Si Anselm, le bruit du temps n’est pas le plus grand succès documentaire de Wim Wenders, c’est pourtant l’un de ses chefs d’œuvre. Une toile unique.
Synopsis : Une expérience cinématographique unique qui éclaire l’œuvre d’un artiste et révèle son parcours de vie, ses inspirations, son processus créatif, et sa fascination pour le mythe et l’histoire. Le passé et le présent s’entrelacent pour brouiller la frontière entre film et peinture, permettant de s’immerger complétement dans le monde de l’un des plus grands artistes contemporains, Anselm Kiefer.
Critique : Wim Wenders a connu en 2023 l’un de ses plus grands succès en revenant à la fiction. En novembre 2023, Perfect Days évoquait la vie d’un agent d’entretien des toilettes publiques de Tokyo et retrouvait l’errance douce des grands Wenders des années 70 et 80, dans un cadre tokyoïte qui rappelait ses détours dans le documentaire, notamment en 1985, avec son hommage à Ozu, Tokyo-Ga. Avec 397 000 entrées, le cinéaste Palmé de Paris, Texas trouvait son plus gros succès en salle en 20 ans.
Ce succès a probablement fait de l’ombre à Anselm, le bruit du temps, documentaire sorti un mois auparavant, avec la simple mention “Séance Spéciale Cannes 2023” quand Perfect Days jouissait d’un prix d’interprétation masculine.
On ne dira pas qu’Anselm a connu l’échec – 59 069 entrées pour un film du réel, c’est satisfaisant -, mais on est loin des classiques du documentaire de Wenders qui ont brillé au box-office : Buena Vista Social Club : 740 000 entrées, The Soul of a Man : 151 000, Pina 3D : 354 000, Le sel de la terre : 354 000 également, Le Pape François – un homme de parole (118 000)…
Ansel, le bruit du temps est pourtant un aboutissement magistral dans son art de retranscrire l’humain par le prisme de matériaux artistiques, conjuguant la technique de la 3D qui a participé au triomphe de Pina, et la fascination du gigantisme faite art. L’artiste contemporain Anselm Kiefer pourrait être associé dans sa vision cosmologique à celle du photographe de Genesis, Sebastio Salgado pour Le Sel de la Terre.
En accomplissant enfin une œuvre sur son compatriote allemand qu’il lui avait promise au début des années 90, au hasard d’une rencontre qui les liera à jamais, Wim Wenders livre un film somme. Anselm se déchiffre à l’intersection des arts, le sien, cinéaste itinérant à l’écoute des artistes qui viennent faire vibrer sa propre expérience, et celui d’Anselm Kiefer, redoutable plasticien de la radicalité, philosophe du tourment, de la ruine triste mais signifiante, celle de l’Allemagne de 1945, année de leur naissance à tous deux.
En utilisant la technicité cinématographique la plus élaborée, celle d’une 3D de l’espace réhabilité, pour filmer l’inspiration féconde des décors d’envergure d’Anselm Kiefer – son atelier à Croisy-Beaubourg, celui-là même qui fut cambriolé peu après la sortie du film, et La Ribaute, l’ancien atelier du sculpteur, grand de 40 hectares, à Barjac -, Wim Wenders déploie une cosmogonie dont il ne se soustrait qu’à moitié.
Par ses choix d’auteur, allant jusqu’à reconstituer le passé de Kiefer via des scènes de fiction où son fils interprète le plasticien jeune, sa puissance de caméra qui capte des mouvements de grâce au milieu d’œuvres démesurées, Wim Wenders n’est pas à vouloir céder entièrement sa présence face au génie d’un Kiefer à la gloire internationale que l’on retrouve ici illustrée par ses installations au Palazzo Ducale, lors d’une séquence magique.
L’immensité du travail de Kiefer, dans sa relation à l’infiniment grand fait basculer ciel et espace dans son appropriation des colonnades souterraines, des matériaux de plomb et de toile qu’il travaille avec le même sens de la démesure. Il faut bien au moins l’étendue d’un grand écran pour appréhender la constellation d’un artiste politique qui crie une désespérance violente d’où s’érigent aussi des tentations d’optimisme, rares mais émouvantes.
Wenders n’éclabousse pas son talent par une hagiographie aveugle, mais introspecte davantage le processus créatif de l’homme qui l’interpelle dans un effet miroir. Les ateliers de Croissy deviennent un véritable studio de cinéma où les équipes ont été remplacées par un metteur en scène multi casquette, un homme-orchestre qui s’agite partout dans sa soif de procréer sa vision de la condition humaine. Cette conversation par la caméra entre les deux hommes signifie une quête de sens dans un monde glissant. L’objectif de Kiefer, à savoir placer l’Allemagne face à ses responsabilités au lendemain de la guerre quand le politique essayait d’imposer une forme d’oubli somatique pour permettre à la nation de se reconstruire dans une douleur moindre, est d’autant plus évocateur pour le spectateur contemporain que l’actualité ne cesse de lui donner raison.
Esthétiquement virtuose, artistiquement épatant, Anselm, le bruit du temps est une œuvre qui relève du sublime. Elle interpellera dans ses fondations le spectateur prêt à se laisser aller aux remous intérieurs du questionnements par l’artéfact. Ce génie immense qu’est Anselm Kiefer a compris qu’au mépris de la supériorité sur ses semblables, l’artiste doit surtout élever son public en le considérant comme un principe actif dans le processus essentiel de faire sens.
Sorties de la semaine du 18 octobre 2023
Le test du blu-ray d’Anselm, le bruit du temps
Carlotta aime Wim Wenders. Après sa superbe édition de la trilogie de la route en 2023, comprenant Alice dans les villes, Faux mouvement avec Nastassia Kinski et Au fil du temps, l’éditeur a proposé en 2024 une édition ultra collector 4K de Paris, Texas implacable, et Anselm le bruit du temps en édition simple.
Carlotta Films propose une édition soignée de ce documentaire qui méritait peut-être davantage de suppléments. Techniquement, le blu-ray est solide.
Compléments & packaging : 3 / 5
La galette est proposée au sein d’un amaray noir, avec fourreau qui reprend, comme toujours chez Carlotta, le visuel de la jaquette. Un visuel alternatif pourrait être une bonne idée.
Au niveau des suppléments, beaucoup de redite. La conversation entre Wim Wenders et Hans Ulrich Obrist (16 minutes) est passionnante pour appréhender cette œuvre, mais on se rend compte que beaucoup est repris dans le dossier de presse de 27 pages qui a été reproduit pour le public. L’idée est excellente par ailleurs, grâce à l’approfondissement qu’il permet pour compenser une présentation audiovisuelle de Wenders, par exemple.
L’image du blu-ray : 4.5 / 5
Malheureusement non disponible en 3D, puisqu’il n’y a plus de lecteurs et de téléviseurs qui proposent cette technologie, Anselm, le bruit du temps n’en est pourtant pas moins spectaculaire à découvrir tranquillement chez soi sur un écran de home cinéma 4K.
La restitution de l’image est d’une acuité impressionnante, déployant un précis de couleurs impressionnantes, et un contraste qui permet d’appréhender l’espace dans son gigantisme.
C’est pointu, beau et on n’imagine découvrir cette œuvre avec une définition moindre.
Le son du blu-ray : 4.5 / 5
Documentaire sensoriel qui emploie avec ampleur la musique opératique de Leonard Küssner, Anselm dispose de deux pistes, un DTS HD Master Audio 5.1 et 2.0. Le film compatible aux équipements 7.1 en salle, est ici remarquablement retranscrit. Des dialogues forcément cristallins et surtout une musique qui a du coffre, loin d’appréhension limitée sur des plateformes de streaming comme Spotify qui propose la bande-originale à l’écoute.
Edition blu-ray, Carlotta 2024. Visuel : Darius Ghanai, d’après une photographie de Wim Wenders © 2023 Road Movies. All Rights Reserved.