Une rareté d’un cinéaste trop méconnu. Paris est toujours Paris, comédie amère attachante, s’inscrit dans le cadre des fructueuses coproductions franco-italiennes.
Synopsis : À l’occasion d’un match de football de la Squadra Azzura, un groupe d’Italiens débarque à Paris. Leurs chemins se séparent à la descente du train, et tous vont vivre des moments surprenants dans la capitale…
Critique : Luciano Emmer est surtout connu pour Dimanche d’août (1950), qui suivait un personnage sur la plage d’Ostie durant une journée d’été, plusieurs intrigues se déroulant simultanément. Considéré comme un auteur post-néoréaliste par les vénérables Cahiers du Cinéma et auréolé par un succès d’estime, le réalisateur disposa de moyens plus confortables pour entreprendre Paris est toujours Paris. L’œuvre s’inscrit dans la mouvance des coproductions franco-italiennes qui furent fécondes dans l’histoire du septième art, de Fabiola d’Alessandro Blasetti à Habemus Papam de Nanni Moretti, en passant par Rocco et ses frères de Luchino Visconti.
Cela était la moindre des choses avec le présent récit qui se déroule sur vingt-quatre heures dans la capitale française, le film reprenant en outre deux éléments de Dimanche d’août, à savoir le canevas temporel et la structure chorale. Coécrit par plusieurs scénaristes dont le Français Jacques Rémy et Francesco Rosi, le film est une subtile comédie qui joue sur le contraste culturel et linguistique entre un groupe de touristes italiens et les habitants de la capitale, les amours de vacances, arnaques en tous genres et désillusions diverses révélant les faiblesses, la veulerie mais aussi la noblesse d’esprit des visiteurs et de leurs hôtes.
Il s’agissait d’ailleurs de l’une des premières comédies organisées autour des vacances, plusieurs séquences anticipant des éléments narratifs et visuels que l’on découvrira dans des films aussi différents que Les Vacances de Monsieur Hulot de Jacques Tati, La Vieille fille de Jean-Pierre Blanc ou Les Bronzés de Patrice Leconte. L’originalité de Luciano Emmer est d’avoir opéré la jonction entre le comique de situation, l’étude de mœurs et une tonalité semi-documentaire. Le premier aspect est notamment illustré par les vicissitudes d’Andrea De Angelis (le génial Aldo Fabrizi), brave époux et père de famille tenté par les petits plaisirs de la capitale, et guidé par une connaissance qui se révèle être un escroc ; le second est mis en exergue à travers la description des hypocrisies familiales et la peinture des inégalités sociales ; le troisième apparaît avec la tournée des cabarets parisiens, fruit des fantasmes des visiteurs tout en constituant une composante ethnologique de la capitale (le clou résidant dans l’apparition d’Yves Montand fredonnant « Un gamin de Paris » et « Les Feuilles mortes »).
Présenté au Festival de Venise en 1951, et sorti dans les salles françaises en 1952, le film fut plutôt bien accueilli, J. Thévenot louant « ces entrelacs de tendresse, de poésie et de bouffonnerie », et J.-J. Richer admirant « de très belles images de Paris d’une luminosité précise, poétique et assez curieusement irrévélée jusqu’alors ».
Il faut dire que la photo noir et blanc de Henri Alekan est particulièrement de qualité (sans être esthétisante) et fait ressortir le charme de la capitale de façon inédite. Au sein d’un casting éblouissant, on remarquera les débutants (mais déjà divinement beaux et talentueux) Marcello Mastroianni et Lucia Bosè, la truculente Ave Ninchi en mama dépassée par les événements mais plus futée qu’on ne le croit, et le séduisant Franco Interlinghi qui avait été l’un des enfants acteurs de Sciuscià de De Sica.
On regrettera juste les aberrations de la postsynchronisation, certains interprètes français étant doublés dans la version originale par des comédiens transalpins s’exprimant en français avec un accent italien !). Ce qui n’est pas rendre justice au jeu de la délicate Hélène Rémy, de l’excentrique Henri Guisol, ou des pétulants Henri Genès et Jeannette Batti. C’est la seule réserve que nous émettrons face à ce petit bijou à redécouvrir, que Théâtre du Temple distribue dans une somptueuse version restaurée.
Critique : Gérard Crespo