Film contemplatif qui entend célébrer la beauté du quotidien, Perfect Days constitue un modèle d’équilibre, mais peut se révéler un peu frustrant par son dépouillement extrême. Le succès, lui, fut aussi inattendu que mérité.
Synopsis : Hirayama travaille à l’entretien des toilettes publiques de Tokyo. Il s’épanouit dans une vie simple, et un quotidien très structuré. Il entretient une passion pour la musique, les livres, et les arbres qu’il aime photographier. Son passé va ressurgir au gré de rencontres inattendues. Une réflexion émouvante et poétique sur la recherche de la beauté dans le quotidien.
Le retour de Wim Wenders au Japon
Critique : Alors qu’il était en train de mettre la dernière main à son documentaire Anselm, le bruit du temps (2023), le réalisateur allemand Wim Wenders a reçu une lettre étonnante venue du Japon et l’invitant à venir tourner quatre courts métrages dans la capitale Tokyo. Bien entendu cette demande n’est pas arrivée par hasard puisque l’on se souvient du goût du cinéaste pour l’île asiatique depuis ses documentaires Tokyo-Ga (1985) et Carnets de notes sur vêtements et villes (1989). Grand admirateur de l’art de vivre nippon et du cinéaste Yasujirô Ozu, Wim Wenders était motivé à l’idée de retourner filmer le Japon moderne.
Toutefois, il a choisi de métamorphoser les quatre courts métrages en un seul long qui suivrait le parcours d’un homme ayant pour fonction de nettoyer les toilettes de la capitale nippone. Afin de construire son scénario, le réalisateur allemand s’est adjoint les services du scénariste japonais Takuma Takasaki qui lui a permis de cerner au plus près la mentalité locale, notamment quant au rôle social essentiel que jouent les sanitaires dans un pays où le bien commun demeure le plus précieux héritage possible. Pour preuve, le cinéaste est étonné de découvrir sur place des lieux d’aisance qui bénéficient d’architectures complexes ressemblant à s’y méprendre à des œuvres d’art.
La vie et rien d’autre
Pour autant, le but de Perfect Days n’est aucunement de faire l’état des lieux des sanitaires asiatiques, mais bien de suivre le quotidien d’un homme dont la fonction sociale est fondamentale, sans que cela soit considéré par l’ensemble de la société. Le spectateur est donc invité à observer les faits et gestes d’un agent de la propreté qui vit seul. D’une banalité absolue, son existence est faite de répétition, à tel point que son emploi du temps ne varie guère en fonction des jours. On retrouve ici le goût de Wim Wenders pour des vies simples, faites d’habitudes et de petits plaisirs apparemment anodins.
Grâce à l’interprétation poignante de Kôji Yakusho (apprécié dans toutes les grandes œuvres de Kiyoshi Kurosawa), le spectateur s’accroche à cette vie en apparence sans intérêt, mais qui fascine par la capacité du personnage à s’émerveiller de détails du quotidien. En cela, Wim Wenders retrouve l’essence du cinéma de son maître Ozu en signifiant que la poésie peut naître à n’importe quel endroit et dans n’importe quelle circonstance puisqu’elle n’est qu’une affaire de regard. Là où les autres ne verront qu’un arbre de plus, l’agent d’entretien prend chaque jour un cliché du même végétal, comme pour toujours réactiver son regard.
Observer le quotidien, tout simplement
Afin d’éviter une trop grande monotonie, le cinéaste invente bien quelques petites péripéties inattendues comme une échappée avec un jeune collègue fantasque (amusant Tokio Emoto) ou encore la venue surprise d’une nièce fugueuse. Pourtant, loin de chercher le sensationnalisme, Wenders demeure fidèle à un cinéma dépouillé de tout artifice, y compris narratif, et rien ne le fera dévier de son but : chanter la beauté du quotidien. Et ceci au risque d’ennuyer les spectateurs les moins endurants par la répétition des mêmes scènes, pourtant abordées sous des angles de caméra à chaque fois différents.
Cet effet volontaire de répétition constitue assurément la principale limite de Perfect Days qui peut laisser indifférent. Heureusement, Wenders apporte au film son goût immodéré pour la musique rock des années 60 et 70, convoquant des artistes comme Patti Smith, Van Morrison ou encore Lou Reed afin d’enrichir musicalement les trajets effectués par le héros. D’ailleurs, le titre du film fait directement référence au petit bijou de Lou Reed, la sublime chanson Perfect Day, présente sur son album Transformer (1972), produit et arrangé par David Bowie.
Une œuvre ambitieuse, bien accueillie à Cannes
Parfaitement équilibré dans son montage, comme dans son ratio entre silences entendus et musiques intradiégétiques, Perfect Days est donc une œuvre valeureuse qui démontre à nouveau la maestria de son cinéaste, toujours à l’aise dans la contemplation du quotidien.
Présenté en compétition au Festival de Cannes en 2023, le métrage a su séduire les festivaliers qui ont acclamé le jeu de Kôji Yakusho – sans doute aidé par son superbe plan séquence final où le comédien exprime tous les sentiments contradictoires de son personnage sans avoir recours à la parole. Ce dernier a décroché le prix d’interprétation masculine. Par la suite, Perfect Days a connu une belle carrière internationale qui lui a permis de décrocher une nomination à l’Oscar du meilleur film étranger, ainsi qu’une nomination aux César. Pas mal pour un film signé d’un quasi octogénaire.
Perfect Days, une carrière à succès étalée sur une année
Proposé en salles en France dès le 29 novembre 2023 (soit tout juste un mois après son documentaire Anselm), Perfect Days a été positionné initialement dans 183 salles. Dans cette combinaison raisonnable, le métrage est parvenu à attirer 103 232 spectateurs, soit un score enthousiasmant. Tenant là un succès, le distributeur Haut et Court injecte plus d’une quarantaine de copies supplémentaires dans le circuit et parvient à limiter la baisse à 26 % en deuxième septaine. Le drame contemplatif réunit donc 76 203 retardataires.
Décidément très confiant, le distributeur pousse le curseur encore plus loin avec 392 copies pour sa troisième semaine de présence et 58 711 spectateurs de plus, pour un total dépassant déjà les 238 000 entrées. Début janvier 2024, Perfect Days est toujours dans l’aisance, dépassant les 300 000 tickets. De manière surprenante, le film s’accroche durant de longs mois et son exploitation s’étend finalement quasiment sur une année complète puisque le drame n’est retiré de l’affiche qu’en octobre 2024, avec un cumul qui le porte à 397 479 entrées, soit le meilleur score du cinéaste allemand depuis une bonne vingtaine d’années. Chapeau l’artiste !
Critique de Virgile Dumez
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Wim Wenders, Min Tanaka, Kôji Yakusho, Tokio Emoto
Mots clés
Cinéma allemand, Cinéma japonais, Cinéma contemplatif, Tokyo au cinéma