manque évident de vélocité.
Val Guest prouve ici l’étendue de son talent à une période où la plupart de ces bandes étaient bien piteuses. Il cite au passage un grand classique du film de monstre qui décalque une belle scène du Frankenstein de James Whale, preuve du bon goût d’un réalisateur aimant sincèrement le genre.
Dans la peau du professeur Quatermass, Brian Donlevy a souvent été accusé de ne pas rendre son personnage sympathique, mais cela participe au contraire à l’ambiguïté d’une œuvre qui ne vante à aucun moment les mérites de scientifiques avides de découvertes, mais insensibles à la souffrance d’autrui. Finalement, le monstre peut presque apparaître comme une victime expiatoire de la folie des grandeurs de ces hommes souhaitant dominer les espaces intersidéraux.
Dépourvu de la moindre scène en trop, dégraissé jusqu’à l’os et tendu comme un garrot, Le monstre est donc une très belle réussite, aussi bien commerciale qu’artistique. Elle a permis au studio britannique de progressivement se spécialiser dans l’horreur et de continuer à exploiter ce personnage de Quatermass, à travers plusieurs séries télévisées, mais aussi deux suites cinématographiques intitulées La marque (Val Guest, 1957) et Les monstres de l’espace (Roy Ward Baker, 1967).
Critique du film : Virgile Dumez