Avec Peter von Kant, François Ozon rend hommage à Fassbinder, ose le huis clos excessif et troublant, et tourne enfin avec Isabelle Adjani.
Synopsis : Peter Von Kant, célèbre réalisateur à succès, habite avec son assistant Karl, qu’il se plaît à maltraiter et à humilier. Grâce à la grande actrice Sidonie, il rencontre et s’éprend d’Amir, un beau jeune homme d’origine modeste. Il lui propose de partager son appartement et de bénéficier de ses appuis pour se lancer dans le cinéma…
Critique : François Ozon s’amuse à varier les genres et les plaisirs. Après le bouleversant Tout s’est bien passé autour du suicide assisté et le lumineux Eté 85 relatant la découverte amoureuse de deux adolescents, il nous enferme dans le faste d’un vaste appartement berlinois des années 70, où les couleurs sombres et chaudes se font le reflet de la confusion des sentiments qui animent ses habitants. Même s’il y glisse, non sans fantaisie, un peu de lui-même et beaucoup de sa conception de la passion amoureuse, certains ne manqueront de s’interroger sur le bien-fondé de cette nouvelle version des larmes amères de Petra Von Kant largement remaniée ;
Petra créatrice de mode est devenue Peter réalisateur, Marlène l’assistante maltraitée laisse la place à Karl le souffre-douleur condamné au silence et Amir, le bel amant manipulateur remplace Karin. Un univers volontairement masculin où les femmes (Isabelle Adjani en diva plus vraie que nature et Hanna Schygulla qui en toute simplicité passe du rôle de Karin dans le film original de 1972 à celui de mère attentionnée en 2021) n’apparaissent que dans quelques scènes.
Blackboulé entre grandiloquence et désespoir, le spectateur se heurte aux parois d’un univers étouffant où se bousculent amour, désir de possession et rapports de domination. Fort heureusement, la présence magistrale de Denis Ménochet (déjà vu dans Grâce à Dieu) propage une opportune bouffée d’oxygène. Colonne vertébrale du film, il est de tous les instants et joue de son imposante stature pour faire de son personnage fantasque un ogre à fleur de peau, tendre et cruel, aussi drôle dans sa démesure que touchant dans sa mélancolie. Son insatiable besoin d’exhibitionnisme s’oppose brutalement au mutisme de Karl qui se dévoue corps et âme et obéit encore et toujours sans broncher. Son regard et son comportement en disent bien plus long sur ses émotions que ce que les mots qu’ils ne prononcent pas pourraient dire, jusqu’à l’ultime et imprévisible sursaut. Stefan Crépon nous livre là un sidérant numéro d’acteur ! Mais nul doute que le cœur du film bat au rythme du duel Peter/Amir, piloté par la manipulatrice Sidonie incarnée par l’énigmatique Adjani qui ne cache rien de son plaisir à naviguer entre ironie et fragilité et à flouter la frontière entre fiction et réalité. Ce beau brun à la gueule d’ange à qui le charismatique Khalil Gharbia prête ses traits déploie un fascinant éventail de charme et de rouerie pour attraper au piège de la jalousie un homme pétri de théories idéalisées sur les relations amoureuses. Si le format du théâtre filmé, accentue, à la manière d’un miroir déformant, les débordements humains, les dialogues, allégés de leur aspect originellement littéraires, se font directs et légers pour faciliter l’empathie avec les personnages, y compris avec cet artiste extravagant qu’est Peter. Monstre tyrannique, il se transforme, sous le poids de la solitude et du manque, en agneau fragile que la performance de Ménochet et la vivacité d’Ozon savent rendre aimable.
Avec cette déclaration d’amour au cinéma et aux acteurs et actrices, François Ozon signe sans doute son film le plus personnel. Pari risqué sauvé par un casting de haut niveau.